UN BEAU MARIAGE

Publié le 11 Juin 2019

 

Souvenez-vous, le 18 novembre 2018 un article racontait  la demande en mariage d'André. Cela se passait au début des années 1900 et Jeanne avait dit oui. Angèle et Lucien, ses parents et ceux d'André, Prosper et Clémence, avaient après d'âpres négociations conclu les accordailles pour la dot et les apports mutuels des futurs mariés. Un rendez-vous avait été pris chez le notaire qui avait consigné dans le détail les accords menés à bonne fin. C'est seulement à la signature définitive des actes qu'une date des festivités avait été fixée.

 

Il fallait éviter les mois d'été consacrés aux travaux des champs, à la moisson et aux battages. Février et mars étaient dévoués au Carême. On ne parle pas de mai dédié à la vierge Marie et l'hiver est trop rude pour les ripailles et réjouissances. On s'était alors mis d'accord pour le deuxième samedi de juin.

 

Le lieu d'habitation détermine celui des agapes. Elles auront donc lieu chez Angèle et Lucien. La grange sera nettoyée, aménagée et décorée en conséquences. Là s'arrête l'influence particulière de l'une des parties. Pour le reste tout doit s'organiser sous le signe de l'équilibre : invitations, produits apportés à parts égales, suggestions des menus, mélange des familles, choix des vins et des musiciens pour danser et ce n'est pas une mince affaire car la noce comporte deux repas, celui du midi, plus léger, après la messe où toutes les notabilités sont invitées et celui du soir réservé aux familles et amis proches.

 

 

A l'assemblée de la Saint Martin, Jeanne et Angèle avaient pris rendez-vous avec Marceline, la couturière. Elles souhaitaient lui confier la confection de plusieurs robes : celles de Jeanne, la mariée, une autre pour Angèle et une pour chacune des demoiselles d'honneur Mireille et Mariette. Elles ont apporté une pile de magazines : « Le Petit Écho de la Mode », « Jardin des Modes » ainsi que le dernier numéro -Spécial robe de mariée- de « Modes et Travaux ». Jeanne a une idée précise et en même temps un peu floue de ce qu'elle veut. C'est normal. Pas de bustier, un peu de dentelle, le marié n'aime pas ; une traîne, oui mais petite ; un voile peut-être, pas de décolleté, du volume mais pas trop, quelque chose de simple et festif, classique mais pas la robe de tout le monde, élégante et respirant la jeunesse. Marceline a l'habitude. Pendant des heures, ensemble, elles vont tourner les pages, parler tulle, soie, satin, mousseline, franges et galons. Marceline sort les échantillons : tissus, boutons, broderies et rubans s'éparpillent sur la table. L’œil avisé, Marceline observe, jauge et mesure avec son centimètre souple pour respecter les courbes et note les mensurations. La conception d'une robe n'est pas le fruit du hasard. Comme le corps, elle a ses règles d'architecture précises que n'importe quel créateur doit respecter. Jeanne et Angèle ont fait leurs choix. Elles savent désormais que tout est possible dans les mains expertes de la couturière qui saura traduire avec agilité, l'essence de leurs personnalités.

Un matin André et Jeanne sont allés à la ville chez le bijoutier pour le choix des modèles des anneaux mais attention les fiancés ne doivent pas essayer d'alliances. Le bijoutier doit seulement prendre la mesure de leurs doigts de même que Jeanne ne doit pas porter la bague d'une femme mariée.

 

La date approche. Le printemps s'est installé, les semis sont faits, la nature renaît. On a remis les vaches au pré. L'herbe est si grasse et le lait tellement bon que la livre de beurre pèse quasiment un kilo plaisante Lucien qui continue en rigolant qu'au poulailler, les poules pondent quatre à cinq œufs par jour. Il paraît même que les coqs s'y mettent aussi mais ça on ne le voit jamais.

Les bans ont été publiés. Jeanne, Angèle et les demoiselles d'honneur ont fait leurs derniers essayages. On a resserré une pince, rectifié un pli et repassé le tout.

 


 

A la ferme, on a nettoyé la grange, tendu de grands draps sur les murs, chaulé les poutres et accroché des branches de sapins décorées de rubans.

Ce samedi là, André est rentré au petit jour après avoir fêté son enterrement de vie de garçon avec ses copains. Jeanne s'est habillée dans le plus grand secret et elle a glissé une pièce de cinq francs dans sa chaussure.

 

 

A l'heure dite, les plus âgés sont montés dans les carrioles décorées de rubans de mousseline et de roses en papier crépon. Mariés et plus jeunes suivent accompagnés d'une équipe de joyeux drilles de musiciens et chanteurs.

A la mairie, monsieur le maire reçoit les consentements des époux et tout le monde a remarqué qu'il a mis son écharpe à l'envers. Avant d'entrer dans l'église au bras de Lucien, Jeanne fait le faux pas traditionnel en heurtant une pierre et dit mentalement « Comme les autres ».

