LES COQS DE CLOCHERS

Publié le 24 Septembre 2022

 

 

Dans les années 1955-1960, le charpentier du village avait été mandaté pour restaurer la charpente et donner une nouvelle jeunesse à la couverture du clocher de notre église.

Louis, mon grand-père avait participé à cette rénovation.

Comme le veut la tradition, le charpentier était passé auprès de chaque habitant et à la maison pour présenter le personnage qui, après bénédiction par le prêtre, allait de nouveau veiller sur les villageois comme il l'avait fait des siècles auparavant :

Le coq du clocher.

Haut comme trois pommes à l'époque, je me souviens très bien de cet événement.

 

Empanaché de rubans tricolores, il fut remis en place. A l'intérieur on a glissé un message pour les générations futures puis, fixé sur sa hampe, on lui fit faire trois tours sur son axe : un pour le curé et les chrétiens, un pour le maire et les habitants et un pour le charpentier couvreur.

On a veillé attentivement à ce qu'il tourne librement sur son axe, car il est arrivé que des couvreurs mécontents de leur salaire bloquent le coq sur la croix, au grand dam des villageois qui n'ont plus qu'une « girouette fixe ! »

 

Devenus objets si familiers, il nous vient rarement à l'esprit de nous interroger sur ses origines et des motifs qui ont poussé les hommes à placer au sommet de leurs édifices consacrés ce singulier volatile ?

 

 

petit croquis aquarellé Yves de Saint Jean

 

 

Le coq au sommet du clocher des églises est appelé « cochet ». Il fait office de girouette et indique la direction du vent. Si on ignore la réalité de l'origine de cette représentation du coq au faîte des clochers de nos villages, sa véritable fonction va bien au-delà d'une simple indication météorologique.

 

Voici quelque trois mille ans, les Chaldéens avaient déjà imaginé une relation entre le coq, annonciateur de l'aurore, et la planète Mercure, reprise plus tard par les adeptes de l'Alchimie pour désigner le métal correspondant connu à l'époque sous le nom de « vif argent ».

En Arabie, le coq suggérait aussi l'idée de résurrection. Pline, le latin, certifiait que le coq connaissait les étoiles et coupait la journée par son chant.

D'autres affirment que les girouettes étaient connues en Grèce.

 

Les chrétiens ont été les premiers à placer cet emblème sur les temples où ils se rassemblaient au chant du coq.

Son rôle serait de désigner les églises « orientées » c'est à dire tournées vers l'Orient, le soleil levant, l'Est.

Si l'édifice n'est pas tourné vers l'Est pour un motif particulier, le coq est absent du clocher. Il est remplacé par une étoile, un croissant de lune ou encore un globe ou un soleil flamboyant. Ainsi l'étoile indique que l'église a été bâtie dans l'axe d'une étoile fixe voire d'une planète.

Ces explications sont assez rares car, selon la règle, tout édifice religieux chrétien doit avoir son maître-autel dirigé vers le point de l'horizon où le soleil apparaît le jour de la fête du saint patron auquel il est dédié. Si l'église est orientée, elle aussi, vers l'est, le maître-autel est placé dans l'axe de la nef. Si le sanctuaire n'est pas orienté vers l'est, le maître-autel est décalé afin qu'il soit dirigé dans la bonne direction.

 

 

 

Le coq de Brescia

 

 

Eucher, moine à Lérins puis ermite dans le Luberon et enfin évêque de Lyon de 435 à 449, décrit un coq « revêtu de parure d'or, résistant à tous les souffles du vent qu'il brave sans défaillance ».

L'apparition de cette pratique remonte, dit-on, au 9ème siècle puisque le plus ancien coq de clocher se trouve à Brescia au nord de l'Italie.

En 820, Rampert, (Ramperto de Brescia), évêque de Brescia, fait fondre un coq de bronze, de cuivre, d'or et d'argent et le place au sommet de son église de Santi Faustino et Jovita.

Enlevé de son poste en 1891, conservé au musée de Santa Giulia, il est pratiquement intact. Remontant au début du 9ème siècle, le « coq Ramperto » peut être considéré comme le plus ancien coq girouette avec un âge de près de 1200 ans.

Le pape Léon IV (847-855) approuve Rampert et fait de même pour la basilique Saint Pierre, tandis qu'un autre ecclésiastique, au 10ème siècle, décrit « un coq de forme élégante tout resplendissant de l'éclat de l'or ».

 

Vers l'an mille apparaît sur la tapisserie de la « Reine Mathilde » à Bayeux, un artisan achevant de poser un coq sur l'église abbatiale de Westminster dont parle le poète anglais

Wotan ou Walstan : « seul il a aperçu le soleil à la fin de sa course se précipitant dans l'océan, et c'est à lui qu'il est donné de saluer les premiers rayons de l'aurore... »

 

 

Tapisserie de Bayeux

 

 

Universel symbole solaire, son chant annonçant le lever du soleil et l'arrivée du jour, on a pu croire longtemps que c'était lui qui le faisait naître.

