LA POMME ET SES SYMBOLES

Publié le 15 Octobre 2022

Adam et Eve par Lucas Cranach l'ancien (1472-1553)

 

 

 

 

Dans un billet daté du 21 novembre 2021, j'avais abordé le sujet de la pomme, fruit emblématique des Vaux-du-Loir et du sud de la Sarthe dont la cueillette va se poursuivre cette année encore plusieurs semaines.

J'y décrivais, succinctement, les problèmes liés à sa culture, l'évolution des vergers, les différentes variétés ou les perspectives culturales.

J'avais alors promis de revenir sur ce fruit dont la symbolique est d'une richesse extraordinaire puisqu'on lui impute le très fameux désastre qu'appela la gourmandise d'Adam et Eve, réputés impénitents croqueurs de pommes, expulsés du Paradis.

Si les traditions populaires du Haut Moyen Age ont jeté leur dévolu sur la pomme pour en faire le fruit d'Eve et d'Adam, elles en donnent pour témoignage la saillie que fait chez l'homme le premier cartilage du larynx. Séduite par l'aspect engageant de la pomme, Eve la mangea, ne laissant à Adam que le trognon qui lui resta en travers de la gorge, formant ce qu'on appelle la « pomme d'Adam ».

 

 

 

Adam et Eve par Tiziano Vecellio vers 1550

 

 

 

Fruit de la connaissance

 

 

Mais avant toutes choses il faut revenir sur une ambiguïté fondamentale : jamais la Bible, dans la Genèse, n'a parlé de pomme en ce qui concerne le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

 

Dans sa traduction française « pomum » (pomum habeo : j'ai un fruit), désigne l'ensemble des fruits à graines et pépins sur lesquels règne la déesse Pomona. Aussi pomum peut-il désigner autant la pomme que la poire, la grenade, la figue, le coing etc. Par contresens et glissement sémantique, on en est venu à traduire le mot pomum par pomme, « un sens exclusif qu'il n'eut jamais ». Mais pomme en latin se dit « malum » et malum c'est aussi le mal. On comprend alors un peu mieux pourquoi la pomme dans laquelle Eve a croqué, sous les conseils du serpent, fut choisie pour symboliser le mal.

Il y avait en fait au jardin d'Eden deux arbres nommément désignés par Dieu : l'arbre de vie, dont le fruit lui conférait l'immortalité, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal, dont le fruit induisait la peine, la souffrance et la mort.

 

« Le symbolisme de la pomme lui viendrait, selon l'abbé E. Bertrand, de ce qu'elle contient en son milieu, formée par les alvéoles qui renferment les pépins, une étoile à cinq branches. C'est pour cela que les initiés en ont fait le fruit de la connaissance et de la liberté. Et donc manger la pomme cela signifiait pour eux abuser de son intelligence pour connaître le mal, de sa sensibilité pour le désirer, de sa liberté pour le faire. Mais comme il est toujours arrivé, la foule du vulgaire a pris le symbole pour la réalité. L'enclosement du pentagramme, symbole de l'homme-esprit à l'intérieur de la chair de la pomme symbolise, en outre, l'involution de l'esprit dans la matière charnelle. Cette observation est déjà mentionnée dans « l'Ombre des Cathédrales », de Robert Ambelain : la pomme même de nos jours, dans les écoles initiatiques, est le symbole imagé de la connaissance, car, coupée en deux (dans le sens perpendiculaire à l'axe du pédoncule) nous y trouvons un pentagramme (ou pentacle), traditionnel symbole du savoir, dessiné par la disposition même des pépins... ».

 

Le nombre cinq, formé du trois masculin et du deux féminin, était, selon les pythagoriciens, le nombre de l'amour et de l'harmonie. On y a vu aussi les quatre éléments - Eau, Terre, Feu, Air - réunis dans un cinquième, la quintessence.

L'inquiétude de l'homme vis-à-vis de la pomme trouverait sa source dans le fait que, bien qu'on puisse la tourner dans tous les sens, la pomme place l'homme devant une forme d'initiation, de connaissance jamais acquise sans danger. Elle lui rappelle la vigueur du désir perturbateur qui n'est qu'illusion et, par-dessus tout, l'immortalité qui ne lui est pas réservée.

 

Bref, la pomme donne à connaître à l'homme deux directions : l'une entraîne vers une vie purement matérielle par une sorte de régression : c'est « croquer la pomme » ; l'autre, vers une vie spirituelle qui va dans le sens de l'évolution progressive.

A chacun de choisir : soit la voie des plaisirs terrestres, soit celle de la spiritualité. La pomme étant en quelque sorte le symbole de cette connaissance de l'alternative et de la nécessité de choisir.

