FRANCOIS VERON DE FORBONNAIS - ACTE 1

Publié le 9 Février 2025

François Véron de Forbonnais, pastel de Quentin de La Tour

 

 

Qui connaît, aujourd’hui, François Véron de Forbonnais hormis quelques historiens spécialistes du commerce, universitaires ou érudits locaux originaires de Champaissant, terre d’élection dans le nord de la Sarthe de notre personnage à qui je consacre ce billet.

« S’il eut profité de la réputation que son nom seul lui avait acquis dans l’étranger où les étamines vérones étaient préférées à toutes autres, il aurait pu faire la fortune la plus brillante…Entraîné par le désir de travailler pour ses concitoyens et pour sa patrie, il se retira peu à peu du commerce… » Ainsi s’exprimait le célèbre cirier manceau originaire de Bellême, Jean Leprince.

François Véron de Forbonnais, oublié de l’histoire, est né au Mans, paroisse Saint Nicolas le 3 octobre 1722. Il est l’arrière-petit-fils de Jean Véron, l’inventeur de l’étamine. Observateur et acteur privilégié des aspects politiques, philosophiques, économiques et culturels du royaume de France, ses activités couvrent quasiment tout le 18e siècle. Après cinq années d’études au collège de Beauvais à Paris (1733-1738) comme beaucoup de jeunes bourgeois de cette époque, il s’initie au commerce dans l’entreprise familiale pour laquelle il voyage en province mais aussi en Italie et en Espagne. Il est également fortement influencé par les quelques années passées chez un oncle armateur nantais, (de la fameuse famille Plumard de Rieux), où il se confronte aux affaires maritimes et coloniales telles qu’elles étaient pratiquées à l’époque.

Des qualités intellectuelles évidentes, une puissance de travail extraordinaire et ce fameux 18e siècle, véritable « bouillon de culture » vont permettre à François Véron de développer les diverses facettes de sa personnalité. Destiné à remplacer son père dans la manufacture du Mans, il préfère, à 30 ans, regagner Paris pour adopter une carrière d’homme de lettres vouée essentiellement aux études et à l’écriture de ses réflexions sur le commerce et les finances. Selon certains témoignages, il est considéré comme un des premiers économistes français de l’époque : « des connaissances si étendues accompagnées d’une rare probité semblaient marquer la place de Forbonnais dans l’Administration des Finances. » Son intérêt pour le commerce et l’économie en général, son expérience de « terrain », ses études des économies anglaises et espagnoles, sa curiosité et son intelligence vont le faire reconnaître comme l’un des premiers économistes français de la seconde moitié du 18e siècle.

 

 

 

 

Forbonnais précurseur

 

Libéral, influencé par le système économique anglais, il se prononce pourtant pour la liberté des exportations et des importations. Il est néanmoins attaché à la monarchie et partisan d’une économie « protégée » justifiée par l’intervention d’une réglementation mise en place par l’Etat. Selon Christian Morisson, professeur émérite à l’université de Paris : « Son œuvre paraît novatrice dans la mesure où il souligne la liaison fondamentale entre les activités agricoles et industrielles ; il a une conscience d’autant plus vaste des problèmes de croissance dans un pays sous développé qu’il fait intervenir les multiples incidences du système fiscal ». Initiateur de l’économie politique, il rédige à partir de son analyse des situations économiques et financières de la France mais aussi des pays voisins, de nombreux essais et mémoires dans lesquels il manifeste son intérêt pour la législation, le commerce mais aussi pour l’industrie naissante et l’agriculture : « il embrassait par la pensée toute la sphère de l’utilité publique ». Bientôt rejoint par les « physiocrates», un autre courant de pensée économique qui veulent dominer par cette science qu’est la « Philosophie rurale », François Véron entre en guerre contre les idées formulées par leur chef de file, François Quesnay qui préconise dans son « Tableau Economique » la libre circulation des grains.