Oiseau de lumière, le coq serait alors l'emblème du Christ et de l'intelligence de Dieu :

« l'oiseau annonciateur du jour qui appelle les âmes à la vie chrétienne ». C'est le moment où les ténèbres se dissipent et la lumière s'impose. Un épisode qui peut être traduit comme le triomphe du bien sur les démons de la nuit, comme la victoire de la vie sur la mort, symbole pour certains de Résurrection.

 

La plupart des églises d'Occident possèdent donc, dès le Moyen Age, au sommet de leurs clochers de bois une croix de fer surmontée d'un coq servant en même temps de girouette.

En quel lieu et qui forgeait autrefois ce symbole chrétien du lever du jour et de la vigilance ?

On peut supposer que placés épisodiquement sur les édifices, il semble logique de penser que ces objets ne furent jamais fabriqués en série. Ils étaient probablement confectionnés par des artisans locaux tels que les dinandiers, serruriers, ferronniers, sculpteurs sans oublier les habiles forgerons de village souvent sollicités.

 

 

 

Aquarelle Yves de Saint Jean

 

 

 

Morphologie d'un coq de clocher

 

Les variations concernant la morphologie externe des coqs sont nombreuses et sans règles définies, silhouettes et décorations n'étant pas des critères suffisants de datation. Comme il existe de rares témoignages écrits concernant la mise en place ou la réparation des coqs, il est difficile de leur attribuer un âge.

Il n'est en général jamais réalisé d'une seule pièce. Il est formé, le plus souvent, de deux éléments renflés, accolés à l'aide, d'une soudure (rarement) ou de minuscules rivets, technique qui caractérise les coqs anciens.

Ils peuvent aussi résulter, par simplification, de la découpe plus ou moins fine d'une plaque métallique ou bien encore d'une superposition de lamelles variées.

La plupart du temps le corps d'un coq de clocher est creux et peut contenir des reliques, ainsi le coq de la cathédrale Notre-Dame de Paris, descendu pour restauration, contenait des ossements.

L'ornementation est sobre. Les yeux font l'objet de soins particuliers : ils peuvent être suggérés à l'aide de cristaux ou simplement par des verres à facettes, des perles ou des cabochons de gemmes d'améthyste ou de calcédoine.

Sa taille est comprise entre 40 et 80 cm et la hauteur moyenne se situe entre 30 et 40 cm, l'épaisseur étant voisine de 15 cm environ.

 

Son poids peut varier de quelques centaines de grammes à plusieurs kilos.

En 885, un coq de bronze conservé à la sacristie de Saint-Pierre de Rome pesait le poids considérable de 44 kg.

 

Les métaux ont été employés purs : argent, or, fer, cuivre ou rarement étain ou bien en alliages sous forme de bronze ou de laiton. Avec le temps, ils ont pris une belle patine vert-de-gris.

Il existe de très rares cas de coqs en bois.

Quand ils sont percés de trous, cela ne veut pas dire forcément que des balles les ont atteints lors des guerres que nous avons subies, mais plutôt que les conscrits, comme c'était la coutume, les ont pris pour cible aux soirs arrosés des conseils de révision.

 

La dispersion progressive des anciens coqs de clocher est inéluctable. Elle découle de l'usure de l'objet lui-même, de l'oxydation du support, des tempêtes, de la foudre.

Devenus objets d'antiquités, ils ont été très recherchés pour orner une construction ancienne, un jardin ou montés sur un socle pour devenir objets décoratifs pour la maison.

Autrefois, quand le couvreur rénovait le toit du clocher, il gardait par devers lui le coq abîmé sans y attacher un grand prix. C'est ainsi que l'on a pu trouver chez les antiquaires et brocanteurs, des coqs datant du 18ème et du 19ème siècle.

Depuis plusieurs années, on connait mieux la valeur des objets de notre patrimoine. Les rénovations sont faites conjointement par les municipalités et les monuments historiques. Les coqs doivent légalement être déposés en mairie et sont jalousement conservés.

 

Le coq de nos clochers est l'intermédiaire entre le ciel et la terre. Il est toujours face aux vents, aux difficultés de la vie, aux dangers qui nous entourent et il nous recommande de rester vigilants.

 

Cocorico !!!

 

 

Aquarelle et pastel Yves de Saint Jean

 

 

Pour terminer ce billet, j'ai trouvé ce poème de Louis Aragon (Le Nouveau Crève Coeur -1948)

 

« Oiseau de fer qui dit le vent

Oiseau qui chante au jour levant

Oiseau bel oiseau querelleur

Oiseau plus fort que nos malheurs

Oiseau sur l'église et l'auvent

Oiseau de France comme avant

Oiseau de toutes les couleurs. »

 

 

Enfin, je vous invite à regarder cette vidéo d'un grimpeur de clocher à couper le souffle.

 

https://www.youtube.com/watch?v=1nBsLsy-9kA

 

 

 

La semaine prochaine nous partirons à la découverte d'un compositeur des Vaux-du-Loir : Léo Delibes !

 

En attendant bonne et agréable semaine !

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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