L'HOSPICE MAUDIT

Publié le 3 Octobre 2021

Le feu dans le clocher de l'hospice

 

 

Les 2 - 3 et 4 octobre 1935 un fait-divers a défrayé la chronique et mis en ébullition toute la population de la petite ville du Grand-Lucé dans les Vaux-du-Loir.

 

Quand pour la première fois, à l'heure paisible du dîner, le branle lugubre du tocsin donna l'alarme, dans chaque foyer on sut qu'il y avait le feu dans le village.

Ce soir là chacun quitta sa table et son fauteuil pour se précipiter vers le lieu du sinistre, une dépendance de l'hospice communal Bodin pour les vieillards, dirigé par les sœurs de la congrégation de la Providence.

Le bâtiment d'une vingtaine de mètres de long comprenait deux chambres, la morgue de l'hospice et un petit hangar servant de bûcher. C'est dans ce dernier, garni d'un pressoir et de rondins de bois sec que le sinistre avait pris naissance.

Les flammes eurent vite fait d'atteindre le toit qui s'effondra malgré l'arrivée rapide des secours.

Une forte brise rabattait les flammes vers la chapelle. Craignant le pire, on appela en renfort les pompiers du Mans et tard dans la nuit, tout danger sur les bâtiments voisins du sinistre fut écarté.

 

 

 

L'enquête commença...

 

 

 

 

On venait juste de terminer la reconstruction de la buanderie de l'hospice détruite en juillet de cette même année par un incendie criminel. Un journalier, simple d'esprit avoua le forfait. Mais cette fois, le pauvre bougre n'y était pour rien, étant, depuis l'affaire, interné dans un asile d'aliénés du Mans.

Poursuivant leurs investigations les gendarmes visitèrent de fond en comble l'hospice et découvrirent au-dessus du bâtiment principal entre deux malles les débuts d'un autre incendie allumé à l'aide de journaux et de vieux sacs qui, fort heureusement, n'avait pas pu se développer.

Une main criminelle tentait mystérieusement d'incendier l'hospice.

 

Vengeance sénile d'un pensionnaire ?

Impossible, l'hospice compte quatorze personnes âgées qui finissent là leurs jours dans une quasi inconscience, douze femmes et deux hommes dont l'un est aveugle et l'autre paralytique.

 

Rancune d'une employée ?

 

Deux femmes sont au service de l'établissement, la cuisinière et une jeune bonne de dix-huit ans, nièce de l'une des religieuses attachées à l'hospice. Toutes deux donnaient entière satisfaction et on les jugea incapables d'un tel acte. On interrogea les religieuses, les ouvriers qui réparaient la buanderie incendiée en juillet, la sœur Supérieure, sans résultat.

 

La reconstruction du clocher

 

Au lever du jour, le lieutenant des pompiers retourna sur les lieux pour poursuivre ses recherches d'indices. Il venait de repartir quand, à huit heures trente pour la seconde fois le tocsin résonnait.

 

Au feu !

Ou ?

A l'hospice !

Pas possible ???

 

Cette fois l'incendie avait éclaté dans le clocheton au-dessus de la chapelle qui se mit à flamber comme une torche. Le feu attisé par un vent violent rabattait les flammes vers la toiture puis celle du bâtiment principal. Des maisons voisines risquaient d'être atteintes. On fit de nouveau appel aux pompiers du Mans et vers dix heures tout danger était écarté.

Le clocheton n'était plus qu'une carcasse à laquelle la cloche restait miraculeusement accrochée.

 

Les pompiers découvrirent dans le grenier plusieurs foyers d'incendie, sur une valise, dans une vieille armoire et sur un vieux tapis.

Quelle main criminelle pouvait agir ainsi aussi rapidement sans être découverte ?

 

Le parquet du Mans se mêla de l'affaire. On fit appel à la Brigade mobile de Rennes qui envoya deux de ses meilleurs agents.

Les magistrats tentèrent de découvrir le moindre indice, interrogèrent de nouveau sœur Saint-René, la Supérieure, sans résultat probant. A l'heure du déjeuner tous allèrent rejoindre monsieur le Maire à l'auberge voisine.

