DIEUX ET DIABLES AU JARDIN
Publié le 13 Février 2020

Dieux et diables existent et sans le savoir vous les croisez régulièrement.
Ne les cherchez pas dans les cieux ou dans une quelconque chapelle. Ils sont là, à vos pieds, blottis dans votre jardin, à la porte de votre maison, tapis dans les mousses, cachés sous les feuilles, dissimulés dans les bois et les forêts.
Racines, graines, champignons, herbes, fleurs, fruits, feuilles, lianes, sous de séduisantes apparences, ces fleurs fatales, feuilles vireuses ou tubercules mortels ont le pouvoir de soigner, endormir ou faire rêver.
Savamment décrites de noms latins, elles ne révèlent rien de leurs extravagantes propriétés mais elles recèlent dans leurs organes des toxines parfois souvent suffisamment dangereuses pour provoquer une fin des plus affreuses.
Scientifiques, savants, chercheurs étudient la chimie de leurs effets véhiculés de génération en génération depuis des millénaires. Par quels mystères, quelle intuition, quelle intelligence les premiers hommes, nos ancêtres, ont-ils été amenés vers ces plantes capables de les soigner ou de les projeter en modifiant leurs perceptions du réel vers certains moments de révélation propres à leur permettre de côtoyer les dieux ?
Pour dévoiler tous ces mystères, faut-il se rapprocher des rites, des cultes, de l'histoire des religions ou de celle de la sorcellerie ?
On ne connaît rien ou presque de la manière dont furent découvertes ces herbes magiques et leurs vertus bienfaitrices ou maléfiques si ce n'est d'envisager l'accident où l'homme chasseur-cueilleur du paléolithique en gardant et observant ses troupeaux aurait consommé, par hasard, telle ou telle plante aux pouvoirs hallucinogènes, excitant ou sédatif et de proche en proche, faisant profiter de son expérience, l'usage s'en serait répandu puis enraciné dans des pratiques étranges, chamaniques, occultes, ensorcelantes.

Curieusement les plantes, ces herbes du bon dieu, qui ne savent que soigner, sont comme les gens heureux, elles n'ont pas d'histoire. Elles bénéficient souvent d'une littérature insignifiante. Seule, une agréable légende les accompagne comme cette Sauge pieusement liée à la vierge Marie et se laisse tranquillement oublier dans un coin du jardin.
Son nom latin « salvare » signifie sauver et guérir car elle est tonique, antispasmodique, anti rhumatismale, dynamisante ainsi que l'écrivait le professeur Pierre Hunault de la faculté d'Angers «… Elle est souveraine contre la paresse de l'estomac, ses faiblesses, ses indigestions, ses nausées, ses éructations, ses gonflements, ses amas de glaire visqueuse où domine la pituite crue... Les goutteux ne la trouvent pas moins favorable à calmer leur douleur, les épileptiques leurs nerfs, aussi bien que les catarrheux, les hydropiques se louent des évacuations qu'elle procure...Les gens sujets aux vapeurs, aux défauts de mémoire, aux palpitations y trouvent également un remède bénéfique. »
Quant à l'Alchemille, connue sous les noms de « Pied de lion », « Patte de lapin » ou « Pied de griffon », elle était autrefois prisée des alchimistes qui l'appelaient « Porte rosée ». Ils utilisaient ses grandes feuilles délicates aux lobes soyeux pour recueillir l'eau divine de l'aube, cette « Rosée céleste » qui servait à préparer la pierre philosophale. Au Moyen Age elle est « l'Herbe aux femmes » dédiée à la vierge Marie et réputée traiter les « maux féminins ». Plus tard, on lui prête la réputation de faire renaître la virginité et rendre la beauté aux seins flétris d'où son nom de « Manteau des dames » ou « Manteau de Notre Dame ».

Poisons et hallucinogènes
En revanche dès que l'on s'intéresse au côté noir des plantes, aux poisons, aux hallucinogènes aux « herbes de pouvoir » des devins et sorciers, on mesure à l'abondante littérature enflammée la fascination qu'ils exercent.
Pline, en son temps, donnait déjà des conseils pour récolter la sulfureuse Mandragore, reine de la magie noire et fille du diable : « ceux qui cueillent la mandragore prennent garde de ne pas avoir le vent en face. Ils décrivent trois cercles autour d'elle avec une épée, puis l'enlèvent de terre en se tournant vers le couchant ». Elle poussait, dit-on, sous les gibets ensemencée par le sperme des pendus. Sa racine à la forme humaine symbolisait la fécondité et passait pour révéler l'avenir et procurer la richesse. Ses baies seraient aphrodisiaques. La mandragore dope, drogue et...tue.

