HISTOIRES DE LOUP
Publié le 9 Mars 2025
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_9024c2_foret-de-chenes.jpg)
Un ami forestier m’expliquait, il y a quelque temps, que beaucoup de marcheurs ou randonneurs solitaires hésitent à pénétrer en plein cœur des forêts avec cette curieuse impression de ne pas être seul et d’être observé, préférant déambuler non loin des allées bien dégagées. Plusieurs raisons, me dit-il, celle de l’angoisse de se perdre mais surtout en raison d’une peur qui nous vient de loin : celle du loup. Ses explications, ses références m’ont convaincu d’aller fouiller dans cette mémoire tragique et mythique de nos campagnes.
Depuis la nuit des temps, la frayeur de « canis lupus » transmise de génération en génération s’est inscrite dans notre inconscient collectif. « Il n’a pas vraiment un statut à part. Aux côtés du sanglier ou du cerf, il fait partie d’une douzaine d’animaux qui jouent un rôle particulier sur le plan de l’imaginaire et des symboles, nous explique Michel Pastoureau, historien médiéviste, auteur de « Le loup, une histoire culturelle », cela s’explique tout simplement par le fait qu’il a été proche de l’homme dans la vie des campagnes et qu’il a inspiré une grande peur pendant des siècles. »
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_d7ab3b_dans-la-gueule-du-loup-400x267.jpg)
Le loup, compagnon de la misère
Chanteloup, Fosse-aux-loups, Louverie, Loup-pendu, Guetteloup, Heurteloup sont autant de lieux-dits, de hameaux, de communes qui conservent dans le département et ailleurs, le passage du loup. Ici, près de la maison, un bois et un étang portent le nom de Sauloup. A une époque, la nôtre, où la question du retour du loup en France depuis 1992 est plus que jamais d’actualité, il faut savoir que l’animal a quitté tous ces lieux-dits il n’y a pas si longtemps. En 1879, une louve attaque trois personnes en forêt de Sillé, l’une d’elles mourra de ses blessures et c’est en 1890 ou 1891 (selon les sources) en forêt de Perseigne que fut tué le dernier loup en Sarthe dans le fond de la Croix-Gravelle. Il pesait plus de 40 kg. Un autre avait été tué en 1887 en forêt de Sillé-le-Guillaume et un en forêt de Charnie en 1885. En décembre 1860, M Poquereau, boucher rue de Gautray à Saint-Calais, dans les Vaux-du-Loir, surprend un loup dans sa cour et l’abat. Jusqu’au milieu du 19e siècle, les loups, dans notre département où les bois et forêts sont abondants, ravagent la campagne sarthoise. Les registres municipaux et paroissiaux indiquent que pendant les périodes de grands froids, ils viennent jusque dans les cours des fermes « étranglaient les chiens, les moutons, les veaux et les poulains et attaquaient les femmes et les enfants pour les dévorer ».
Dans la seule région du Mans, du 1 janvier 1761 au 31 décembre 1769, 356 loups sont tués sans pour autant, relèvent les archives, que la race soit détruite. Sa prolifération correspond dans la Sarthe comme ailleurs, aux périodes de famines, d’épidémies ou de guerres. L’arrêt des battues pendant la période troublée révolutionnaire et celle des campagnes napoléoniennes provoquent la multiplication de la bête sauvage. Le loup est compagnon de la misère.
Lorsque les agressions se multiplient dans un espace relativement délimité où l’animal devient insaisissable, il devient « la bête ». La Sarthe, d’une certaine manière, a connu sa bête du Gévaudan. En 1739, un loup a parcouru huit paroisses, attaque 70 personnes dont plus de 50 sont mortes, ainsi que deux mille animaux de toutes espèces. Le plus souvent, les cas d’un même loup multipliant les agressions sont le fait d’une bête atteinte de la rage et de ce fait privée d’un instinct de conservation qui le tient habituellement plutôt à l’écart de l’homme.
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_1a3429_00075682.jpg)
Loup et loup-garou
Le 29 mai 1743, Marie Vérité, âgée de 8 ans, dont la mémoire est restée dans le village, fut attaquée par un loup carnassier ou cervier dans le bas du bourg de Thoiré-sur-Dinan, alors qu'elle était à la tête de la procession des Rogations. Elle fut secourue mais mourut l'après-midi. C'était la quatrième victime du secteur. Le loup fut traqué à plusieurs reprises par plus de 300 personnes armées de fusils et de crocs. Le fugitif réussit à s'échapper et on raconte que cet être fantastique se changeait en femme à volonté. Cette capacité de métamorphose physique du loup relève de la légende, sauf pour les procureurs de l’inquisition qui voient dans le loup, ennemi de l’agneau pur, du berger, du bon pasteur et du troupeau, l’envoyé du diable. Par contre, l’évolution psychologique des personnes se prenant pour un loup et agressant leur entourage, est parfaitement attestée. Les psychiatres admettent qu’il peut s’agir d’une véritable folie louvetière de personnes qui s’identifient au loup et commettent des crimes en son nom.
