LA PETITE FEE BLEUE

Publié le 19 Janvier 2025

Une fée des campagnes - aquarelle

 

 

On ne parle plus guère des fées dans nos campagnes, sinon dans quelque conte pour enfants et encore... Nos pays de Loire sont riches en fées. Ces vaporeuses personnes semblent se plaire dans nos landes et chemins creux bordées de haies.

Dans ces filles blanches, il est bon de distinguer les fades et les martes.

Les premières sont d'humeur douce, bienveillante et bienfaisante. Elles sont de précieux auxiliaires des hommes pour soulager leurs peines quotidiennes.

Les martes ou marses sont, au contraire, des divinités sauvages et malfaisantes comme habitées par le malin. Il convient de s'en méfier car elles attirent souvent les hommes vers des bas-fonds. Ces dernières ont en général une tenue et des habitudes excentriques, grandes, maigres et débraillées comme des bohêmes. Leurs longs cheveux noirs comme du jais tombent en cascade sur leurs talons. Perchées sur quelque monticule ou vieille trogne*, c'est ainsi qu'elles apparaissent parfois au paysan qui peine au labour ou aux semailles de son champ.

Leurs noms restent le plus souvent attaché à des monuments venus du fond des âges comme les dolmens, les menhirs, les grottes où elles dansent les nuits de grande lune.

Elles hantent aussi les fontaines guérisseuses rares et précieuses et les ruisseaux où l'on peut les voir marcher sur l'eau.

Certaines fées puissantes et bonnes accomplissent leurs œuvres la nuit à la lueur pâle de la lune se servant d'un marteau magique, tout en or, pour terminer leurs ouvrages, consolider les toitures, décorer les autels, mettre aux baies les vitraux colorés, orner les chapiteaux de délicieuses sculptures.

Dans les Vaux-du-Loir, il y a aussi de mauvaises fées mais la plupart sont pacifiques et laborieuses.

 

 

L'Hoplie bleue - aquarelle

 

 

L'une d'entre-elles est particulièrement remarquable. Dans le folklore, on la compare à une fée. Mais celle-ci n'a point figure de belle dame, ni chevelure blonde. Elle n'arrive pas sur un nuage rose et n'a pas de carrosse attelé de chevaux caparaçonnés.

Avec sa couleur bleu métallique, elle ressemble à une turquoise dont la couleur serait voilée par une fine poussière d'argent. Une élégance de petit marquis, ce monsieur Hoplie, quand il endosse son manteau iridescent façonné de minuscules écailles d'un bleu métallique. Il peut parader, jouer avec le soleil, les reflets de l'eau, des ruisseaux et des étangs.

L'hoplie bleu, c'est son nom, accroche immanquablement le regard. Sauf que ce n'est pas le nôtre, de regard, qu'il tente de capter mais celui de Madame, une petite brunâtre plutôt renfrognée qui se camoufle au pied des grandes herbes pour tenter d'échapper à la concupiscence virile de monsieur qui s'immobilise et soulève un peu les pattes arrières pour dégager des phéromones afin d'attirer ces dames.

Cette fée s'est faite minuscule, moins d'un centimètre. Elle vit cachée. On ne la rencontre jamais au milieu des étangs ou des grands bois. Son palais est petit.

La demeure où elle vit est située sur quelques grèves d'or ou au bord de petits ruisseaux sur des sites bien ensoleillés. Elle s'expose au sommet des plantes, en haut des tiges et des fleurs. En se balançant au gré des brises légères, elle attend les pèlerins qui vont lui demander le bonheur.

L'Hoplie partage avec le morpho bleu d'Amérique du sud, le canard colvert ou le paon une curieuse disposition qui intéresse aussi bien les disciples de Henri Fabre* que les physiciens. Sa couleur ne vient pas d'un pigment mais de la diffraction de la lumière qui s'opère dans les micro-fentes de ses écailles.

Je l'ai trouvée, un beau matin, se balançant au bout d'un brin d'osier au bord du ruisseau du potager.

Ce petit scarabée est l'une des plus belles fées.

Comme toutes les « bêtes à bon Dieu », coccinelles et autres petits coléoptères l'Hoplie ne doit jamais être écrasée. Aide et complice précieuse du jardinier, elle transporte le pollen et se nourrit de pucerons et autres petits parasites. Si on la prend dans la main, elle simule la mort.

 

Trogne - aquarelle

 

 

Elle a pourtant bien failli disparaître. Au 19e siècle, fleuristes et modistes ont longtemps utilisé l'insecte pour sa belle couleur, une fois séché, en le collant sur les fleurs ou les feuilles des bouquets et autres parures. Quant aux belles dames de Touraine et alentours elles avaient eu la diabolique idée, pour attirer les regards sur leurs corsages, de demander à leurs bijoutiers d'utiliser sa carapace si précieuse pour orner bagues, broches et bijoux. Heureusement, tout ceci n'est plus que vilain passé.

Désormais, cette petite fée bleue est protégée.

L'Hoplie fait aimer et porte bonheur.

C'est un talisman !

 

« Personnellement, nous dit monsieur Jean Rostand, c'est par l'insecte, que tout d'abord la nature me captiva. Il est mêlé à toute mon enfance. Quelles impressions ineffaçables je devais garder de mes premiers contacts avec lui. Je me souviens encore, après trente années, de l'émerveillement que j'eus à découvrir, sur un arbre des bords de la Nive, ce saphir céruléen qu'est le mâle de l'Hoplie. »

 

 

 

Bonne semaine à toutes et tous !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* trogne : forme d'arbre têtard

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #Potager de Saint Jean

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