 

 

Adam et Eve au jardin d'Eden - Peter Wenzel début 19ème

 

 

 

Symbole de pouvoir

 

 

Par sa forme, la pomme ronde symbolise la Terre ; la détenir, c'est posséder le pouvoir.

Aussi, a-t-on vu les empereurs chrétiens d'Orient, puis Charlemagne, la tenir en main, surmontée d'une croix, jusqu'à ce que les ottomans emportent et l'empereur, et la pomme et la croix. Napoléon restaura, le temps de l'immortaliser par quelques tableaux, le globe sacré, symbole de l'Empire avant que celui-ci ne finisse en poire blette.

Plus près de nous, on vit un président offrir à un concurrent et éventuel successeur un tableau représentant une pomme, symbole de transmission du pouvoir.

 

 

 

Le jugement de Pâris peint par Rubens en 1634 -1639

 

 

 

La pomme de discorde

 

 

Pour les Celtes, le pommier c'est « Insula Avallonis », l'île de la pomme, la célèbre Avallon mythique qui abrite les pommiers magiques placés sous la garde de la fée Morgane. Les anciens situaient la ville des pommes non pas dans le Morvan mais sur une île de la Baltique d'où Apollon, dieu grec importé du Nord, était aussi originaire. C'est là que vivaient les fameux hyperboréeens, ces mystérieux peuples septentrionaux qui intriguaient tant la Grèce antique. La célèbre Avallon, chère à la mythologie celtique, n'est autre que le royaume des morts peuplé de pommiers celtes, là où vivent toujours l'Enchanteur Merlin ( n'enseignait-il pas à l'ombre d'un pommier ?) et le roi Arthur, qui viendra un jour délivrer les Bretons. Ainsi le veulent les antiques traditions celtiques où la pomme est considérée comme un élixir de jeunesse, sinon d'immortalité.

 

La mythologie grecque, elle, est littéralement intarissable sur le symbolisme de la pomme.

Souvent présentée comme attribut d'Eros, mais surtout comme celui de sa mère, Aphrodite (ainsi que Vénus dont l'art statuaire romain la représente tenant une pomme dans la main), la pomme serait de fait un symbole d'amour, de génération et d'immortalité.

 

« Au mariage de la déesse grecque Thétis, Eris (la Discorde) suggéra qu'une pomme d'or portant l'inscription « à la plus belle » soit remise à la plus jolie des femmes présentes. Les déesses Héra, Athéna, et Aphrodite revendiquèrent toutes trois ce titre. Sur le conseil de Zeus, elles se rendirent sur le mont Ida pour s'en remettre au jugement de Pâris, le fils du roi de Troie, Priam. Chaque déesse fit des promesses mirifiques : Héra lui offrit l'empire de la terre entière, Athéna la sagesse et la victoire dans tous ses combats, Aphrodite l'amour de la plus belle femme du monde.

Pâris offrit la pomme à Aphrodite s'attirant du même coup le courroux des deux autres. Aphrodite tint sa promesse et précipita Pâris dans les bras d'Hélène, l'épouse du roi de Sparte, Ménélas. Pâris séduisit Hélène et l'enleva. Ils connurent ensemble un amour fou. Les frères et sœurs de Pâris exigèrent qu'il rendit Hélène à Ménélas, mais il n'en voulut rien savoir. Les Grecs commandés par Agamemnon, frère de Ménélas, réunirent une grande armée et mirent le siège devant Troie qui se termina par la ruine de la ville et de la lignée de Priam ».*

Par ce récit, on découvre le caractère ambivalent de la pomme qui n'évoque pas l'amour chaste d'Athéna, ni l'amour conjugal d'Héra mais l'amour érotique et adultère, la convoitise et la concupiscence à travers la figure d'Aphrodite, déesse des unions clandestines, du désir passionné et aveugle.

C'est de ce fragment mythologique qu'est née l'expression « pomme de discorde ».

 

Avant même que la pomme fut attribuée à Aphrodite, le pommier était avec le poirier sous le patronage de la déesse Héra, à laquelle on avait offert en cadeau de noces un pommier aux pommes d'or connu sous le nom de pommier du jardin des Hespérides convoité par Hercule, dont le onzième travail était de s'emparer des pommes d'or.

Initialement gardé par Atlas, le jardin fut confié à ses trois filles, les Hespérides : Hesperia, Aeglé et Erythie.

Peu soucieuses, elles volaient les pommes. Héra dut se résoudre à faire monter la garde par un dragon aux cent têtes, duquel, pensait-elle, personne n'oserait s'approcher.

C'était sans compter sur le rusé Hercule qui, bernant Atlas, déroba les pommes avant de se rendre à son ultime travail : faire sortir Cerbère des Enfers et mettre en évidence la nature immortelle des pommes du jardin des Hespérides.

