EMILE RACONTE 14 - LE VICOMTE, MON GRAND AMI

Publié le 29 Janvier 2022

Belles dames et Hotchkiss 1936 -aquarelle Yves de Saint Jean

 

 

 

« Méfie-toi des aigrefins qui se réclament auprès de toi d'un lien de parenté lointain. » - Proverbe

 

 

 

 

Début d'automne, époque de l'ouverture de la chasse, Gaston Chantourge, propriétaire du domaine de Fosseroide, annonce à sa femme Madeleine qu'il a prévu d'inviter son nouveau et grand ami le vicomte de la Pérardière à venir passer une fin de semaine avec son épouse Elisabeth.

 

Gaston, qui a fait fortune dans les pièces d'équipement pour l'industrie automobile, alors en plein essor, a rencontré le Vicomte à un moment où il s'est subitement découvert une passion pour les chevaux mais aussi et surtout pour les champs de course, lieux où il peut satisfaire son « ego » démesuré et y croiser célébrités, officiers en uniforme, hommes d'affaires, élégantes chapeautées mais aussi, hélas, aigrefins en tout genre. Ainsi, chaque semaine, il va s'encanailler et jouer en cachette de son épouse.

 

« Noblesse oblige, dit-il à Madeleine à l'heure du dîner, tu comprends qu'avec notre situation actuelle il nous faut tenir un certain rang. Le vicomte est un homme honorable, avec des relations haut placées, de bonnes manières, riche et qui sait, il pourrait nous aider à dénicher un beau parti pour notre Caroline adorée. Je lui ai prévu en matinée un parcours pour débusquer quelques lièvres et faisans. »

 

 

 

Belle demeure - aquarelle Yves de Saint Jean

 

 

Quelques coups de téléphone plus tard, la date fut officialisée et le vendredi par le train de 17h42 arrivant du Mans, le vicomte et son épouse débarquaient avec armes et bagages.

Une demi-heure plus tard, par une superbe journée ensoleillée, l'Hotchkiss 1936 vert bouteille flambant neuve se garait devant le perron du manoir.

Marie Picassé et Germaine Tribat venue aider Jeannette pour la cuisine, le ménage et le service se saisirent des bagages pour les monter dans la chambre attribuée aux invités.

Dans le grand salon il y eut de grandes démonstrations, compliments et embrassades.

 

« Mes chers amis, vous allez dormir dans la chambre, tapissée en toile de Jouy, où aurait séjourné la reine Marie Amélie de passage dans la région. Sur la cheminée vous avez la pendule et ses candélabres en argent massif et dans l'armoire vitrée toute une série de bijoux et pierreries, une tabatière et un coquetier en or ayant appartenu au défunt Napoléon et un peigne avec des diamants à Joséphine.

Dans la bibliothèque des livres avec des signatures de célébrités et sous le petit bureau en acajou un petit tiroir à secrets où l'on peut ranger les bijoux de madame et les valeurs sonnantes et trébuchantes. Comme ça, on est protégé des voleurs.

Pour vos ablutions vous avez la salle de bain tout équipée moderne avec l'eau chaude et froide.

Prenez votre temps, vous êtes chez vous, on vous attend au salon ! »

 

 

Croquis à l'encre Yves de Saint Jean

 

 

Le dîner fut à la hauteur : champagne à l'apéritif, petits fours, foie gras. A la cuisine, Jeannette s'était surpassée : vol-au-vent champignons et poulet, filet de chevreuil sauce grand veneur, pommes de terre, plateau de fromages, salade de mâche, tarte aux pommes à la confiture de coing le tout arrosé d'un blanc sec de Jasnières et d'un Chinon 1928, millésime exceptionnel.

 

Au salon, réchauffé par un feu dans la cheminée, café mais tisane pour la vicomtesse, Cognac 50 ans d'âge et cigares arrivés directement de Cuba pour messieurs.

On discuta politique, affaires. Intarissable, le vicomte parlait de ses lointaines parentés, vantait ses nombreux succès et ses relations ministérielles. Gaston était aux anges, parfois un peu surpris de certaines réponses évasives de son invité. Sans doute par discrétion ou un peu de fatigue, pensa-t-il.

