UNE VIE D'ABEILLE
Publié le 9 Mars 2022
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« Repose, ô Phidylé ! Midi sur les feuillages
Rayonne et t'invite au sommeil.
Par le trèfle et le thym, seules, en plein soleil,
Chantent les abeilles volages. »
Leconte de Lisle - Poésie barbares 1862 (extrait)
Depuis des millénaires, un petit insecte obstiné joue un rôle fondamental dans le cycle végétal.
Fascinant à observer, on ne sait encore que peu de choses sur ses subtilités.
Depuis les temps les plus anciens, le mystère, la magie, le symbole dansent sur les ailes diaprées de l'abeille qui nous offre le mets divin synonyme de toutes les douceurs, le miel.
Toutes les religions antiques ont vu dans l'abeille, l'envoyée des demeures célestes. Le Popol Vuh, le livre sacré des Mayas nous dit qu'elle est née dans la ruche universelle qui se trouve à l'intérieur du sol, le paradis, et ne fut exilée sur terre que pour tirer l'homme de son ignorance, de son néant et de sa barbarie.
Son histoire est plus ancienne encore, puisque l'on a retrouvé une abeille fossile dans les terrains tertiaires près d'Aix-en-Provence. Dans l'ambre de la Baltique, on a retrouvé de nombreuses abeilles sociales piégées dans cette résine millénaire. Elles récoltaient le nectar et stockaient le miel bien avant l'apparition de l'homme
L'image de l'abeille est celle de la travailleuse acharnée, de la butineuse forcenée, sans aucun doute, mais elle est avant tout une divine et vénérable depuis son premier vol, très loin dans le temps autour d'une petite fleur du paléolithique.
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De la nuit des temps à aujourd'hui
C'est par son miel qu'elle fut sacrée, par son nectar divin qui coule à flots dans toutes les religions et mythologies.
Les Égyptiens voilà plus de 4 000 ans n'ignorent rien de l'apiculture. L'abeille des égyptiens est née des larmes du dieu du soleil Rê et dans l'alphabet hiéroglyphe elle symbolise la royauté.
Moïse, décrivant aux Hébreux la terre promise, la compare à l'Eden où coule à profusion le lait et le miel.
Les Grecs et les Romains l'offrent en sacrifice sur les autels de quelques divinités. Avec le même miel, ils préparaient « l'hydromel », la boisson divine adoptée plus tard par les Gaulois, qui fait de l'homme l'égal d'un dieu immortellement préservé.
Image de la vie généreuse, de l'abondance sucrée et sacrée. L'image de la mort vaincue car l'abeille est assimilée à bien des rites funéraires.
Les Babyloniens et les Assyriens embaument leurs morts de miel pour leur permettre de passer la porte de l'au-delà.
Investis de pouvoirs, l'abeille et le miel sont chargés de tabous férocement défendus. Dans certaines sociétés, qui vole une ruche ou du miel risque la mort.
Le Christ apparaissant à ses disciples sur le chemin d'Emmaüs reçoit en offrande une part de poisson et un rayon de miel. Salomon dans le Cantique des Cantiques chante à sa belle « Sulamite » : « le miel sort de tes lèvres ».
Napoléon choisit l'abeille associée à l'immortalité et la résurrection comme un des symboles de ses armoiries.
Suivant pas à pas la vie d'un essaim, depuis qu'il a quitté la ruche chaude et confortable pour affronter un monde plein de périls, Maeterlinck évoque dans son célèbre ouvrage « La vie des abeilles », « cette étrange petite république, si logique et si grave, si positive, si minutieuse, si économe, et cependant victime d'un rêve si vaste et si précaire ».
« Enfin je vais chanter le peuple industrieux qui recueille le miel, ce doux présent des cieux... »
Virgile - Géorgiques - Une ode à la gloire des abeilles
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Étrange petite République : la ruche
Avant de partir batifoler derrière une abeille qui, elle, n'est pas là pour s'amuser, regardons là d'un peu plus près pour l'aimer davantage.
En Europe, l'espèce la plus connue est celle des « Apis mellifera » ou porteuses de miel. Elles sont hyménoptères, c'est-à-dire équipées de quatre ailes et d'un aiguillon, classées avec les guêpes et les fourmis.
L'abeille, cette jolie création mythique de l'homme n'existe pas réellement car en réalité l'individu abeille n'est rien. Seule, la société ruche existe. La suprématie du social est partout dans la vie de la ruche, même au niveau des fonctions biologiques. Elle se nourrit collectivement.
Elle va butiner seule, c'est vrai mais quand elle revient de son exploration florale, elle doit obligatoirement donner tout le nectar qu'elle a récolté et si elle a faim, elle pourra demander un peu de miel à une autre. La nutrition s'opère comme une aumône d'abeille à abeille, ce qui permet un échange permanent, complexe, vital d'hormones et d'informations sur l'état de la ruche. L'abeille seule, isolée ne peut pas vivre. Elle tombe en décrépitude et meurt en quelques jours.
A la respiration individuelle s'ajoute une respiration collective. S'il arrive que la teneur en gaz carbonique est trop élevée, alors les ouvrières battent des ailes et aèrent la ruche.
L'antiseptie est la dernière grande fonction biologique socialisée des abeilles qui se protègent grâce à une géniale pellicule antibiotique qui sert de barrage anti-germes : la propolis.
« Nous voyons l'abeille se poser sur toutes les plantes et tirer de chacune le meilleur. » Isocrate
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La reine, un être unique et fondamental
Ce qui compte dans la ruche, c'est la relation étroite des abeilles autour d'un être unique et fondamental : la reine, le seul être femelle fécond qu'elle doit à un traitement de surnourriture à base de gelée royale qui contient un principe secret favorable au développement des organes reproducteurs.