 

Anastasie joue de l'harmonium. Monsieur le curé bénit les anneaux. Jeanne et André se disent « oui » pour le pire et le meilleur. A la sortie de l'église, on a lancé du riz et le photographe camouflé sous son drap noir a immortalisé l'événement qui traversera les générations sur son papier glacé. Après les embrassades, les félicitations pour les robes, le cortège repart en musique et s'arrête régulièrement pour boire le verre de vin offert par les gens sur le parcours. Certains arrivent un peu Paf ! En attendant les agapes, ils vont faire un petit somme sur une botte de paille ou dans le foin, d'autres visitent le jardin, les écuries, inspectent les granges.

 

 

En arrivant à la ferme, Jeanne a dû franchir un balai mis en travers de la porte de la grange. Avant le banquet, elle a coupé un bout de pain qu'elle donne à Mariette, sa sœur cadette, passant ainsi le témoin pour signifier l'ordre des mariages.

Ce grand banquet est aussi prétexte à arranger d'autres mariages en couplant soigneusement les célibataires dont les biens réciproques ont été étudiés avec précision. Ainsi Mariette sera avec Daniel un beau parti dont les prés, les vignes et les bois représentent un  capital intéressant. On ne sait jamais.

 

 

Chacun s'est mis à l'aise. On a enlevé les cravates, déboutonné les chemises, ouvert les gilets car les repas de mariage n'en finissent pas avec toutes sortes de plats. Le solide appétit des invités ne se dément pas. On mange, on engouffre. Lapins et coqs élevés pour la circonstance, rôtis de porc et de veau, beaucoup de pain, montagne de légumes, plateau de fromages, ribambelles de tartes et gâteaux. Quant aux vins, les meilleurs bouteilles des vignes familiales ont été sorties de derrière les fagots pour l'occasion. Deux busses, une de blanc et une de rouge ont été mises sur chantier où chacun peut se servir à volonté. L'eau-de-vie de marc, de prunes ou de poires de 25 ans d'âge et même plus devient l'essentiel de cette grande fête de la goule et accompagne un café serré.

Toutes les cinq minutes, on boit à la santé des mariés. Tout le monde se lève et braille ensemble :

« Faut boire, faut boire à sa santé

Tous les garçons, tous les garçons doivent l'embrasser ! »

 

Il y a les raconteurs d'histoires tendres ou un peu gaillardes et chacun doit chanter sa chanson. Angèle, un peu partie, se lance dans une ritournelle électorale dont le refrain est repris en cœur en tapant dans les mains et sur les tables :

« Pour qui votez-ti ?

Pour qui votez-t-on ? »

D'un clin d’œil ravageur, elle insiste sur « vos tétons ». Lucien n'en revient pas et reste bouche-bée.

Au milieu du repas on a offert à Jeanne « le gros colis ». Il contient beaucoup de papier journal qui enveloppe deux petites poupées, gestes symboliques pour lui rappeler ses fonctions de ménagère et de génitrice.

Au dessert, les femmes et servantes qui ont cuisiné le repas entrent solennellement et entonnent la chanson de la mariée :

« Vous n'irez plus au bal,

« Madam' la mariée

« Vous voilà donc liée

« Avec un fil d'or

« Qui ne rompt qu'à la mort,

« Acceptez ce bouquet

« Que ma main vous présente,

« C'est pour vous faire entendre

« Que tous ces beaux honneurs

« Passeront comme des fleurs... »

 

Ce n'est pas très gai mais on oublie vite. Après quoi un sabot à la main, elles font une quête dont le produit sert à les payer de leur peine.

 

 

On pousse alors les tables et les musiciens entrent en scène et jusque tard dans la nuit ils enchaînent valses, mazurkas, javas et scottishs. On rit, on chante, on s'embrasse, on est heureux.

Discrètement les mariés se sont échappés mais des coquins ont trouvé la cachette. Le lit a été mis en portefeuille et des clochettes ont été accrochées sous le matelas.

Au petit matin, on leur apporte la « routie » dans un pot de chambre, mélange bizarre de vin, d’œufs battus et de chocolat qu'ils doivent déguster sans sourciller.

 

A midi on finit les restes. Certains qui viennent de loin resteront encore un jour ou deux.

 

Dans la semaine, Jeanne et André entameront leur déménagement pour s'installer dans leur nouvelle maison. La vie reprend ses droits.

 

Ce fut un beau mariage !

 

 


 


 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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B
Merci pour ce texte si vivant et pour ces jolies aquarelles<br /> si fraîches qui animent parfaitement cette belle histoire de mariage.<br /> Cordialement.<br /> Nadia
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Y
merci pour votre lecture<br /> amitiés<br /> Yves