Les compétences de Forbonnais très vite reconnues  notamment à la suite de la publication des « Considérations sur les finances d’Espagne » et surtout après celle des « Recherches et considérations sur les finances de la France depuis 1595 à 1721 », Voltaire, lui-même, veut en faire en 1758, un contrôleur général des finances, l’un des principaux postes ministériels sous la monarchie absolue. Après avoir occupé les fonctions de contrôleur des monnaies et d’inspecteur général des monnaies de France, il collabore avec Etienne de Silhouette, contrôleur général des finances. Au départ de celui-ci, le Dauphin, Louis de France, lui propose le poste qu’il refuse sans hésiter, sachant pertinemment qu’il ne pourra appliquer ses projets de réforme de la « taille » en raison de l’opposition d’une grande partie de la noblesse. Il part alors en Bourgogne où il a quelques intérêts dans une verrerie.

Choiseul, ministre de Louis XV, souhaite l’avoir à ses côtés tout comme d’autres ministres tels Nicolas Berrier à la marine ou le duc de Belle-Isle à la guerre. A chaque fois, Forbonnais décline l’offre. Il hait la corruption et les corrupteurs. Il le démontre à plusieurs reprises et notamment en 1759, quand on cherche à le corrompre pour faire passer un projet d’édit royal censé permettre d’enrichir les receveurs généraux des finances. « L’argent ne me rendra pas abject » écrit-il. Cet incident lui vaut les foudres de Madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV. Elle n’est sans doute pas étrangère à la lettre de cachet du roi qui exile notre homme sur ses terres de Forbonnais à Champaissant dans le nord de la Sarthe, alors qu’il vient de remettre au Dauphin un projet de réforme complète des nombreux impôts et taxes. Visionnaire et critique de la fiscalité royale qu’il juge injuste et arbitraire, il propose de mettre en place une imposition « moderne » avec abolition des privilèges et la création d’un impôt unique, progressif, basé sur le revenu. Il accepte sa disgrâce avec humour : « j’ai trouvé un bon moyen de déjouer la fortune. Je me suis proclamé souverain à Forbonnais, et j’ai exilé mes ennemis à Versailles. »

De retour sur son domaine d’origine médiévale dans le château de Forbonnais qu’il a fait construire en 1764, il expérimente ses idées : « je deviens manufacturier et agriculteur », écrit-il à un de ses amis. Il se livre avec énergie dans l’étude des questions agricoles, la culture des terres, l’élevage, leur développement, les améliorations à apporter pour faire prospérer le pays. Il expérimente de nouveaux procédés, en rédige un fascicule « Instructions générales de ma régie » où il donne des consignes très précises pour la gestion de son domaine qu’il souhaite rationaliser et rentabiliser avec notamment des principes de comptabilité, prémices de notre plan comptable actuel. Sur les paroisses entourant son domaine, il souhaite appliquer ses principes concernant l’assiette et la répartition de la « taille », impôt principal injuste et arbitraire. Il propose une estimation des biens basée sensiblement sur ce qui est de nos jours le cadastre. En homme intègre, il donne l’exemple en abandonnant le privilège d’exemption de la « taille » que lui confère son titre de noblesse. Des documents de l’époque montrent que l’expérience fut suivie même en dehors de la région sarthoise.

 

 

Forbonnais et l’Encyclopédie

 

Ami des philosophes, Rousseau, Montesquieu ou Voltaire et des encyclopédistes, François Véron est né et a vécu dans cette formidable époque du 18e siècle propice à la fécondité et à la circulation des idées nouvelles. C’est au cours de cette période qu’est publiée, sous la direction de Diderot qu’il connut en voisin et du mathématicien d’Alembert, cette œuvre majeure du siècle des lumières : l’Encyclopédie. Ecrite par 130 auteurs, Forbonnais en est l’un des principaux auteurs avec la rédaction de quatorze articles, sous différentes rubriques, consacrés au commerce et à l’agriculture.