 

 

 

Vénus à la pomme sculpture du danois Thorvaldsen (1770-1844)

 

 

 

Amour, mariage et fécondité

 

 

Bien loin des dieux, l'homme du peuple s'est lui aussi emparé de cette héritage symbolique.
La pomme y a souvent valeur pré-nuptiale et mariale. C'est elle aussi qui détermine la fécondité.

Ainsi en Lettonie, le pommier est considéré comme un arbre solaire et les pommes décoratives du solstice d'hiver sont le signe de la renaissance de la lumière.

En Europe du nord, en Autriche, envoyer des pommes à une femme, les jeter à ses pieds est un signe d'amour de la part du prétendant.

En Serbie, la femme qui reçoit et accepte des pommes se sait engagée. En Sicile, une jeune fille qui désire connaître son avenir conjugal, jette une pomme dans la rue. Si c'est un homme qui la ramasse, un mariage est en vue, si c'est une femme, elle doit tenter sa chance l'année suivante enfin si c'est un prêtre c'est le signe qu'elle finira « vieille fille ».

 

Dans le Cantique des cantiques (2 ; 3-5), on peut lire cet hymne de la bien-aimée à son amant :« Une pomme entre les baies des arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes gens. En mon désir je m'étends à son ombre. Son fruit est suave à mon palais...Restaurez-moi de gâteaux et de raisins, ranimez-moi avec des pommes, je suis malade et c'est d'amour... ».

 

 

Les pommes de Manet

 

 

 

Inspiratrice

 

Ces quelques lignes nous montrent qu'il n'est pas simple de tout démêler tant les informations au sujet de ce fruit et de l'arbre qui le porte sont denses et nombreuses.

Transpercée par la flèche de Guillaume Tell, la pomme et sa forte symbolique est devenue l'inspiratrice de nombreux artistes, sculpteurs et peintres, de Praxitèle au chinois Li Lihong sans oublier Magritte, Claude Lalanne, Cézanne, Picasso et tant d'autres au point d'être le végétal le plus souvent représenté dans l'art occidental.

 

 

Magritte

 

 

 

Vertus médicinales

 

 

Il est alors temps de croquer la pomme tant pour ses vertus médicinales qu'alimentaires.

Connue des Grecs, des Romains et même des Egyptiens la pomme est mangée crue ou cuite, à la vapeur, sous la cendre ou dans du vin.

Elle figure au Capitulaire de Villis carolingien. C'est l'époque médiévale où ses feuilles sont utilisées pour soigner les affections de la rate, du foie, de l'estomac et des intestins. Sa sève calme les douleurs goutteuses et rénales.

Au 16ème siècle, l'eau distillée des fleurs est destinée aux soins de la peau et aux rougeurs du visage.

Au 17ème, on recommande la pomme pourrie cuite sous la cendre pour confectionner des cataplasmes afin de limiter la propagation de la gangrène.

Les apothicaires vont alors s'emparer de la pomme comme agent de base additionné d'huile d'olive, de saindoux ou de safran pour élaborer infusions, sirops et potions destinées à frictionner la peau qui donneront le terme de pommade.

 

 

 

 

Au 18ème, on lui reconnaît des propriétés pectorales, antitussives et rafraîchissantes.

Plus près de nous de 1888 à 1972, à Château-du-Loir, souvenons-nous du sirop du docteur Manceau confectionné à base de la pomme Reinette du Mans pour soigner la coqueluche et la constipation chez les enfants.

La pectine qu'elle contient ferait baisser le taux de mauvais cholestérol.

 

 

 

 

Les pommes de Cézanne

 

 

Crue ou cuite, elle devient compote, tarte tatin, bourdelot, beignet, crumble, clafoutis. Fruit d'automne et d'hiver, la pomme, aux lointaines origines, reste disponible presque toute l'année sur les tables.

Oublions la faute d'Eve et d'Adam pour nous souvenir que la pomme, symboliquement fruit divin, source intarissable de vie et de santé vérifie l'adage selon lequel « une pomme par jour chasse le médecin ».

 

* Récit d'Homère, L'Iliade

 

 

 

A toutes et tous, Bonne semaine !

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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M
Très beau texte sur la pomme, je me souviens avoir bu du sirop du Docteur Manceau !<br /> Bonne semaine à vous
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Y
Bonjour <br /> C'était très connu à l'époque et même il y a encore quelques années. je ne me souviens pas en avoir bu malgré une coqueluche. Par contre on me donnait du sirop de radis noir. En alternance une couche de radis noir en lamelles et une couche de sucre. On récoltait le jus. C'était bon.<br /> Amitiés <br /> Yves