LE PAIN, SYMBOLE VIE

Publié le 8 Janvier 2022

Photo Yves de Saint Jean

 

 

« Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ».

Combien de fois ai-je entendu et répété cette petite phrase avant et après les séances de catéchisme ?

Même s'il est vrai que l'homme ne se nourrit pas seulement de pain, celui-ci est évidemment le vrai symbole de nourriture essentielle, le « pain » que l'on donne à sa nourriture spirituelle, le « pain de vie » eucharistique », « le pain sacré de vie éternelle » dont parle la liturgie.

 

 

 

 

 

* Le pain symbole de fertilité et de transmission de la vie

 

 

« Bethléem » (Beit Lehem) signifie en hébreu « la maison du pain » car le symbole de la fertilité et de la transmission de la vie est indissociable du pain !

Contrairement à la pensée collective, le Christ n'a pas un rôle de pionnier dans l'utilisation du symbole de cette préparation cuite faite de farine et d'eau.

« Prenez et mangez, ceci est mon corps » s'inscrit dans une logique indissociable à l'être, liée à la spiritualité et au destin de l'homme et du pain, destins qui se confondent », écrivait le célèbre boulanger, Lionel Poilâne, peu avant sa mort accidentelle.

 

Bien avant le Christ, les peuples se sont emparés du symbole du pain dans leurs religions.

 

Les hommes du néolithique faisait déjà cette association puisqu'ils conservaient leurs morts et leurs grains dans les mêmes cavernes, établissant ainsi le lien entre les céréales et la vie supposée d'en l'au-delà.

Les Sumériens pensaient quelque trois mille ans avant J.C. que le blé possédait une âme et que les dieux se nourrissaient de céréales. Ils organisaient alors des festivités en l'honneur des Dieux à qui ils offraient du pain.

Un mythe babylonien raconte que c'est au grand Marduk, le plus grand dieu de Babylone, que l'homme doit la création du monde.

C'est pourquoi il lui adresse cette prière :

« Seigneur, toi qui veilles sur l'arbre à pain, qui créas l'homme, les animaux, le blé et les fruits secs, qui fais naître la verdure, tu procures du pain aux dieux et aux déesses. »

 

Au 7ème siècle avant J.C. quand le prêtre et prophète Zoroastre demande au créateur : « quel est l'endroit le plus agréable sur la terre ? », Ahura Mazdâ (dieu des zoroastriens) répond : « c'est là où l'on cultive le plus de blé... » et le blé c'est du pain en devenir.

 

Enfin, selon Confucius « les temps ne seront heureux que lorsque l'herbe passera dans la cour du palais de justice (il n'y aura pas de conflits), que le médecin marchera à pied (le médecin sera pauvre) et que le boulanger se déplacera à cheval (il sera riche).

 

Jusqu'au 20ème siècle, dans certaines paroisses de France, une distribution de morceaux de « pain bénit » se faisait au moment de la grand-messe du dimanche et lors de certaines cérémonies : mariages, baptêmes, funérailles, fêtes patronales...

La distribution d'une parcelle de « la sacralité de la messe » était organisée par différentes familles désignées à l'avance.

Le « pain bénit » était un lien entre la communion célébrée à l'église et le repas consommé à la maison. Il renvoie à l'association symbolique entre le ciel et la terre, entre les morts et les vivants.

 

Ainsi comprend-on mieux à la lecture de ces quelques éléments d'histoire que la multiplication des pains telle que la rapportent les Évangiles a largement inspiré humanistes, philosophes, sages, politiques jusqu'au fantasme.

 

 

 

Pastel Yves de Saint Jean

 

 

 

* Du pain sacré au pain aliment

 

 

De longue date le pain est un élément capital dans l'alimentation. Il grevait les budgets. Sa présence ou son absence hantait les esprits et sur la table, il tenait la première place.

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Au milieu du 19ème siècle un cultivateur aisé dépensait deux fois plus pour son pain que pour sa viande soit un quart de son budget annuel. Mais il n'en souffrait pas trop, sauf les années de mauvaises récoltes, puisqu'il prenait la matière première sur son champ et fabriquait à la ferme. Il avait le four, le bois, la main d’œuvre gratuite et le temps ne comptait pas.

Pour l'ouvrier rural, c'était une autre affaire. Pas assez riche pour avoir son four ou pour faire l'avance en blé ou farine, son pain pouvait représenter 50 à 60%, parfois plus, des dépenses familiales. Et quelle joie quand il ne manquait pas.

 

A une époque pas si lointaine que certains d'entre vous ont connue, à tous les âges et à chaque repas on mange du pain, de ce pain de quatre livres vendu avec la pesée.
Le matin, au lever avant le départ au travail, on le coupe en tranches dans une soupe aux légumes.

