EMILE RACONTE 18 - QUEL BAZAR !

Publié le 29 Mai 2022

 

 

Depuis quelques semaines l'ambiance est devenue mouvementée dans le village. Certains incriminent la pleine lune qui va jusqu'à empêcher de dormir, d'autres pensent que le modernisme embrouille les esprits. Chaque jour apporte une nouvelle turbulence. De mauvais esprits certifient que les vaches font du lait caillé et comble de tous les malheurs qui s'enchaînent même les coqs se mettent à pondre.

La politique n'étant pas loin, l'opposition s'est emparée de l'agitation, et affirme que l'apocalypse qui se profile provient de la gestion désastreuse des affaires publiques du maire qui n'est pas à la hauteur. Alors pour tenter de calmer les esprits, Anastasie, va chaque matin implorer Saint-Lubin en brûlant un cierge et le jeune curé envisage une procession dans les rues et les chemins du village.

 

Tout a commencé le lundi matin avec le jeune prêtre nouvellement nommé sur la paroisse mais peu au courant des us et coutumes locales. La veille, il avait reçu en confession plusieurs femmes dont l'épouse du maire. Demandant pardon au seigneur, elles ont avoué avoir glissé sur le chemin du lavoir, expression savoureuse et mystérieuse qu'il est plus facile de prononcer au lieu de murmurer derrière le fin grillage du confessionnal « j'ai fait cocu mon bonhomme avec le gars Gaston ou Firmin... »

Pensant, naïvement que les chemins de la commune manquent d'entretien, le jeune curé s'est alors fourvoyé en allant se plaindre au maire lui expliquant qu'il y avait urgence à remettre au travail ses cantonniers sur ses chemins et notamment sur celui du lavoir qui doit être si impraticable que régulièrement des femmes y glissent : « Rien que la semaine passée votre femme y a dérapé trois fois, lui dit-il ».

Le sang du maire ne fit qu'un tour renvoyant notre jeune « calotin » à ses prières tout en lui précisant, au passage, qu'il s'interrogeait sur les heures supplémentaires de sa jeune bonne.

Embarrassé et conscient d'avoir commis une grave erreur, le jeune curé est allé confier sa bévue auprès du vieux prêtre qu'il doit remplacer.

« Mon fils, vous auriez dû venir me demander conseil, prendre votre temps, écouter. Je suis ici depuis tellement longtemps. La sagesse paysanne est faite de sous-entendus qu'il faut savoir interpréter. Et puis que faites-vous du secret de la confession ?

Nous portons le message de l'Evangile. Notre mission est de servir de trait d'union entre les générations, d'accompagner, d'être des confidents, des conseillers de familles qui cherchent des solutions ou de tenter de remettre sur le droit chemin, dans la paix du Seigneur, des individus en errance.»

Sur la place du village se côtoient dans le respect de chacun le temporel et le spirituel. Le comportement du jeune prêtre a jeté un froid dans les relations. Il fallut, alors, tout le talent diplomatique du vieux curé, pour éviter que le maire n'envoie un courrier à l'Evêque.

« Mon père, je ne me suis jamais permis d'interférer dans votre ministère, qu'on en fasse de même à mon encontre » conclut le maire en terme d'avertissement.

 

 

 

 

Le même jour, sur le coup de midi, le facteur frappant à la porte de la mère Chartier pour lui remettre une lettre surprit celle-ci toute nue sur le pas de sa porte avec son garçon de ferme, au fond de la pièce, entrain de remettre son caleçon. Elle lui a certifié que c'est le jour où on change de linge et qu'à cause de son rhumatisme depuis le cou jusqu'au bas du dos elle a demandé de l'aide à son employé. La nouvelle, portée par le facteur fit rapidement le tour du village et le lendemain matin, la clôture du jardin des Chartier fut décorée de magnifiques bois de cerf.

 

Le lendemain matin, le maire reçut la visite de la maréchaussée. Alberto, d'origine espagnole, journalier de son état, travailleur sérieux mais jaloux comme un coq, s'est mis dans la tête que le boucher fait les yeux doux à sa femme. N'y tenant plus, il est allé à la ville chez l'armurier commander un pistolet « pour touyé le boucher ». Le commerçant a prévenu les gendarmes et Alberto a passé la nuit derrière les barreaux. Après de longues discussions, le maire a réussi à le faire libérer. On lui a demandé de s'excuser. Il a accepté mais reste sous surveillance.

 

Le jeudi, Lazare, le mari d'Ernestine l'épicière, souvent entre deux vins et deux bistrots s'est endormi au bord d'un chemin sous un pommier. Le trublion Léon et sa bande lui ont alors coupé sa moustache d'un seul côté. Lazare est rentré à la maison en pleurant. Ernestine l'a mis au lit sans manger.

 

 

Samedi, nouvelle déconvenue pour le maire, la femme de son premier adjoint s'est fait prendre sur le marché de la ville à chiper des petites culottes sur un étalage.

A l'approche des élections, l'opposition a voulu marquer l'événement en allant fleurir les tilleuls de la place et les fenêtres de la mairie avec des caleçons, des jupons, et des soutiens-gorge.