 

 

Mle Leray de Chaumont épouse de François Véron de Forbonnais

 

La Révolution

 

Très tôt, dès 1760, Forbonnais a pressenti qu’une révolution est inévitable en France si l’on n’adopte pas une réforme radicale du régime financier du royaume. Il cherche sans cesse à combattre les privilèges dont jouissent la noblesse et le clergé et s’applique à lui-même ses idées. Dans une déclaration du 30 septembre 1764, il promet aux habitants de Champaissant « de s’obliger, tant pour lui que pour les possesseurs de la terre, fief et seigneurie de Forbonnais, à perpétuité, de renoncer à tout privilège dans l’exploitation des terres qu’il possède ou que l’on pourra annexer à la dite terre… »Il accueille avec soulagement et espoir la décision de Louis XVI de convoquer les Etats Généraux en mai 1789 et la rédaction des cahiers de doléances. C’est à ce moment que les habitants de la paroisse de Champaissant l’élisent comme député à l’assemblée de baillage de Mamers. Mais il n’ira pas aux Etats Généraux. En 1791 Louis XVI le supplie d’entrer à son conseil : « Osez entreprendre et exécuter, soyez le bienfaiteur de la Nation, le guide de nos finances, le Conseil de votre roi. Sauvez l’Etat, venez accepter la place dont vous êtes digne. Vous serez pour moi le Sully du siècle d’Henri ». Forbonnais refuse. Sans doute a-t-il compris que la monarchie constitutionnelle ne durerait pas longtemps. Il est quelque temps le collaborateur du « Journal de Dupont de Nemours L’Historien » où il signe « un vieillard de la Sarthe » et proteste contre les emprunts forcé de l’an IV.  En 1793 au moment des événements vendéens, il rentre sur ses terres sarthoises après la bataille du Mans. Il est en retrait de la vie politique, n’appréciant pas avec la Terreur, le tournant prit par la Révolution. En 1799, directement menacé, ne pouvant bénéficier d’une protection, il quitte Champaissant pour Paris où il décède l’année suivante, le 20 septembre 1800 à l’âge de 78 ans.

 

 

Le château de Forbonnais à Champaissant démoli en 1910

 

François Véron de Forbonnais, un domaine et une œuvre

 

Résidence permanente à partir de 1788, François Véron habite le domaine de Forbonnais, près de Mamers, en permanence après son mariage en 1787 avec Mlle Leray de Chaumont, âgée de 33 ans, fille du gouverneur des Invalides. Après la mort de son mari, la veuve conserve le domaine jusqu’à sa mort en 1829. Par la suite le château est laissé à l’abandon. En ruine, il est démoli en 1910.

Partisan de la monarchie mais opposé à l’absolutisme, Forbonnais a défendu toute sa vie les valeurs de Liberté et d’Egalité inscrites dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen votée à l’Assemblée Constituante le 26 août 1789.

Au total, plus de 300 manuscrits composent son œuvre sur les finances, le commerce, la législation, l’agriculture, l’économie politique, la diplomatie, la marine et les colonies, les monnaies sans compter des manuscrits littéraires dont la traduction des Annales de Tacite, un recueil de poésies fugitives et une tragédie. Beaucoup de ces manuscrits sont introuvables car publiés à l’étranger, faute d’avoir obtenu le « permis d’imprimer en France » exigé depuis 1764. Assurément, la célébrité de François Véron de Forbonnais, de son vivant, est essentiellement due à sa participation à l’Encyclopédie. Homme d’action, intègre, la gestion de ses terres le préoccupa beaucoup. Ses principes agronomiques furent-ils plus bucoliques et poétiques que scientifiques, peut-être ? Ce qui est certain, c’est qu’il fut sans aucun doute l’un des auteurs ayant le plus contribué à la naissance de l’économie politique dans la seconde moitié du 18e siècle.

Plusieurs portraits nous laissent entrevoir un homme au visage ouvert et au regard vif.

 

 

Bonne semaine à toutes et tous !     

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #personnages

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article