La reine morte, la ruche devient folle, désorganisée.
Si on veut importer une reine étrangère, elle est immédiatement assassinée par un redoutable commando.
Plusieurs larves royales se préparent en même temps. La première née l'emporte et devient reine. Elle ouvre les autres cellules royales, mord, pique et tue ses rivales en émettant un son très particulier.
Très rapidement la nouvelle reine va sortir pour être fécondée. Elle va se rendre à un « bal des abeilles » qui regroupe des milliers d'insectes. Ces vols nuptiaux ont lieu dans des endroits très précis, les mêmes parfois pendant de nombreuses années. Plusieurs mâles vont alors tourner autour de la reine vierge.
Jusqu’à dix-huit mâles sont parfois nécessaires pour la fécondation d’une seule reine.
Après cette copulation volante, la reine revient à la ruche en portant parfois à l’extrémité de son abdomen, les organes génitaux d’un mâle. On assure qu'il en meure.
Les spermatozoïdes vont se loger dans la spermathèque de la reine. Cette réserve assurera la fécondation des ovules pendant toute la vie de la reine.
Ensuite elle pond avec une hallucinante fécondité : 2 000 à 3 000 œufs par 24 heures. Pendant trois, quatre et même cinq ans, elle pond sans relâche. Elle vieillit très vite. Sa démarche devient lourde, son corps se déforme, ses ailes s'effrangent. Il faut alors la remplacer.
Le sexe mâle s'incarne dans les bourdons, faux-bourdons et abeillauds. Pauvres garçons. Ils sont le « fruit » d'un œuf non fécondé et leur rôle est mal défini. En réalité, ils semblent servir d'excitants aux ouvrières et leur paresse se justifie par l'activité qu'ils insufflent aux travailleuses qui ne chôment vraiment pas.
Le rôle de l'abeille dans la ruche est directement relié au développement de ses organes dont l'évolution décrit la fonction.
Les « gamines » sont affectées au nettoyage puis elles deviennent nourrices pendant cinq à six jours puis sont cirières et enfin, grade suprême, butineuses.
L'âge de l'abeille détermine son caractère. Une jeune est toujours gaie, de bonne humeur, bourdonnante et serviable alors qu'une plus âgée est souvent un brin râleuse.
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La danse des butineuses
On pourrait croire que les abeilles sentent le parfum des fleurs à longue distance.
Pas du tout. Leur flair n'est pas supérieur à celui de l'homme mais elles possèdent un sens supplémentaire.
Le célèbre éthologue* allemand Karl Von Frisch fut le premier à découvrir dans ses études sur les perceptions sensorielles et les danses des abeilles que la butineuse exprimait par une danse frétillante et en rond, la direction, l'évaluation de la distance, l'orientation du parcours de la source à miel. Si l'une d'elle insuffisamment expérimentée fait une erreur de code et part dans la mauvaise direction, il lui faut quarante huit heures pour retrouver ses esprits et devenir danseuse compréhensible et bien au point.
Mieux encore, sa peau retenant les odeurs de fleurs, ses collègues, en la flairant, savent quelles fleurs il faut rechercher. Il existe donc un langage d'abeilles voire même de dialecte acquis.
Il y aurait tant de choses à raconter sur les abeilles. Il paraît qu'elles sont sourdes mais émettent des ultra sons. On dit qu'elles respirent par la bouche ce qui n'a rien d'original mais aussi par les pattes ce qui l'est davantage.
« La fleur ne rêve pas de l'abeille. Elle fleurit et l'abeille vient à elle. »
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Au cœur de la biodiversité
Un de mes amis, au village, s'est lancé en amateur, dans l'apiculture. Il a plusieurs ruches. Chaque année il nous offre un pot de son miel qui est excellent et d'une belle couleur ambrée.
Toute l'année il surveille ses colonies, les nourrit pendant l'hiver, respecte leur quiétude, fait de son mieux pour les protéger de cet assassin frelon asiatique et du parasite tueur, le varois.
Mais leurs plus grands ennemis, me disait-il, sont ces néonicotinoïdes tueurs d'abeilles, dernière famille de pesticides la plus vendue dans le monde. Régulièrement ce sont des familles entières d'abeilles qui sont décimées par endroits. Ainsi 80 000 abeilles peuvent être tuées par un seul grain de maïs enduit de 0,5 mg de ce poison.
Des chiffres nous indiquent que les abeilles contribuent de 75 à 80% de la production végétale destinée à l'alimentation grâce à la pollinisation. Elles sont au cœur de la biodiversité et de nos écosystèmes. Une colonie pollinise près de 4 millions de fleurs par an. Sans insectes pollinisateurs, adieu fleurs, parfums, pommes, artichauts, citrons, poires, oignons et autres plaisirs de l'assiette.
Alors protégeons les abeilles et surtout apprenons à les connaître en les regardant vivre!
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On dit un peu partout qu'elles reconnaissent les bons des méchants, ne piquant que ceux qui le méritent.
Alors si vous souhaitez vous lancer dans l'apiculture ou tout simplement vous engager pour que ce petit insecte fasse partie des espèces protégées vous êtes prévenus !
« Si l'abeille disparaissait de la surface du globe, il ne resterait plus que quatre ans à l'homme. Plus d'abeilles, plus de pollinisation, plus de plantes, plus d'animaux, plus d'homme. »
Albert Einstein
* L'éthologie est l'étude scientifique du comportement des espèces animales, y compris l'humain, dans son milieu naturel ou dans un environnement expérimental par des méthodes scientifiques d'observation.
Bonne et agréable semaine
Yves
Dans un prochain billet je vous parlerais du mets divin synonyme de toutes les douceurs : le miel
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