SAINT-AIGNAN DE MONTABON

Publié le 7 Mars 2018

Aquarelle Yves de Saint Jean

 

En ces temps anciens dans les campagnes reculées de nos vallées du Loir, de Touraine ou de Berry les jeunes enfants souffraient souvent de maladies de la peau : impétigo, eczéma, teigne de lait...A l'une d'elles on avait donné le nom de « vartaupe » ou « vertaupe ». Cette appellation découlait de la ressemblance qui existe entre le bourbillon qu'on extirpe et un ver qui aurait creusé dans le derme une galerie et qui comme celle d'une taupe dans le sol provoquait comme un soulèvement. C'est de ces deux noms associés « ver ou var » et « taupe » que serait né le mot « vartaupe » ou « vertaupe » qui n'est autre que le douloureux furoncle.

On pouvait soigner soi-même ce mal. Dans ce cas, il fallait cueillir du lierre qui a poussé sur un puits, le mettre dans un bas de laine et poser le cataplasme sur le mal. On y ajoutait en général une tuile chaude.

Mais bien souvent, dans ces campagnes isolées, on pouvait se livrer à des pratiques étranges en préférant faire appel à une personne ayant le pouvoir spécial de guérir cette maladie.

Il fallait que ce personnage étant enfant, ait étouffé sept taupes et qu'il ne mange pas de graisse.

Ce don de faire disparaître les furoncles et les verrues lui avait été transmis par ses ancêtres. Sa thérapeutique ressemblait sans doute à celle des empiriques et des rebouteux. Beaucoup y croyait et il y eut des guérisons...

Cette personne qui avait le pouvoir était le « Vartaupier ».

 

L'enfant et le Vartaupier

 

A l'approche de la carriole, l'homme se releva. Il attendait depuis un moment au carrefour des quatre routes au pied de la croix blanche, engoncé dans sa grande pelisse brune, le chef couvert d'un large chapeau de feutre noir.

« Je suis Maître Pantier, le vartaupier, je vous attendais !...

« Ah ! » Firent rassurés le père Morin et sa fille, la femme Leveau qui avait son petit gars dans les bras, bien mal en point de toute cette maladie de peau.

« Nous allons comme ça chez vous, Maître Pantier, pour être avant l'aurore à la fontaine Saint-Aignan.

« J'vas vous montrer le chemin, dit Pantier, en s'installant dans la carriole.

Il cheminèrent ainsi de longs moments, sans échanger un mot passant dans des chemins creux inquiétants au bord desquels les vieilles truisses lançent leur bras noueux vers le ciel. Tout devient étrange et fantastique sur ces chemins de campagne. Partout le silence et le mystère où ciel et terre se confondent.

Le père Morin pense à sa ferme qu'il a dû laisser pour un grand jour et une nuit. Chacun fera-t-il bien sa tâche ? Ne va-t-on profiter de son absence pour lui chaparder quelques choux dans son jardin. Le jeune pâtre se réveillera-t-il à l'heure pour donner du grain aux poules, mener les vaches et les chèvres au champ ? Et les laboureurs et le journalier, tout cela inquiète le père Morin mais il est là pour le « queniot », pour le sauver du mal qui le ronge ?

 

Il fait nuit noire quand la voiture arrive au village. Quelques minutes plus tard maître Pantier arrêta la jument devant une vielle bâtisse.

C'est une toute petite maison basse.

« La toiture est bien vieille mais la porte est en chêne massif, murmura Pantier, en faisant franchir le seuil de la demeure à la femme et l'enfant. Il lui montre une banc-selle pour qu'elle s'installe avec l'enfant puis tout en cassant cassant quelques brindilles sèches pour ranimer le feu dans la cheminée il ajoute :

« Le rebouteux a le cœur grand, voyons d'abord le petiot dès que le feu sera bien flambant et puis nous causerons.

 

Devant la chaude flamme de la javelle de sarments, il fit démailloter l'enfant. C'était un petit garçon chétif dont le front et quelques endroits du corps étaient mangés par plusieurs furoncles.

« C'est bien la vartaupe, dit Pantier, et qu'avez-vous fait ?

« On a été à la fontaine de la Clarté-Dieu, répondit la femme.