Que dire de la Belladone, cette belle dame bien ambiguë qui, comme la mandragore appartient à la famille des solanacées ? Bien connue comme poison, ses noms sont suffisamment évocateurs : « Herbe du diable », « Empoisonneuse », « Cerise Empoisonnée », « Morelle furieuse ». On l'appelle également « Belle-dame » pour ses propriétés mydriatiques qui amenaient les femmes de Venise à s'en servir pour dilater leurs pupilles et rendre l’œil brillant. Elle fut tenue sur les fonds baptismaux par la Parque Atropos qui avait pour mission de trancher le fil de la vie.
Toutes les parties de la plante la rendent potentiellement mortelle. Quelques baies suffisent à provoquer des troubles digestifs, cardiaques et respiratoires, accompagnés de délire et d'hallucinations se poursuivant par un coma et la mort par paralysie de l'appareil respiratoire.
Malgré tout, on sait aujourd’hui en extraire les principes actifs aux propriétés analgésiques, antispasmodiques, réduisant les secrétions : on l’utilise contre les spasmes de l’appareil digestif et elle sert à concevoir des collyres destinés à dilater la pupille.

Autre tueuse célèbre, l'Aconit, fleur bleue mais fleur du mal. Elle serait née, raconte la légende, des gueules du Cerbère enchaîné par Hercule. Quelques grammes de n'importe quelle partie de cette plante extrêmement toxique peuvent entraîner de terribles souffrances et la mort.
Appelé « Tisane du diable », « Herbe des sorciers » ou encore « Arbre de l'enfer » le Datura, fleur au parfum divin est un narcotique très toxique et fait régulièrement des victimes. C'est probablement avec le Datura que les sorcières du Moyen Age fabriquaient l'onguent des sorcières qui leur donnait la certitude de voler.
Il ne faut pas oublier un autre enfant terrible des solanacées, la Jusquiame qui occupe une place de choix dans l'herbier de la magie noire. Comme ses consœurs, elle peut générer des hallucinations très puissantes y compris celle de prendre la forme d'un animal au point d'en adopter le comportement. Dans son ouvrage Salammbô, Gustave Flaubert évoque la Jusquiame : « ...les plus dangereux étaient des buveurs de Jusquiame ; dans leurs crises, ils se croyaient des bêtes féroces et sautaient sur les passants qu'ils déchiraient. »
Pour compléter cette série noire, le Muguet, offert comme porte bonheur, provoque par ingestion des troubles du rythme cardiaque. Si la Primevère signifie jeunesse en langage floral, ses poils secrètent un poison entraînant au toucher des inflammations cutanées. Tiges et bulbes de Jonquilles ou Narcisses contiennent des alcaloïdes toxiques pouvant entraîner étourdissements et convulsions. Les pépins de poires, de pommes, d'amandes de cerises, d'abricot, de pêche... renferment de l'acide cyanhydrique dont la toxicité menace lorsque les pépins sont écrasés et mis en contact avec de l'eau comme lorsqu'on les mâche. Les baies du traditionnel Gui de Noël peuvent causer une paralysie des membres et le philodendron qui épanouit ses larges feuilles est la cause de nombreuses hospitalisations. L'absorption de baies de Chèvrefeuille peut être à l'origine de coma mortel.

Mauvais pour les uns, Bon pour les autres
Des plantes toxiques pour l'homme peuvent être mangées en toute confiance par les animaux. La limace se régale de l'Amanite phalloïde, champignon mortel pour l'homme. La minuscule altise se régale de feuilles de Belladone. Les chèvres dévorent la Ciguë, poison utilisé par les Grecs de l'Antiquité pour les mises à mort dont la plus célèbre est celle du philosophe Socrate. Les merles peuvent se gaver de baies de Troène ou de Viorne. Comment est-ce possible ? On peut supposer que leurs organismes fabriquent des antidotes qui neutralisent les poisons qui sont ensuite éliminés par les voies urinaires et les déjections.
Paradoxalement, je l'ai précisé plus haut, beaucoup de ces plantes maléfiques peuvent sauver des vies humaines. Il n'y a pas de frontière entre une plante médicinale et une plante vénéneuse : 40 g de feuilles de Digitale suffisent à tuer un homme par arrêt cardiaque. Pourtant soigneusement dosée, la substance toxique, la digitaline, est un excellent médicament tonicardiaque. Le Curare dont les indiens d'Amazonie se servent pour empoisonner leurs flèches devient un excellent complément de l'anesthésie pour un chirurgie.
Tout est une question de dosage.
Mystère et révélation
Le Laurier, arbre d'Apollon, les devins le mâchaient avant d'exercer leur art. Il est symbole d'immortalité et couronne empereurs et vainqueurs.
Certains avancent par leurs révélations que les mystères de ces plantes seraient à l'origine des mythes, des religions et même de l'art.
Je n'en sais rien mais ce qui est certain, c'est que ces plantes du « Diable et du Bon Dieu » existent depuis la nuit des temps et ont fourni aux hommes un lien sacré avec l'au-delà mais que dans ces sociétés où elles étaient rituellement consommées, elles ne l'étaient pas n'importe comment et par n'importe qui.
Arrêtons de nous faire peur, restons sages et bien informés car il n'est pas obligatoire de consommer en tisanes ou fumettes ces herbes du diable pour entrer en relation avec le cosmos et goûter à la chair des dieux, la pomme suffit...
A bientôt


