LES VEILLEES

Publié le 9 Janvier 2018

 

Photo Yves de Saint jean

 

« Après le souper, on veille encore une heure ou deux en teillant du chanvre, chacun dit sa chanson à son tour. » Jean Jacques Rousseau

 

L'hiver, pendant que la nature vit au ralenti, d'une ferme ou d'un hameau à l'autre on se retrouve pendant ces longues soirées froides et solitaires. Les veillées commencent vers la Saint-Martin pour se terminer vers Pâques à l'époque des semailles. Voisins et amis se réunissent une ou deux fois par semaine en changeant de maison par roulement, ainsi économise-t-on chauffage et éclairage en n'utilisant, par soirée, que les ressources d'une famille.

 

Au delà de l'aspect pratique, les veillées ne sont pas destinées uniquement à raconter des histoires ou du moins le fait-on en continuant à préparer en pensant aux jours à venir. Les femmes filent, tricotent, brodent, ravaudent les pantalons et les chaussettes. Les hommes tressent des paniers, réparent les outils, énoulent les noix, fabriquent des râteaux, des balais de bouleaux ou de genêt. Les femmes qui font les travaux les plus méticuleux prennent les meilleures places près de la cheminée, pour la lumière. Le reste de la pièce est éclairé avec une lampe à pétrole ou des chandeliers.

 

Dans une poêle en général percée au long manche, les châtaignes grillent sur le feu. Il faut les faire sauter avec adresse pour qu'elles ne brûlent pas. On grignote en écoutant le journal lu à voix haute tout en buvant du cidre ou de la bernache. On parle des derniers marchés, des récoltes, des nouvelles naissances, de mariages en perspective.

 

Musique et amusements sont aussi les composantes de la veillée. Pour les jeunes gens et jeunes filles, l'attrait majeur est de pouvoir se rencontrer, se courtiser, flirter. Ils savent qu'ils sont sous surveillance mais ils s'en moquent. On y apprend les pas de danse au son d'un violoneux ou d'un accordéon.

 

La veillée a un but particulier d'éducation, on enseigne la sagesse populaire, les techniques traditionnelles. Les discussions regorgent d'allusions au passé, d'explications sur la nature et la vie.

 

La tradition orale, souvent près de l'histoire, est à la fois la créatrice et la dirigeante de l'âme populaire. Pour posséder ce trésor des traditions, il faut aller puiser dans l'esprit paysan, celui qui garde le passé. Il se perpétue sous la forme de formules, proverbes, dictons, contes, dires et légendes. Énoncés naïfs, tantôt malicieux, tantôt sentencieux, parfois grotesques qui indiquent ce qu'il faut faire ou ne pas faire, ce qui est bon ou néfaste. L'esprit du paysan les éparpille au gré de ses besoins et de ses fantaisies en les agrémentant parfois d'une pointe d'ironie.

 

 

Aquarelle Yves de Saint Jean

 

 

« A fol conteur, sage écouteur. »

 

Émile est guérisseur, sourcier mais aussi conteur. Il sait faire naître des images à travers ses mots et ses expressions empruntés au langage populaire, aux traditions et aux coutumes. Ses récits, ponctués de silence savent créer l'émotion et son auditoire devient alors créateur de ses propres images.

Dans le crépitement des bûches de la cheminée, chacun écoute sa voix qui raconte, calme et douce comme le miel, posée sur chaque mot coloré comme les fleurs. Les enfants, assis par terre, l'écoutent la bouche grande ouverte.

 

« C'était il y a bien longtemps, continue Émile, par une nuit d'hiver comme celle-ci, un paysan qui s'était attardé à passer une veillée chez un ami fermier, rentrait chez lui par nuit noire, le long de la Fare, séjour de prédilection des fées. L'homme suivait une petite « rote* » qui serpente non loin de la rive de la rivière.

A un détour du sentier, il fut ébloui par une aveuglante clarté. De petits personnages légers comme des voiles de vapeur et vêtus de longues robes blanches dansaient autour d'un énorme brasier. Avec son esprit paysan, il ne douta pas un instant que ces êtres étaient des fées. Se cachant alors derrière une grosse « bouillée » de rejets de bois blanc, il écouta, tremblant, leur conversation :

- Si le curé savait où est l’Évangile de Saint-Jean, nous ne pourrions sûrement pas revenir danser sur terre ainsi toutes les nuits...On est si bien ici, dit l'une d'elle.

- Et toi, sais-tu où se cache cet Évangile ? Reprit une autre tout en continuant à danser.

 

Elles poursuivirent ainsi pendant longtemps à parler et à danser. L'une d'entre elles, plus bavarde, assura que l’Évangile était caché dans un grand coffre en fer sous le maître-autel de l'église.

Le paysan tremblait de froid et de peur car avec les fées, il ne faut pas se montrer. Il y a les gentilles et les méchantes et rien ne peut les différencier.

 

Au lever du jour, le brasier s'éteignit brusquement et les formes légères disparurent instantanément. Avant de rentrer chez lui, le paysan alla frapper à la porte du presbytère. Le curé écouta son étrange histoire et ils allèrent tous les deux chercher sous l'autel. L’Évangile de Saint-Jean fut bien retrouvé dans son coffre comme l'avait dit la fée.

Aussitôt, il fut porté en procession autour de l'église et c'est ainsi que depuis cet événement, les fées disparurent à tout jamais de la région. » 

 

Aquarelle Yves de Saint Jean

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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