L'OEUF - SYMBOLE DE VIE

Publié le 26 Octobre 2020

 

 

Tout près du potager à Saint Jean, j'ai réaménagé le vieux poulailler de Louis et Marceline.

Perchoir, paille fraîche dans tous les nichoirs, mangeoire en self-service permanent, un vrai cinq étoiles pour que mes trois Rousses, deux Marrans noires aux reflets bleutés et la Coucou de Rennes au plumage gris bleuté se sentent bien à leur aise comme des « coqs en pâte ». Elles disposent du verger pour folâtrer et picorer toute la journée.

Toujours en matinée, je les entends chanter à tue-tête heureuse sans doute de nous prévenir qu'elles viennent de donner naissance à une merveille de la nature, symbole de la vie : un œuf !

 

 

 

 

A cette époque, dans la nuit des temps, le monde n'était pas encore né, ni les hommes, ni les animaux, ni les oiseaux, aucune pierre, pas même les minuscules insectes aux pattes fragiles. La terre et le ciel n'étaient pas encore éclos. Dans l’œuf aveugle, source du temps, ils apprenaient la vie.

Or cet œuf était posé sur la jambe d'Ilmata, l’Éternelle déesse de l'air et mère de l'eau.

C'est ce que conte la légende. Il faut écouter sa voix, elle vient du plus profond de nos esprits.

« Au fond de l'Océan sans rivage, la grande Mère dormait. Dans son sommeil, elle bougea et son genou rond surgit, semblable à une île luisante sur les eaux mouvementées.

Alors le maître de l'air tomba des cieux vides et déposa un œuf d'or sur ce divin genou d'Ilmata. Mais à peine effleurée, comme une ensommeillée qu'une mouche agace, la belle déesse frémit et dans son mouvement brisa la coquille parfaite.

Alors tous les morceaux se transformèrent en choses utiles et bonnes : le bas de la coque de l’œuf forma le firmament sublime, le dessus de la partie jaune devint le soleil rayonnant, le dessus de la partie blanche fut au ciel la lune brillante, tout débris taché de la coque fut une étoile au firmament, tout morceau foncé devint un nuage de l'air et désormais le temps avança ».

Ainsi parle le Kalevala, livre sacré des finlandais.

Celtes, Hindous, Chinois, et bien d'autres s'emparèrent du mythe semblable.

Fraîchement pondu, sans doute n'est-il pas de par le monde d'objet plus fascinant, plus précieux, plus sacré ?

L’œuf est une merveille !

 

 

Il est lisse, rond, sans aspérité, sans défaut. Il est l'image parfaite de la sérénité hermétiquement close sur le mystère de la création. Voilà sans doute pourquoi depuis l'aube de l'humanité, des foules de mages, druides, penseurs et autres contemplatifs frôlant la fine, douce et infranchissable fragile muraille muette y cherchent Dieu.

Sur sa nudité parfaite, tous les rêves, toutes les prières, tous les espoirs peuvent être inventés.

 

A Ur, en Mésopotamie où naquit Abraham vécut la reine Puabi (Shu-Bad). Dans son tombeau parmi les objets précieux, perles et bijoux, figurait un œuf d'autruche monté en coupe sur un trépied d'or, décoré de plaques de nacre, d'incrustations de pierres rouges et de lapislazulli.

En Grèce en Suède, en Russie on trouva des œufs d'argile dans les vieilles sépultures.

En Béotie dans l'ancienne Thèbes, ils étaient sculptés et posés dans la main de Dionysos.

Partout la signification était l'éternel retour de la vie au-delà de la mort.

Puis vint le Christ.

Dans les tombes des premiers martyrs, on découvrit des œufs taillés dans du marbre.

Au Moyen-Age, sur les étals dressés sur le parvis de Notre-Dame, on vendait, raconte la chronique, des œufs d'autruche que les fidèles offraient à l'église comme des cierges.

