L'HIVER EN VALLEE DU LOIR

Publié le 19 Décembre 2017

 

Brume, froid et vent d'hiver pleurent sur les étangs mornes. Les chênes rabougris, les ormes têtards, les peupliers « érussés* » secouent leurs troncs, agitent leurs branches et sentent craquer leur peau. Des saules comme des fantômes agitent leurs bras desséchés sous un ciel bas. C'est l'instant où les feux-follets s'allument sur les mares, où les âmes mortes se réveillent. La peur sort de sa tanière, étreint les gorges, crispe les nerfs, essouffle les poumons et capte nos espoirs en attendant le jour.

Malheur à l'ambulant, au colporteur qui voyage sur les routes, aux gens attardés, aux égarés. Des spectres hantent les bois, les étangs et les chemins creux. Ils sortent des chênes ébouriffés et ricanent dans la nuit. C'est l'instant lugubre des incantations.

Malheur à celui qui regarde en arrière. Il verra sortir des mares, des étangs, des bois et des ruines tous les morts que la terre recèle. Ils vont le suivre fantômes aux longs suaires, squelettes étranges, cortège macabre.
C'est l'époque des fées, des revenants où l'eau des étangs s'unit au ciel. Le vent gémit dans les plaines et les bois. C'est une voix qui se plaint. Les branches craquent, un feu-follet s'allume, brille, sautille, volète comme un roitelet puis disparaît dans le noir. C'est une âme de passage qui s'en retourne.

C'est l'hiver, un souffle d'air froid, le frôlement d'une aile de hibou, le hululement d'une chouette, la chute d'une branche, le chuintement d'une feuille qui tombe, le trouble et le grand frisson de la nature.
Quant à la nuit tombante, dans le froid des premières gelées de l'hiver, le vent mugit dans les branchages et que se mêlent aux craquements des arbres d'étranges rumeurs, de sinistres hurlements, des cris de l'orfraie, des canards et des oiseaux de passage, pour l'homme de la terre, le paysan, ceci n'a rien de naturel.

Son imagination enflamme sa tête. Il entend des cris de chasseurs, les aboiements des chiens, les hennissements des chevaux, le brâme douloureux du cerf. Craignant le pire, il se signe, s'enferme dans sa masure. C'est la « chasse volante » qui passe et porte malheur. Le malin à grands renforts de cris, de miaulements, de hurlements, de braiements d'ânes, court après les âmes mortes au milieu des ténèbres pour les conduire en enfer avec sa meute de chiens.

C'est la chasse maligne, la chasse infernale, celle que dirige un être étrange qui parcourt les campagnes, les bois et les chemins creux de Couesmes, Chenu, Saint-Germain, La Chapelle-aux-Choux ou La Bruère. On parle de la chasse Arquin et de celui qui court la « guérouée* ». C'est Artus de Bretagne ou le roi Hugon. En pays de Couture, Ronsard a lui-même entendu et vu « la Chasse sauvage » :

 

« Un soir vers minuit...

Tout seul outre le Loir, et passant un destour

Joignant une grand'croix, dedans un carrefour,

J'ouy, ce me sembloit, une aboyante chasse

De chiens qui me suyvoit pas-à-pas la trace,

Je vy auprès de moy sur un grand cheval noir

Un homme qui n'avait que les ôs, à le voir,

Me tendant une main pour me monter en crope:

J'advisay tout autour une effroyable trope... »

C'est l'hiver...

 

* Guérouée : couvée, nichée, famille nombreuse.

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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