LES VAUX DU LOIR - EPISODE 8

Publié le 3 Mai 2018

Aquarelle Yves de Saint Jean

 

Les troglos des Vaux du Loir

 

 

Il y a plus de 70 millions d'années, les sédiments déposés par les océans, à la fin de l'ère secondaire, ont créé le tuffeau, cette pierre calcaire blanche tendre facile à tailler et à creuser. Depuis l'aube de l'humanité les hommes y ont creusé des galeries qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de kilomètres parfois sur plusieurs étages donnant naissance à l'habitat troglodytique.

Ce patrimoine fait partie de l'histoire. Les châteaux, les églises, les villes et villages ont été construits avec la pierre extraite des carrières souterraines. Les carriers qui extrayaient la pierre vivaient dans ces troglos ainsi qu'une bonne partie de la population.

Ces cavités ont connu plusieurs fonctions : funéraires, défensives, culturelles, religieuses, rangement des récoltes, habitats. Depuis des décennies, on y conserve et élève le vin.

Le val de Loire et les Vaux du Loir sont riches de ce patrimoine loin d'être anecdotique.

Certaines caves sont devenues des demeures luxueuses, d'autres accueillent de l'artisanat, des artistes, des hôtels, des zoos et intéressent une nouvelle population en mal de retour aux sources.

Ardouin-Dumazet nous entraîne en ces débuts du XXème siècle à la découverte d'un très vieux village troglo près de Montoire : le village des Roches.

Bonne balade.

 

 

Le village des Roches

 

 

« ... Jusqu'à Vendôme la colline n'est qu'un long bourg de troglodytes Prépatour, Montrieux sont une rue de caverne. Toute la rive exposée au soleil s'escarpe en roches percées de grottes et servant de demeures. Ces villages de troglodytes sont peut-être les plus curieux de France ; il en est d'autres le long du Cher, sur la Loire, aux abords de Tours et de Saumur ; mais ici, sur le Loir, des villages entiers, presque des villes, sont creusés dans le tuf. La rive tournée vers le nord contient beaucoup moins de ces demeures primitives, la roche y est trop molle et trop humide.

On trouve même de ces habitations au faubourg de Vendôme, dans le coteau qui porte les ruines du château princier si intimement lié à notre histoire par les seigneurs du sang de France, qui en firent la capitale de leurs domaines.... »

 

Ardouin-Dumazet décrit ensuite son arrivée à Vendôme, nous y reviendrons dans un prochain épisode. Pour l'instant continuons notre découverte des troglos.

 

« ...De l'autre côté du Loir s'étend un large bourg complet de troglodytes, les Roches. C'est là qu'il faut aller, pour voir, dans tout son pittoresque, ce genre particulier de demeure. Le village peuplé de près de 600 habitants, n'a guère de maisons en dehors des habitations creusées dans le roc. A peine y-a-t-il place pour la route entre le Loir et la colline. Celle-ci présente un haut rempart de tuf, des amoncellement de roches tombées, d'autres roches en surplomb. Tout cela, falaise, roches éboulées, est percé d'ouvertures. Portes et fenêtres ont été taillées à même la roche. Celle-ci a été excavée et la caverne transformée en appartement. Chambres, cuisines, caves, écuries ont été patiemment creusées dans le tuf.

Les cheminées sont des puits qui atteignent le faite de la colline, entourés d'une margelle destinée à les préserver de la pluie et des terres qu'elle pourrait entraîner. De loin, elles ont le vague aspect de monuments druidiques. En hiver, quand les foyers sont allumés, la fumée sort de tous ces édicules et produit l'effet le plus étrange.

 

De tous les villages de troglodytes, celui des Roches est un des plus saisissants ; les sentiers qui joignent les maisons à la route courent entre les roches où le figuier, l'amandier et les arbustes amis de la pierre croissent dans les fentes. Quelques vieilles murailles et, parmi les maisons construites de toutes pièces, des bâtisses vermoulues ajoutent encore au caractère étrange de ce site.

