LE POUVOIR DES FLEURS

Publié le 9 Juin 2024

Arums, lupins, cheveux de Vénus

 

 

Et si par ces temps grisâtres, pluvieux et de lente tristesse, on parlait du pouvoir des fleurs.

La fleur, elle est le besoin impératif de la nature, la tentation de fraîcheur. Elle habille tous les styles, réveille toutes les époques.

En semant des fleurs, on récolte toujours la gaîté.

Que ce soit dans les mosaïques romaines, les peintures égyptiennes, la vaisselle rococo, la fleur est le moment intemporel, universel parce qu'elle a toujours voulu dire gaité, fraîcheur, jardin. On l'aime proliférante et on la souhaite éternellement vivante.

Son époque de gloire florissante, ce fut 1900, le début de la triomphale invasion florale.

Jusqu'au 18e siècle, les motifs floraux existent, bien entendu, mais sagement épinglés, peints, domestiqués sur les meubles, les appliques, les porcelaines, les robes et les costumes pour homme.

La fleur naturelle n'est pas encore un cadeau. On offre des sucreries, des épices, des bibelots mais personne n'a encore eu l'idée de dire toutes choses avec trois boutons de roses et quelques pétales de marguerites.

La fleur à la boutonnière n'apparaîtra que vers 1880. Smoking de rigueur et gardénia au revers de la veste oblige. Les snobs, eux, préfèrent l'orchidée.

 

 

 

 

 

 

Puis, soudain, c'est le tournant floral, les peintres symbolistes s'emparent de la fleur, lui donnent un sens, l'ésotérisent, la transcendent.

Les écrivains font entrer l'amour botanique dans la littérature. Huysman consacre des pages aux Echinopis (cactus-oursin) et aux Caladiums (appelés aussi oreilles d'éléphant, cœur de Jésus et ailes d'ange) qui l'enchantent.

Emile Gallé, le célèbre verrier, passionné de botanique et précurseur en matière de génétique et d'évolution concernant le monde végétal, inscrit au dessus des portes de son atelier : « nos racines sont au fond des bois, au bord des sources, sur les mousses ». Ses nombreuses œuvres dont les vases aux lys et marguerites (1896), fougères ou clématites (1900) ou la coupe bégonia rose (1894) sont célèbres et recherchées.

 

 

 

Lupins et pavots de Californie

 

 

 

L'art floral envahit tout : les affiches, les livres, les papiers peints, l'argenterie, les verres, les bijoux. Le premier haut-parleur du phonographe emprunte la forme entonnoir du volubilis.

Il ne faut pas oublier que 1900 est l'époque du matérialisme triomphant et du machinisme dévorant.

La fleur, étrange, aquatique, singulière devient un acte de contestation, une réaction d'artistes. L'Art nouveau, l'arabesque florale est un art pour le peuple.

Les classes aisées le boudent intensément, pas assez aristocratique. Elles veulent du clinquant, du brillant.

L'Art nouveau est le premier effort sincère où les artistes veulent créer un art quotidien, accessible à tous, bon marché.

Guimard, l'architecte et représentant majeur de l'Art nouveau en France, dédie ses entrées de métro aux usagers banaux. Le lys et le chardon envahissent les devantures populaires.

Justus Brinckmann, à l'origine du musée des Arts décoratifs de Hambourg écrit : « il faut que l'art descende dans la rue et croise continuellement des milliers de travailleurs à qui vous ne pouvez offrir ni du temps ni de l'argent ».

C'est l'époque où Arthur Lazenby Liberty fondateur de Liberty&Co, ouvre sa boutique dans Regent Street et lance ses tissus aux très célèbres fleurettes.

 

 

Passiflore

 

 

1900 semble loin, mais pas tant, et notre époque lui ressemble avec cette même nostalgie du végétal, du floral et la même angoisse des machines infernales qui mangent du temps et détruisent la société.

Les indémodables tissus fleuris Liberty dont on décore encore les maisons datent de 1900. Le vase Gallé que l'on chine aux puces, c'est encore du 1900 et les lampes Tiffany aussi. Certains bistrots se refont même un petit air d'Art nouveau qui frôle le 1900.

 

Mais laissons là cet Art nouveau même s'il nous inspire encore et réinventons plutôt au quotidien le pouvoir des fleurs dont le langage nous vient du fond des âges, comme si le simple et prodigieux miracle de leur épanouissement était un signe, un message envoyé aux hommes.

Imaginez que par une radieuse matinée de printemps, on entre dans votre chambre en habits clairs et que l'on pousse doucement les persiennes. A votre grande surprise, vous découvrez sur le plateau du petit déjeuner quelques brins de muguet dans un verre ou une branche de lilas mauve odorant. Alors vous comprenez que ces fleurs délicates cachent, au creux de leurs fines corolles et dans leur nuage de parfum, un petit mystère, un présage charmant, une douce promesse, un tendre aveu.

 

 

coquelicots

 

 

« La porte du grand salon s'ouvrit, et une foule pressée de fleurs magnifiques entra en dansant. Ida ne pouvait comprendre d'où elles venaient. Sans doute, c'étaient toutes des fleurs du jardin du roi ! A leur tête marchaient deux roses éblouissantes qui portaient de petites couronnes d'or : c'étaient le roi et la reine. Ensuite vinrent les plus charmantes giroflées, les plus beaux oeillets, qui saluaient de tous côtés. Ils étaient accompagnés d'une troupe de musique ; de grands pavots et des pivoines soufflaient si fort dans des cosses de pois qu'ils en avaient la figure toute rouge ; les jacinthes bleues et les petites perce-neiges sonnaient comme si elles portaient de véritables sonnettes. C'était une musique remarquable ; toutes les autres fleurs se joignirent à la bande nouvelle, et on vit danser violettes et amarantes, pâquerettes et marguerites. Elles s'embrassèrent toutes les unes les autres. C'était un spectacle délicieux. Ensuite, les fleurs se souhaitèrent bonne nuit, et la petite Ida se glissa dans son lit, où elle rêva à tout ce qu'elle avait vu » nous raconte Christian Andersen en 1835 dans « Les fleurs de la petite Ida ».

 

Les fleurs font rêver, alors plus d'hésitation, mettez-en partout, à votre chapeau, dans vos cheveux, à votre boutonnière, brodez, peignez, collez et semez-en dans tous les coins de votre jardin ou sur votre balcon, vous récolterez alors toujours la joie et la gaité.

 

Quand j'ai débuté l'écriture de ce billet nous pataugions dans la gadoue, la pluie, le froid et la grisaille.

Au moment où le voici prêt à être publié, le soleil est revenu nous réchauffer et les roses ont ouvert leurs corolles, preuve s'il en est du pouvoir des fleurs.

 

« Ne voudriez-vous pas entrer dans mon jardin ? J'aimerais que mes roses vous voient. »

 

 

Je vous souhaite la semaine la meilleure !

 

 

 

 

 

 

 

 

cosmos
Capucine
lupins
Tournesol pompon
Rose de Noël
Rosiers grimpants et lupins à l'entrée du jardin

 

Dalhia saumon

 

Mon jardin fleuri

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #Potager de Saint Jean

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