 

 

Partie de chasse dessin au brou de noix Yves de Saint Jean

 

 

Le lendemain matin au lever du soleil, Gaston et le vicomte accompagnés de Germain Picassé, Bernard Tribat et Athanase Boussan le garde chasse prirent la direction des champs.

La campagne respirait la quiétude. Une légère brume montait des prairies où quelques vaches les regardaient passer d'un œil surpris.

Les deux épagneuls de Germain et Bernard et le setter couleur feu d'Athanase gambadaient devant le groupe de chasseurs faisant d'interminables allers et retours, jugeant, sans doute, qu'ils ne marchaient pas assez vite.

 

Le vicomte ne montra pas un grand talent de tireur. Un mauvais jour sans doute. En fin de matinée, le tableau de chasse montrait quatre faisans, deux lièvres et trois perdrix.

En remontant la grande allée, la cloche du château retentit, les appelant pour le déjeuner.

Germain, Bernard et Athanase furent invités à l'apéritif servi sur la pelouse. Il faisait un temps splendide.

Aussitôt après le café, les deux couples firent une petite promenade dans le jardin puis le vicomte et son épouse montèrent dans leur chambre pour boucler leurs bagages. Ils devaient prendre le train de 18h22.

 

Les adieux furent accompagnés de tous les remerciements et compliments possibles, moultes accolades et bises sur les joues pour les dames. On allait se revoir, se téléphoner. Quel monde merveilleux !

Jeannette et Marie chargèrent les bagages, Gaston s'installa au volant.

L'Hotchkiss démarra.

 

 

Le train en gare - croquis à l'encre Yves de Saint Jean

 

 

Sur la grande route, à peu de distance de la gare, un barrage installé par la gendarmerie bloquait la circulation. Plusieurs voitures et charrettes étaient arrêtées, les gendarmes les fouillaient.

Un jeune lieutenant accompagné d'un gendarme s'approchèrent de l'Hotchkiss et saluèrent les passagers.

 

« Bonjour madame et messieurs, gendarmerie, contrôle des véhicules » dit-il d'un ton poli mais ferme.

« Que se passe-t-il ? » s'inquiéta Gaston.

« On nous a signalé un trafic de goutte, merci d'ouvrir votre coffre ! »

« Je peux vous dire qu'on n'a rien de tout ça, je suis Gaston Chantourge de Fosseroide et voilà monsieur le vicomte de la Pérardière et sa dame que je reconduis à la gare avec des faisans et un lièvre. »

« Je vous félicite mais j'ai des ordres, monsieur, ouvrez votre coffre ! »

Gaston fut bien obligé de s'exécuter.

« Merci de m'ouvrir les valises ! »

« Mais puisque que je vous dis...»

« Ouvrez ! »

Devenu subitement livide et tremblant le vicomte obtempéra.

 

Le choc fut brutal. Gaston n'en crut pas ses yeux. A la limite de l'apoplexie, les jambes flageolantes, il faillit en tomber à la renverse.

Dans les valises, il n'y avait certes pas de goutte, mais le coquetier et la tabatière en or, les bracelets endiamantés, les candélabres en argent massif, des pièces d'or et des valeurs en billets du tiroir secret...

Gaston ne pouvait plus parler, les bras le long du corps comme évanoui.

 

Profitant du trouble occasionné par la découverte, le vicomte (aigrefin des champs de course) attrapa sa femme par le bras et laissant tout le butin ils s'enfuirent tous deux en courant vers la gare.

 

Depuis ce temps là, à Fosseroide, on n'invite plus les grands amis à la chasse et Caroline adorée n'est toujours pas mariée.

 

 

« Un bon escroc est un farceur ironique qui se joue de la distraction, de l'impertinence, de la naïveté ou de la nervosité de ses contemporains »

Henri Jeanson

 

 

Pays - Sage - aquarelle Yves de Saint Jean

 

 

Je vous souhaite la meilleure semaine possible !

 

 

Yves

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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