LA BUCHE DE NOËL -

Publié le 21 Décembre 2018

 

 

 

 

« Ce Jour là les laboureurs dételaient de bonne heure... »

 

 

« Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dételaient de bonne heure ; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci, et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour « poser la bûche au feu », dans leur pays et dans leur maison. Au Mas ne demeuraient que quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille ; et, parfois des parents, quelque vieux garçon, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant : « bonnes fêtes ! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres. »

 

Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la « bûche de Noël », qui - c'était la tradition - devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre ; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant : « Allégresse ! Allégresse, mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse ! Avec Noël, tout bien vient : Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine. Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y être pas moins. »

 

Et, nous écriant tous : « Allégresse, allégresse, allégresse », on posait l'arbre sur les landiers et, dès que s'élançait le premier jet de flamme : « A la bûche, boute feu ! »

Oh ! La sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil*, suspendu à un roseau, qui dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient ; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis germer dans l'eau le jour de la Sainte-Barbe.

 

Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plats sacramentels : les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de sa coquille ; la morue frite et le muge* aux olives, le cardon, le scolyme*, le céleri à la poivrade, suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme ; fouace à l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis ; puis au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait jamais qu'après avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait.

 

La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue ce jour-là ; et longuement autour du feu, on y parlait des ancêtres et on louait leurs actions. » Frédéric Mistral - « La bûche de Noël » - « Noël en Provence » (1906)

 

*caleil : petite lampe à huile à fond plat, munie d'un crochet qui sert à la suspendre.

*scolyme : chardon sauvage qui a eu son heure de gloire dans les potager d'antan dont on goûtait la saveur fine de sa racine.

*Muge : nom provençal du mulet , poisson proche du loup de mer ou bar à la chair cependant moins délicate.

 

 

 

 

 

 

 

* La bûche dans les fêtes de Nô * 

 

 

La tradition de la bûche de Noël est présente dans la plupart des régions de France. Elle était le sujet de nombreuses croyances. Qu'elle brûle une nuit ou plusieurs jours, elle était douée de propriétés magiques sous forme de tisons ou de cendres.

 

Ainsi dans nos régions de Touraine, des Vaux-du-Loir ou du Haut-Anjou, la bûche de Nô devait durer neuf jours. On en gardait soigneusement les cendres que l'on donnait alors aux vaches pour les aider à vêler ou aux brebis et chèvres pour qu'elles n'avortent pas.

 

L'usage le plus général était de rallumer un tison, précieusement conservé, pour se garantir de la foudre et des orages. Ce tison mais aussi les cendres protégeaient les maisons, les animaux, les récoltes. Ils aidaient les vaches à donner du lait, protégeaient les poules qui couvaient, éloignaient les limaces des jardins et les bêtes nuisibles. Ils possédaient, en outre, un grand pouvoir contre les maléfices et les jeux de sorcières.

Le reste non brûlé de la bûche conservait son caractère sacré. On pouvait s'en servir pour allumer la bûche de l'année suivante ou l'emporter dans une nouvelle maison en cas de déménagement.

Le charbon réduit en poussière pouvait assurer la fertilité des champs et préserver les semences.

 

La veille de Noël, après le repas du soir, on balayait avec soin la place du foyer. Dès que la bûche de Nô était placée dans la cheminée, la maîtresse de maison prenait une bouteille d'eau bénite et un brin de buis béni le jour des Rameaux. Elle aspergeait alors le feu qui venait d'être allumé de façon que la première flamme reçoive les premières gouttes.

 

Ces traditions peuvent paraître quelque peu dérisoires à l'heure de la tablette tactile, du smartphone et du consumérisme à tout crin mais elles font parties de notre mémoire traditionnelle et nous nous devons d'en conserver le souvenir.

 

« La science de ton passé est ton passeport pour l'avenir. »

Christine de Suède - Maximes et Pensées 1682.

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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