Entre la poire et le fromage, à l'heure où les enquêteurs peaufinaient leurs hypothèses, pour la troisième fois le glas du tocsin résonna au dessus du village.

Le greffier faillit en avaler sa petite cuillère.

 

Au feu ! au feu !

Où ?

A l'hospice !

Encore !

Monsieur le maire s'écria alors que le diable avait pris possession des murs de la ville.

 

Il était devenu clair qu'une personne s'acharnait à faire le mal, à détruire, semer la panique, se jouer de la justice dans ce lieu voué au dévouement. L'établissement étant bouclé celle-ci n'avait pu le quitter. Mais alors qui ?

 

La foule s'était rassemblée dans les rues. L'indignation et l'exaspération se lisaient sur les visages.

Grondante de colère, elle voulait savoir. Si le diable s'était introduit dans ce lieu de charité et avait possédé celle dont jusqu'à ce jour les soupçons s'étaient détournés, il fallait réagir et sévir même si la coupable était l'épouse de Dieu.

 

Soeur Saint-René entourée des gendarmes dans les rue du Grand-Lucé

 

On se mit à crier, à hurler, à vociférer. Les rues étaient en ébullition.

« Qu'on arrête la Supérieure, ce ne peut être qu'elle. Elle est âpre au gain, rancunière, orgueilleuse. Elle en veut au maire qui lui a refusé des aides pour la construction d'un réfectoire ! »

Des cris de plus en plus violents montaient.

« Si vous ne l'emmenez pas, nous irons la chercher !» vociféraient certains.

 

Protégée par les gendarmes, sœur Saint-René, livide sous sa cornette, les lèvres tremblantes, échappa de peu au lynchage et fut conduite à la gendarmerie pour y être interrogée.

Sur le parcours des femmes tout en l'insultant tentaient de lui arracher sa croix, d'autres hurlaient : « vous avez déshonoré le Christ ! »

 

A la brigade, on lui exposa des faits troublants.

Pourquoi avait-elle demandé l'évacuation de la chapelle peu de temps avant l'incendie ? Comment expliquer le début d'un incendie dans la chambre face à la sienne dont elle avait la clé ?

Impassible, elle répondit, laconique, à toutes les questions : « Je suis innocente. »

 

Le soir même, elle quittait sous escorte l'hospice. On l'emmena vers la paix du couvent et l'oubli à Ruillé-sur-Loir où la congrégation de la Providence a sa communauté. Une nouvelle Supérieure fut désignée.

 

Le calme étant revenu au Grand-Lucé, l'affaire aurait pu en rester là mais l'enquête se poursuivait.

Un article de l'Ouest-Éclair du 5 avril 1936 apprenait aux citoyens que le juge d'instruction Guillemeau lançait un mandat d'arrêt contre l'ancienne cuisinière, Maria Louise C., 18 ans qui avait quitté le Grand-Lucé après les faits.

 

Arrêtée le 2 avril à Montauban-de-Bretagne, elle fut transférée à la prison du Vert Galant au Mans. Interrogée en présence d'une avocate commise d'office, elle ne cessa de protester de son innocence. Les confrontations avec la mère Supérieure et les autres religieuses ne donnèrent aucun résultat.

Le jeudi 29 octobre 1936 Maria Louise C. fut mise en liberté provisoire.

Le 10 janvier 1937, innocentée, elle bénéficiait d'un non-lieu.

 

Malgré les lourdes présomptions, peut-être injustes, qui pesaient sur ses épaules, sœur Saint-René, l'épouse de Dieu que la colère publique accusait, s'abrita définitivement derrière les murs de la communauté de la Providence. Désormais, elle n'eut plus de comptes à rendre, d'oubli ou de miséricorde à demander qu'à son maître.

 

L'assurance dut rembourser les 35000 francs de dégâts. On ne sut jamais qui avait réellement embrasé l'hospice Bodin du Grand-Lucé.

 

 

Plusieurs articles publiés notamment dans le Détective N° 364 du 17 octobre 1935 ainsi que le journal Ouest-Eclair d'avril, mai, juin 1936 et janvier 1937 m'ont fourni la matière pour ce billet de fait divers brûlant.

 

 

 

 

 

Passez une bonne semaine !

 

Amitiés

 

 

Yves

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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