 

Une histoire de chien a envenimé les relations entre Germain Picassé de Tournelune et Constant Derouinau de la Tuffière, deux fermiers voisins séparés par le chemin communal. Le bâtard de ce dernier, un corniaud, vrai loubard des campagnes, teigneux et mal peigné a eu le toupet de venir conter fleurette à la chienne Epagneul de pure race avec pedigree de Germain. Celui-ci est un sanguin qui « monte vite dans les tours ». Il a alors accusé Constant de coucher avec sa bonne et de courtiser sa femme.

« Ta bonne, elle a des moustaches et ta bonne femme, elle sent le crottin » lui a répondu Constant en rigolant.

Vexé, Germain, lui a promis son poing sur la figure. Les cris ayant attiré le voisinage, on courut chercher le garde champêtre qui pour calmer les choses menaça de dresser procès verbal aux deux belligérants.

 

 

 

 

C'est alors qu'éclata l'affaire qui devait conduire le maire à convoquer le juge de paix, maître Alfred Graignou accompagné de Gaston Bourriau, son greffier, pour arbitrer un différent qui prenait chaque jour de l'ampleur.

Adélaïde Derouineau avait déposé plainte contre Germain Picassé ou plutôt contre l'âne de ce dernier.

On convoqua les belligérants à la maison commune et comme la séance était publique tout le village s'invita pour suivre les débats.

Quand la salle fut pleine, Prosper Radelon, le garde champêtre, ferma les portes et s'écria :

 

« Debout tout le monde, silence vous tous et décoiffez-vous, la justice va entrer avec sa balance et causer ! »

Il ouvrit alors un grand cahier et chaussant ses lunettes, il déclara :

 

 

 

« Par devant nous comparaissent Germain Picassé logeant à Tournelune, assigné pour expliquer la conduite de son âne, âgé d'une trentaine d'années qui aurait eu un comportement inapproprié envers la « bique* » d'Adélaïde Derouineau en lui sautant sur le dos et par la même en lui abîmant une patte. »

 

« Maître Germain Picassé levez-vous et éclairez le tribunal ».

 

« Messieux, dit-il, vous me connaissez depuis longtemps. C'est moi qui gagne tous les concours avec mes verrats et ma femme avec ses oies, je vous jure que c'est la chèvre de la Derouineau qu'a tort. Tous les quatre matins, c'est elle qui vient agacer mes verrats qui passent dans le chemin. »

 

« Ca c'est bien vrai dit Prosper Radelon, le garde champêtre à qui on n'avait rien demandé. L'autre jour que je passais dans le chemin, elle m'a poursuivi jusque sur la grande route. Elle ne supporte personne comme la Derouineau. »

 

Il y eut un grand éclat de rire dans la salle.

 

« Silence, silence qu'on amène les témoins dit Alfred Graignou, le juge de paix. »

On fit entrer Justine Gobineau, fille majeure, témoin supposé de l'attentat.

 

« Fille Gobineau, racontez-nous ce que vous avez vu. »

 

« Ben moi, m'sieur, je n'sais rien ou pas grand chose. J'ai bien vu la bique à la Derouineau qu'était dans la haie de ronces mais le bourricot de Picassé était à paître bien tranquille dans sa luzerne, les oreilles rabattues comme une personne qui a la conscience tranquille. Mais si ça ne vous fait rien monsieur le juge je voudrais rentrer chez moi j'ai attrapé froid sur le chemin du lavoir que ça me court partout avec la fièvre. Monsieur le maire est au courant.»

 

 

 

 

Un murmure parcourut la salle, il y eut des commentaires, monsieur le maire, la Gobineau, le chemin du lavoir, la chèvre, l'âne... l'assemblée s'agita. La confusion dans les esprits s'installait.

Le juge de paix agita frénétiquement sa clochette et tapa avec son marteau sur son bureau.

 

« Silence, silence, cria-t-il ! C'est bien, fille Gobineau, votre déposition va nous servir. Allez vous moucher et faites-vous un bon cataplasme. Mesdames et messieurs, les débats vont continuer et la justice va prendre sa balance... »

 

C'est à ce moment qu'Adélaïde Derouineau se leva d'un bond toute colère en pointant du doigt le maire et le juge de paix.

 

« Vous commencez à « m'achaler* » avec votre justice et ses balances depuis des heures qu'on parle pour ne rien dire.

Voyons monsieur le juge et vous monsieur le maire. Supposons que je suis une chèvre et que vous, vous êtes des ânes. Moi, je suis bien tranquille dans mon pré à brouter. Vous passez et une envie de « ginguer* » vous prend subitement ! Vous sautez par dessus la haie pour venir me sentir le museau et « m'agricher* ». Résultat, j'ai une patte amochée, qui va payer, hein ? »

 

« Silence, femme Derouineau, coupa court le juge, peu joyeux de toutes ces comparaisons, le Tribunal va réfléchir et prendra le temps pour confondre celui qui a tord. »

 

A ce jour, le juge de paix n'a pas encore répondu, le village est toujours partagé, les turbulences continuent, Le maire attend les élections.

 

Quel bazar !

 

 

« La vie est courte, l'art est long, l'occasion fugitive, l'expérience trompeuse, le jugement difficile. »

Hippocrate

 

* Bique : chèvre

* Achaler : énerver

* Ginguer : gigoter

* Agricher : attraper

 

 

Bonne semaine !

 

Yves

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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