« Ce n'est pas là qu'il faut se rendre, ajoute le vartaupier car cette source sainte est pour le soin des yeux.

« Alors on nous a dit de venir vers vous, et, avant le lever du jour, de vous confier l'enfant pour le baigner dans l'eau de la fontaine de Saint-Aignan à Montabon.

 

« C'est bien dit Pantier, en jetant au feu une grosse bûche. Elle a la propriété de soigner la teigne mais aussi la « rifle » c'est à dire toutes sortes de gale et maladies de peau. »

 

Dans une marmite une soupe de légumes au lard mijotait depuis le matin. D'une petite armoire il saisit une miche de pain et un gros fromage. Il prit une bouteille de vin la déboucha et versa le liquide rouge dans des gobelets en étain.

La faim torturait aussi l'estomac du petiot qui piaillait comme un chaton. Assise près de la cheminée, la jeune femme lui donna le sein et l'enfant bientôt repu s'endormit pesamment bien emmitouflé dans ses langes.

 

Tous trois s'installèrent autour de la table et mangèrent en échangeant quelques considérations. A la dernière bouchée, le père Morin plia son couteau et posa sur la table un petit sachet de cuir qu'il tenait caché sous sa blouse. Il en sortit plusieurs pièces.

« Maître Pantier, voici le Louis d'or pour vous et les deux écus pour Aignan. Nous n'avons pas amené de viande car nous savons que les vartaupiers ne mangent pas de graisse.

 

 

 

La nuit fut courte. Au matin, la petite troupe de pèlerins avance dans la nuit simplement éclairés par leurs lanternes vers la crypte de Saint-Aignan. Au fond de celle-ci coule une source dont l'eau remplit une auge en grès puis s'en échappe pour aller on ne sait où.

Pantier pousse la lourde porte bardée de clous puis allume un cierge.

 

 

Il prend alors le chérubin avec précaution, fait s'agenouiller le père Morin et sa fille et entre seul dans la crypte dont il referme la porte.

Il est là, seul avec l'enfant. Il regarde le visage du bébé qui dort tranquillement. La frêle lumière du cierge fait trembler leurs ombres sur le mur de la crypte.

Ayant élevé l'enfant au-dessus de l'eau froide de l'auge, l'immersion rituelle va se faire au fond glacé de l'auge.

« Je vais le tuer, se dit-il, le tuer en le baignant ! Et pourquoi le tuerai-je ? Pour accomplir le vœu de parents ignorants. Mais si je ne baigne pas, je ne serai plus le grand rebouteux renommé dans toute la région. Je tue ma renommée, ma fortune. Je renie mon passé et tous les secrets transmis par mes ancêtres. ..

Il abaisse plusieurs fois le petiot au ras de l'eau puis remonte aussitôt le petit corps vers la voûte de la crypte. Pantier est troublé, il hésite et une grande grande émotion l'envahit soudain.

 

Il s'agenouille alors, regarde le visage de l'enfant puis il récite plusieurs fois une prière à voix basse en faisant des signes de croix.

« Je ne baignerai donc pas, pour une fois je mentirai et Aignan dans sa grande bonté guérira si telle est sa volonté.

D'un coup d'épaule, il pousse alors la lourde porte et présente l'enfant à sa mère et au vieux Morin.

« Tenez, fit-il, voilà votre petiot ! Saint-Aignan a fait un miracle, l'enfant est sorti de l'eau sec comme une miche de pain fraîche !

 

Pantier apprit quelque temps plus tard qu'un autre miracle avait eu lieu et que la vartaupe du petiot avait totalement disparu.

L'affaire fit grand bruit. Un pèlerinage fut institué avec toujours le même rituel. Ainsi, après la messe dite pour les malades venus à jeun, à pied et tenant un cierge allumé à la main, on lisait une page de l’Évangile. Puis on posait sur la tête de la statue de Saint-Aignan un morceau du linge des enfants malades qui devait rester le temps d'une neuvaine.

 

 

A quelques mètres de l'église de Montabon dédiée à Saint-Aignan, on peut découvrir au bord de la route une petite fontaine avec à côté une petite niche dans laquelle a été posée une statue de Saint Aignan, don d'une paroissienne.

Cette histoire d'un autre temps s'est sans doute déroulée.

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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