Aux champs, les laboureurs, les vignerons, les moissonneurs le frottent à l'ail, l'accompagnent d'un fromage de la ferme ou d'un beau morceau de lard.

A la maison, les « queniots » en mal de dents exercent leurs gencives douloureuses sur des croûtes baveuses. Au retour de l'école les enfants l'associent en tartines au fromage blanc, à la confiture, puis au chocolat en poudre.

Le pain est partout ; pain perdu, pain trempé dans le lait ou le vin en « miotée ».

C'est scandale de manger des légumes ou du lard sans pain.

Le jeter est un crime !

 

A la ferme, seul le maître coupe le pain et si par inadvertance un maladroit « gâche la taille » il reçoit une sévère réprimande, « tu coupes le pain comme tu le gagnes », parfois un coup de casquette et l'obligation de rectifier lui passe l'envie de recommencer.

Jamais le père n'oublie de tracer le signe de croix avec son couteau avant de l'entamer et veille rigoureusement à ce qu'il repose sur sa face plate. Croit-il encore fermement que « le diable danse dessus » ou que cela porte malheur ?

 

 

Photo Yves de Saint Jean

 

 

* Le pain dans la mémoire collective

 

 

Le souci du pain remonte à très loin et a toujours hanté les esprits. La mémoire des anciens parle de réquisitions, rationnements, disettes, grêle, orages, récolte mouillée et blé germé.

Il est tellement présent dans la mémoire collective et la vie quotidienne qu'il sert à exprimer d'une manière imagée les multiples situations de la vie, ainsi « on n'avait nul pain sans peine » et « si l'on était fier de le gagner », on pouvait « avoir honte de le quémander ». Une relation pouvait être « bonne comme du bon pain » ou « grossière comme pain d'orge », chacun ne souhaitant que « le pain de ses vieux jours ». Même si on sentait « la moitié de son pain cuit » on essayait de ne pas penser au « pain cuit pour toujours ».

 

Dans la société quelle que soit la classe sociale, il y avait les bons et les mauvais « la fleur de farine ou le gruau gris ». A l'enfant de la campagne on enseignait la prudence « si tu vas chez le boulanger, tu manges ton blé en herbe ». Les jeunes couples étaient « tendres comme un quignon de pain » et s'ils étaient trop empressés, alors ils « prenaient des miches sur la fournée ». Les étourdis apprenaient à leurs dépens que « ce n'est pas toujours celui qui chauffe le four qui mord le pain chaud », et certains malicieux rêvaient que « le changement de corbeille fait trouver le pain bon ».

Tout le monde était d'accord pour dire qu'il valait mieux « courir à la miche ou au moulin qu'au médecin ». On avait une grande méfiance envers ceux qui promettaient « plus de beurre que de pain ». Plus d'une mère « s'ôtait le pain de la bouche » pour nourrir ses enfants qui se rendraient compte à leur tour, plus tard, qu'ils avaient « mangé leur pain blanc ». Enfin une jeune femme qui attendait un bébé avant le mariage, situation orageuse à l'époque, s'entendait dire qu'elle avait « emprunté un pain sur la nouvelle fournée ».

 

 

 

Photo Yves de Saint Jean

 

 

 

* Pain des champs, pain des villes

 

Tellement consacré, célébré, « liturgisé », dans les religions, la politique, l'industrie, la symbolique, pourquoi ce pain a-t-il, aujourd'hui, une part si modeste chez l'homme du 21ème siècle qui lui consacre désormais moins de 1% de ses dépenses ?

 

Longtemps, chaque village a possédé un ou plusieurs moulins à meule de pierre travaillant « à façon » le « blé du pays ». Puis les paysans vont voir peu à peu leurs petits moulins ruinés par les grands moulins équipés de cylindres, de trieurs qui fournissent une farine plus fine et plus propre.

La cuisson ménagère perd d'autant plus d'adeptes que les boulangers, souvent à la fois épiciers, ou cafetiers se multiplient dans les villages, cherchant à capter la clientèle en organisant parfois des tournées de livraison ou de dépôt.

 

Avec l'industrialisation, les ruraux les plus pauvres abandonnent les champs pour les usines. Sans blé ils n'ont plus d'intérêt à faire leur pain, d'autant que les cités ouvrières qui les accueillent n'ont pas de four et que le boulanger est à deux pas de leur porte. Ils perdent alors l'habitude de manger leur « pain paysan ».

Les ouvriers-paysans restés au village dont la situation matérielle s'améliore, s'appliquent la loi du moindre effort, d'autant que leurs épouses préfèrent aller chaque jour à la boulangerie pour bavarder. Autre conséquence, certains jeunes agriculteurs contestent le mode de vie ancestral et refusent les servitudes qu'elle créée.