 

 

le village des Roches

 

 

Les anciens auteurs, qui cherchaient surtout les bizarreries et les phénomènes de la nature lorsqu'ils avaient à décrire un pays, se sont fort attachés aux Roches, ils en en ont fait un tableau quelque peu empathique, ainsi celui publié dans un « Voyage en France par une société de gens de lettres, de géographes et d'artistes » qu'éditaient les frères Firmin Didot en 1834 :

« Mais ce que les cultivateurs n'ont dû qu'à des efforts opiniâtres, ce sont leurs habitations creusées dans le roc même. Elles suffisent pour eux et pour leurs bestiaux, et ils les préfèrent par économie à des maisons ordinaires. Là, en effet, ils n'ont besoin ni d'architectes, ni de charpentiers, ni de maçons, pour élever des demeures dont la nature et le travail font tous les frais. Souvent, à la vérité, ceux qui n'ont pas su choisir, pour creuser leurs grottes, un tuf assez dur, les voient bientôt s'ébouler ; heureux s'ils n'y sont pas ensevelis au milieu de leur sommeil ! Ces malheurs trop fréquents, n'effraient pas les habitants des Roches et ne font que leur donner plus de prudence pour l'avenir. Ils tiennent à ce genre d'habitations, on le conçoit sans peine. Ils donnent à ces grottes des dimensions régulières. L'été à leur retour des champs, ils y trouvent une agréable fraîcheur ; l'hiver, l'humidité n'y pénètre jamais. Leurs grains, enfermés dans des tonneaux, leurs vins et leurs laitage n'y perdent rien de leurs qualités. C'est là que, le soir, se réunissent, dans une même chambre, le laboureur, sa femme et ses enfants, ses bestiaux, qu'ils regardent comme faisant partie de la famille....»

 

 

Vue générale de Troô début du XXème siècle

 

 

Puis ArdouinDumazet continue :

« Au delà de Montoire, sur la rive droite de la rivière, un mamelon de forme arrondie se dresse, portant à son sommet une flèche d'église : c'est Troô, le point le plus intéressant de la vallée.

 

Ce mamelon, couvert de maisons à sa base, est, sur les pentes, entièrement creusé de demeures, comme les Roches. Mais Troô fut jadis une ville ; de tout temps il y eut là des habitations humaines. Aussi l'art est-il venu compléter l’œuvre patiente des troglodytes. Beaucoup de ces maisons souterraines ont des portes et des fenêtres sculptées. Ici l'arc roman et ses ornements guillochés ; ailleurs, l'ogive angevine. Ces façades taillées dans la roche, entourées de jardinets où le figuier, l'amandier et le pêcher dominent, sont d'un effet étrange. Il y a plusieurs étages de ces maisons. De la base au faîte s'ouvrent des galeries qui vont à l'intérieur de la colline, reliés entre elles, et ayant issue vers des fontaines ; c'est le type le plus complet de l'habitation préhistorique. Plus tard, quand l'homme, sorti des cavernes, se construisit des demeures au dehors, le coteau perforé de Troô resta habité pendant que le bas se couvrait de maisons, que des remparts étaient levés et que des forteresses couvraient la crête, près d'un tumulus converti en promenade. Sur le plateau , une belle église du douzième siècle attire les archéologues ; à côté, un puits couvert, appelé le Grand Puits, suscite les visites des habitants de tous les pays voisins. Profond de 45 mètres, large de deux, il présente un phénomène curieux : le moindre objet qui y est jeté éveille le bruit. Aussi une épingle, une brindille, envoient au bout de quelques secondes une rumeur sourde et puissante. Une pierre provoque une véritable détonation. Pour les gens de Troô et des environs, c'est la merveille par excellence. Un tronc placé à l'une des poutres est destiné à l'entretien du puits. Si nombreux sont les visiteurs, que des curages fréquents s'imposent.

 

Du haut du tumulus qui domine l'église, on a une vue ravissante sur le pays, des ruines de Lavardin à la Chartre. Troô apparaît de là sous un des plus curieux aspects, montrant les étages successifs de grottes, séparées par d'étroites terrasses couvertes de jardinets où croissent surtout des plantes odoriférantes, le thym, le romarin et la sauge ; le tuf jaunâtre surgit par places, sous les lambrequins de lierre qui le drapent ; des amandiers tordus se penchent.

 

Le Loir semé d'îles, coule, limpide et calme, au pied de la colline ; longé par le chemin de fer dont le ballast d'un jaune d'or forme dans la campagne un fauve sillon. Tout autour, des tumulus, des ruines informes : le Louvre, ancien château ; le prieuré ; Notre-Dame-des-Marchais et d'autres débris d'une grandeur disparue.

 

Peu de coins de la vallée sont aussi pittoresques. »

 

 

Cave à Troô
Troô - le puits qui parle
Le village des Roches
Le village des Roches
Le village des Roches

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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