Dans certaines cathédrales, l’œuf était déposé le Jeudi Saint dans le tombeau rituel et retiré solennellement le jour de Pâques, jour de la Résurrection.

Dans le nouveau monde, chez les indiens des grandes plaines demeure éternellement une croyance qui dit que les orages sont enfermés dans les œufs d'un petit oiseau divin nommé « Esprit du Tonnerre ». Où ce petit être pond, la terre est fécondée, l'herbe pousse et les hommes sont heureux.

 

Ainsi depuis la nuit des temps anciens de la reine Puabi, malgré les tempêtes, les épreuves guerrières, l'usure du temps, l’œuf lisse et doux conçu au tour du potier divin est symbole de fertilité, de résurrection et de régénération du cycle de la vie. Par sa forme ovale il suggère l'infini.

A Pâques, jour du Christ ressuscité, les œufs sont fêtés par millions rappelant qu'en ces temps profanes le monde n'a pas perdu goût à la vie.

Autrefois, dans la tradition, les œufs étaient colorés de rouge, couleur solaire. Une autre explication remonterait à Marie Madeleine qui arrivant devant le tombeau vide de Jésus, aurait relevé sur les œufs qu'elle portait dans son panier, les traces de sang du Christ.

On les ornait aussi de dessins naïfs peints de couleur ciel, lune, feuillage ou terre. Selon de vieilles coutumes les œufs étaient cuits et teints avec des couleurs extraites de plantes, légumes ou fruits (pelures d'oignons, betterave, curcuma, épinards, chou rouge, café...).

Au temps des rois, ces « pères divins » les distribuaient au peuple.

Dans « Le Bestiaire du Christ »* il est écrit que « Louis XIV faisait bénir solennellement le jour de Pâques de grandes corbeilles d’œufs dorés qu'il donnait lui-même à ses courtisans, ses gardes, ses laquais et à tout le personnel domestique. »

 

 

De nos jours, pour cette fête sacrée on remplit d’œufs les caddies à la confiserie multicolore du supermarché pour s'en gaver, les croquer à s'en barbouiller la « lippe ».

Où est le geste créateur des vivants, où est le rêve sur la frêle coquille, clin d’œil à la vie renaissante. Oublié, perdu, étouffé dans le bonheur futile d'une consommation délirante et continuelle.

 

 

Henri Gougaud, le merveilleux conteur raconte que jadis en Provence, le jour où l'enfant se tenait pour la première fois tout droit sur ses jambes maladroites, son grand-père lui donnait un œuf frais pondu et lui disait : « voilà ton emblème d'homme ».

Il terminait son conte en disant « Prenez un œuf maintenant et essayez de représenter sur son échine lisse, cet inoubliable émerveillement toujours ressenti devant l'enfant tout à coup dressé sur ses pieds, prêt à marcher.

Vous inventerez, peut-être, l'image simple de vos espoirs ? Vous redécouvrirez, sans doute, sans le savoir un des plus vieux symboles de l'humanité. Mais assurément vous aurez vécu un moment de bonheur rare, subtil, un peu secret, presque inexplicable.

Vous aurez joué avec l’œuf du monde. »

 

* « Le Bestiaire du Christ »- L. Charbonneau-Lassay

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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M
Quel bonheur de vous lire encore une fois !<br /> Merci de tout cœur.<br /> Prenez bien soin de vous, et des autres bien sûr .????
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Y
Bonsoir <br /> merci pour votre message. <br /> Les ??? ne m'ont absolument pas empêchés de dormir. L'informatique a ses mystères. laissons les où ils sont.<br /> bien cordialement<br /> Yves
M
Petite remarque importante : je n’ai pas mis de points d’interrogation je vous assure.....Comment les petits symboles que j’ai mis sont devenus ces points d’interrogations, mystère et vraiment cela me chagrine. Bien à vous et encore merci pour le bonheur de vous lire.
P
bel article et ce soir je vais me régaler de bons oeufs cordialement
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