 

 

 

 

 

* Le progrès ne fait pas tout

 

 

En fait il n'y a pas de « meilleur pain » mais du « bien ou mal fait ». Tout entre en jeu : la composition, la moulure, le mélange des farines, la qualité du froment, la préparation des levains, la manipulation de la pâte, la construction du four, la manière dont il est chauffé, la durée de la cuisson et par dessus tout, le tact et la précision de la personne qui cuit.

 

A notre époque d'accélération des progrès techniques, des pétrins à vitesse accélérée, les levures rapides, les fours automatiques, les sélections de blé, la standardisation des farines, les blés hybrides, voire OGM, les triturations, les forçages de pâte, les congélations et réchauffement des pâtons etc. Le pain ne manque plus en quantité, il manque simplement de goût, de consistance et devient parfois immangeable au bout de deux heures.

La grande difficulté est de trouver du bon pain.

Si autrefois la boulangerie était l'âme du village, ce n'est plus aujourd'hui forcément le cas, d'abord parce que les vrais boulangers se font rares et qu'on ne sait plus très bien reconnaître une vraie boulangerie d'un terminal de cuisson qui délivre des arômes artificiels de pain et brioche pour attirer le chaland ou d'une enseigne commerciale dont la dénomination peut porter à confusion.

Des textes de lois tentent de clarifier les choses mais ne délivrent pas forcément le talent et la volonté de faire du bon pain.

 

Voué aux gémonies à une époque par les diététiciens et nutritionnistes qui l'accusaient de faire grossir, le pain de notre enfance a ainsi perdu beaucoup de son prestige.

Il n'est le plus souvent qu'un aliment nécessaire, souvent utile au moment du repas de midi pour « pousser la nourriture et nettoyer l'assiette », malheureusement remplacé au petit déjeuner ou au goûter par des aliments « markétisés ».

 

 

 

 

* A la recherche du bon !

 

Face à cette désaffection, des minotiers réagirent en travaillant des blés de qualité en raffinant moins les farines. Dans des petits villages et quelques grandes villes, des boulangers adeptes des pains à l'ancienne et des farines naturelles, anonymes ou célèbres à l'instar d'un Poilâne cité plus haut, se sont mis à travailler comme leurs aînés avec des farines moulues sur meule de pierre, des levains et des fermentations naturels.

Ils ont pris le temps de faire du bon pain qui se conserve bien, au goût affiné, riche en vitamines, à la mie souple, aérée et à la croûte croustillante.

 

On le reconnaît vite et on recommence à en manger !

 

Baguette tradition, aux céréales, pain de campagne, complet, de seigle, au levain, aux graines, pain de mie, tradition, pain bis, bûcheron, azyme, pain d'épeautre, de gruau, au lait, autres pains d'épices et j'en passe...

 

Tout n'est donc pas perdu !

 

Pain sacré de vie éternelle, je termine ce billet en suivant ce fil d'Ariane entre Dieu, le pain et la naissance, fil encore visible de nos jours en France puisque le plus petit des pains s'appelle encore « le bébé », que les toiles sur lesquelles repose le pain à l'état de pâte se nomment « les couches », « le couffin » désigne la panière à pain tressée en osier et au Portugal le nom donné au levain est « la mère ».

 

 

Je vous souhaite une très agréable semaine !

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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G
Cher Monsieur,<br /> Grâce à Marie-Claude Laurent qui nous a transmis le lien, nous venons de passer un bien agréable moment en lisant votre blog et ce délectable billet sur le pain. Vos expositions à la Chapelle d'Etran étaient un régal pour les yeux et le souvenir de ces belles rencontres est encore bien présent dans nos mémoires et à la maison avec les "Jockeys de Clairefontaine" et le livre sur notre belle région Normande que vous nous aviez si gentiment dédicacés. <br /> Avec toute nos amitiés et nos meilleurs voeux pour cette nouvelle année<br /> Anne-Marie et Gill Geryl
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Y
Bonjour<br /> Ravi d'avoir de vos nouvelles qui remettent en mémoire d' agréables souvenirs en votre compagnie. Bonne année également pour cette nouvelle année 2022.<br /> Amitiés<br /> Yves et Catherine
A
Très goûteux. Et plein d'idées et d'informations précieuses. Merci.<br /> A la Mouline de Belin, il est fait maison. Et les hôtes repartent avec le levain et la méthode... <br /> Si Néandertal conservait son blé et ses morts dans la même grotte, ce que j'apprends, c'est sans doute aussi parce qu'elle était parfaite pour la conservation et sous surveillance. Il en allait de même dans les hôpitaux du Moyen-Âge (alinéa en cours) où le blé et le linge cette fois étaient rangés dans la même pièce choisie pour son hygrométrie. <br /> A - mie - calement.
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Y
a -mie-tiés
M
Bonne semaine à vous
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Y
A- MIE -TIES !
Z
Merci Yves pour ces rappels; cela ne mange pas de pain!! bonne année.