GLISSE SUR LE CHEMIN DU LAVOIR
Publié le 12 Juin 2018

« Il faut tout lui dire comme à un prêtre nouveau. » - dicton
Le monde de la campagne a souvent été présenté comme une société du silence, du secret et de l'isolement. Les habitudes, les manies, les faiblesses, les tares, les qualités, les forces y sont répertoriées, classées, codifiées. Chacun, ici, connaît tout de l'autre ou presque, de son passé, de son présent. Pour expliquer, on prend souvent des chemins détournés. Il faut savoir interpréter pour comprendre.
Ainsi, à confesse, quand une femme avait péché au titre du sixième commandement (1), il était plus facile de dire : « j'ai glissé sur le chemin du lavoir... » que de murmurer derrière le fin grillage du confessionnal « j'ai fait cocu mon bonhomme avec Jules ou le gars Gaston. »
C'était convenu et convenable. Il fallait le savoir et pour le savoir, il fallait l'apprendre.
Un jeune vicaire, appelé à remplacer le vieux curé dont l'heure de la retraite avait sonné, entend à longueur de confessions des femmes venir faire pénitence : « mon père, j'ai glissé sur le chemin du lavoir... ».
Il donnait alors l'absolution et demandait à la pécheresse de réciter quelques prières dans le silence d'une chapelle de l'église. Mais cette réflexion répétée régulièrement dans le silence du confessionnal eut le don de la tracasser.
N'y tenant plus, il partit trouver le Maire, lui expliqua que ses chemins et sentiers devaient être mal fort mal entretenus et notamment celui du lavoir devenu si impraticable que les femmes y glissaient régulièrement.
Monsieur le Maire, sans se formaliser répondit qu'il n'y avait là rien de bien grave :
« Allez Monsieur l'abbé, ne vous inquiétez pas, ça ne craint guère qu'elles se blessent. »
« Je crois, Monsieur le Maire, au contraire qu'il y a urgence, il faudrait voir à garantir les femmes car rien que cette semaine, la vôtre y a glissé deux fois...»
Sur la place du village se côtoient dans le respect de chacun le temporel et le spirituel : école, mairie, église font d'ordinaire bon ménage mais la réflexion, non mesurée et irréfléchie du jeune abbé vint subitement jeter un froid et perturber des relations qualifiées de cordiales jusqu'à ce jour.
« Monsieur le curé, je ne me suis jamais permis d'interférer dans votre ministère, je vous saurais gré d'en faire de même à mon encontre. »
Le jeune prêtre s'empourpra et conscient d'avoir réalisé une grave erreur, partit se confier auprès de son vieux curé de campagne.
« Mon fils, vous auriez dû venir me demander conseil, prendre votre temps, écouter. La sagesse paysanne est faite de sous-entendus qu'il faut savoir interpréter. Cela vous aurait éviter quelques désagréments. Et puis, que faites-vous du secret de la confession ?
La relation que nous entretenons avec ces gens est à la fois simple et ambiguë. Maillon d'une institution puissante, en tant qu'hommes nous portons le message de l’Évangile. Notre mission est de servir de trait d'union entre les générations, d'accompagner, d'être les confidents, les conseillers de celles et ceux qui cherchent des solutions à des problèmes personnels et familiaux ou de remettre sur droit le chemin, dans la paix du Seigneur, des individus en errance. Tous ces gens, je les connais bien, je les ai vus naître. Nommé jeune, j'ai baptisé leurs mères et pères, marié leurs enfants et mené à leurs dernières demeures grands-pères et grands-mères, qu'ils soient « sans-terre », journaliers, œuvrant pour un maigre salaire ou riches propriétaires. Avec leurs différences, ils font partie de la même communauté, cette société paysanne dont le lien culturel commun est la terre. »
Préparant son installation dans la paroisse, le jeune vicaire avait entamé quelques transformations dans le presbytère. Il avait renvoyé la vieille bonne et embauché une nouvelle. Au dîner le soir, le vieux curé tint à féliciter son jeune collègue d'avoir su trouver une personne aussi parfaite, aussi bien à la cuisine que de sa personne mais demanda discrètement s'il était bien prudent de l'avoir choisie aussi avenante.
« Mon père, qu'allez-vous penser là ? s'offusqua le jeune prêtre subitement empourpré.
Le lendemain au moment du déjeuner, la jeune femme vint se plaindre qu'il manquait des couverts dans le service.
« C'est une plaisanterie, vous avez dû les mettre dans un autre tiroir, cherchez mieux. »
Le vieux curé se pencha alors à l'oreille de son jeune collègue.
« Erreur ou plaisanterie, cher ami, j'ai peur que vous n'ayez pas couché dans votre lit cette nuit, sinon vous y auriez trouvé vos couverts. C'est là que je les ai cachés hier soir. »
Vous voulez réformer vos relations avec les paroissiens, revoir le catéchisme, la célébration des messes, pourquoi pas mais je pense que vous avez encore de nombreuses choses à apprendre des hommes et je pense, voyez-vous qu'il n'y a pas que les femmes à « glisser sur le chemin du lavoir »...
Mais tout ceci restera, bien entendu, entre nous. »
(1) « Tu ne commettras pas l'adultère. »


