L'OMELETTE AU PINEAU D'AUNIS

Publié le 20 Février 2018

Encre et aquarelle Yves de Saint Jean

 

Louise et André habitent un petit troglo au creux de cette vallée du Loir dans les environs de Marçon.

Chaudement nichée à l'abri des vents du Nord et des regards curieux, la demeure creusée de main d'homme, fait face au soleil du midi.

Sur la gauche, on trouve l'entrée de la cave et du pressoir et à droite celle de l'étable protégée par un magnifique figuier aux branches lisses.

Au centre, la porte fermière à deux battants donne accès à la pièce à vivre. Elle est encadrée de deux fenêtres à petits carreaux. Quelques géraniums fleurissent devant l'entrée. La modeste demeure ne manque pas de coquetterie toute mesurée et harmonisée à la nature des choses.

 

Au dessus des caves courent des guirlandes de lierre, refuge des moineaux, mésanges et pinsons. Elles s'accrochent aux fissures du roc et rehaussent de leur vert sombre le teint jaunâtre du rocher en pierre de tuffeau.

Plus haut, dans l'escarpement de la colline des boisseaux de cheminées sortent de terre comme d'étranges champignons au milieu de vieux ceps tordus qui lancent leur ramures tortueuses comme autant de bras bizarres.

Certaines, au moment des vendanges, servent à déverser directement les raisins dans la cave qui se trouve quelques mètres plus bas.

 

aquarelle Yves de Saint Jean

 

Ce matin là, en se frottant les yeux encore gonflés de sommeil, Louise et André jetèrent un coup d’œil par la fenêtre. Le temps était clair, la journée serait belle et rien n'est plus agréable que de commencer les vendanges par une journée d'octobre ensoleillée pour chanter la vinée nouvelle.

Assis devant la cheminée, ils se mirent à manger une soupe de légumes qui avait mijoté depuis la veille dans une grande marmite. Il fallait prendre des forces, la journée serait rude.

 

 

La veille au soir, ils avaient chargé sur leur tombereau paniers, hottes, bassicots et aiguisé leur serpette sur l'affiloir. Chaudement habillés, ils attelèrent la vieille jument et aux pas lents de l'animal, dans l'air frais du matin alors que le soleil se levait, ils montèrent à la vigne au-dessus du logis.

Les voisins, Marie, Lucien et leurs trois enfants les rejoignirent. Entre voisins, on se donne la main.

 

La journée se passa ainsi à monter et descendre les rangs, à couper les Aunis et les quelques Grolleaux juteux. Tout en avançant de cep en cep on discute, on s'échange les nouvelles et quand les paniers sont pleins, on appelle le hotteux qui d'un pas lent va verser dans une cheminée les raisins mûrs qui tombent quelques mètres plus bas dans le pressoir.

 

Rien n'est plus agréable, gai et charmant qu'une journée de vendange dans notre belle vallée au milieu des pampres jaunis qui cachent à peine les grappes chargées de sucre.

Tout au long de l'année Louise et André n'avaient pas ménagé leur peine. Ils avaient aujourd'hui la récompense de leur labeur et après s'être grisé d'une belle journée et de l'espoir d'un bon vin, le dos brûlant de douleur, on décida de rentrer pour souper.

aquarelle Yves de Saint Jean

 

Le dîner n'étant point prêt, Louise posa une poêle sur le trépied et se mit à casser des œufs pour une omelette qu'elle agrémenta de quelques morceaux de lard puis elle prépara une ou deux javelles de sarments qu'elle allumerait quand les hommes auraient fini leur ouvrage.

 

Pendant ce temps, André, Lucien et les gamins s'occupaient à fouler la vendange. Ils avaient enlevé leurs sabots, remonté les pantalons en haut des cuisses et dansaient joyeusement sur les raisins. Pour se donner du courage, ils allégeaient le contenu de quelques chopines de vieux millésimes sorties pour l'occasion.

« Dis donc, Lucien tu n'aurais pas oublié une hotte dans la vigne, il en manque une ?

« T'as raison, je l'ai laissée au pied du pêcher de vigne, j'y vas mon gars André, j'y vas !

Et les pieds rougis dans ses sabots, Lucien remonta le petit sentier dans la clarté de la lune qui semblait lui sourire.

 

Il trouva rapidement la hotte oubliée et s'en revint au-dessus du logis. Là, perplexe, dans la pénombre, il hésita. Il y avait trois cheminées à peu près semblables qui sortaient de terre.

Il en fit le tour, les frôla, les flaira.

« Quelle est la cheminée du pressoir, me voilà bien embêté, marmonna-t-il en lui-même, l'odeur de la vendange est partout ?

Ne sachant que faire de son chargement, il lâcha une bretelle, ferma les yeux et envoya sa hottée dans la première cheminée.

Aussitôt des cris montèrent du logis. Louise et Marie lancèrent même quelques jurons.

« Bougre de cornichon, t'as la berlue mon gars, tu t'es trompé, t'as versé le raisin dans la poêle ! »

 

Et c'est ainsi qu'un soir de vendange dans ce petit coin de la vallée du Loir, Louise, André, Lucien, Marie et les gamins mangèrent une omelette au goût de pineau d'Aunis.

 

Aquarelle Troglo Yves de Saint Jean

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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