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_e80074_wolf-sneak-1.jpg)
Une lutte longtemps inefficace
Cette longue inefficacité tient largement au fait que du Moyen Age à la Révolution, les paysans, pourtant en première ligne, ont été volontairement désarmés par les seigneurs, par crainte des jacqueries, émeutes et révoltes afin que ces manants armés ne retournent pics, crocs, fourches et autres outils de travail, leurs seuls moyens de défense, contre les châteaux. Pendant toute cette période, la chasse aux loups devient le privilège des lieutenants de louveterie qui sont payés pour leur service. On cite de nombreux cas, aux 17e et 18e siècles, de paysans qui refusent de participer aux battues pour lesquelles ils ne reçoivent aucune rémunération. En 1750, M. de Magnanville, intendant de la généralité de Tours, prescrit chasses et battues et frappe d’une amende de 10 livres ceux qui ne participent pas. L’abus de droit de louveterie est dénoncé par la population rurale. Il sera supprimé en 1787 et il faut attendre la nuit du 4 août pour voir établir au profit des paysans le droit de chasse et donc d’avoir la possibilité de se défendre. Cependant, à la suite de la chouannerie et des révoltes paysannes, la République puis l’Empire, hésitent à laisser les paysans s’armer trop facilement. Un permis de chasse est créé. Parallèlement, pour renforcer l’efficacité de la lutte, le 13 juillet 1792, le Directoire du département sarthois revalorise les primes accordées : pour un loup, 15 livres ; une louve, 25 livres ; un louveteau, 5 livres et une louve prête à mettre bas, 35 livres. Le Préfet, quant à lui, rappelle aux habitants des campagnes les différents et meilleurs moyens à utiliser pour délivrer le pays des loups : chasse à courre, tir isolé ou en battue, pièges, trappes, empoisonnements.
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_0bb1ac_capitoline-she-wolf-musei-capitolini-m.jpg)
Le loup dans le langage
« L’homme est un loup pour l’homme », « entre chien et loup », « se jeter dans la gueule du loup », « avoir une faim de loup », « être connu comme le loup blanc », « crier au loup », « elle a vu le loup » … tout le monde connaît ces quelques expressions qui démontrent que notre « canis lupus » a fortement pénétré notre langage pour y traduire les thèmes de la peur, la violence mais aussi la sexualité ou la connaissance.
Chacun, quel que soit son système culturel ou son type d’insertion social, connaît le petit chaperon rouge. Le mythe véhiculé est d’autant plus fortement implanté qu’il s’inscrit dans la mémoire de l’enfance. Personnage central du conte à faire peur ou à faire sourire, le loup dans sa dimension mythique intègre des images contradictoires. Dans le « Roman de Renart », Ysengrin, est volontiers tourné en ridicule, lourdaud, borné, couard, glouton au point qu’il avale d’un coup ses victimes. Tous ces contes, même ceux des 19e et 20e siècles servent à démythifier le loup qui mange jusqu’à s’assoupir et grossir au point de ne plus pouvoir ressortir des lieux de son banquet. A contrario, le mythe du loup renvoie à la violence, au meurtre, à la cruauté. Sa force physique, son endurance sont valorisées jusqu’à identifier le thème « loup et valeur guerrière ». Le char de Mars, dieu romain de la guerre et du combat, est tiré par des loups. Geri et Freki sont les loups d'Odin, dieu de la mythologie nordique, à qui le dieu donne sa nourriture lorsqu'il est au Walhalla (endroit où les valeureux guerriers défunts sont amenés). La force, la volonté, l’endurance, la cohésion conférées aux meutes et bandes de loups expliquent, sans doute, que les scouts aient adopté « les louveteaux » comme totem. Le mythe intègre également le thème de la solitude et de la liberté avec « La mort du loup » de Vigny, « Le loup et le chien » de La Fontaine ou « Croc-Blanc » de Jack London. Le loup trouve alors sa grandeur dans son isolement.
Le loup renvoie aussi à la connaissance. Le bois sacré qui entourait le temple athénien d’Apollon s’appelait « Lukaïon », qui signifie domaine des loups où Aristote y donnait ses leçons de philosophie. Il donnera naissance au Lycée.
La louve, elle, incarne la fécondité, la sexualité, la maternité. Depuis Rome, elle représente une des images, les plus fortes de l’amour maternel, génératrice d’enfants-loups. A Rome, les lupercales étaient les fêtes de la fécondité célébrées le 15 février. Les prostituées romaines, qualifiées de louves, inventèrent les lupanars. Aujourd’hui encore pour une brève rencontre, ne dit-on pas d’une jeune fille « qu’elle a vu le loup ».
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_4167f5_images.jpg)
Le loup aujourd’hui
Dans les années 1980, quand on parlait de disparition du loup dans sa réalité, les jeux n’étaient sans aucun doute pas totalement faits. Ainsi, en Pologne, le paysannat désarmé voyait, sans pouvoir lutter contre, la prolifération des loups qui commençaient également à pénétrer dans les forêts allemandes…
Le loup en France s’est réintroduit tout seul ! Un premier couple est observé en 1992 dans le Mercantour. Cette espèce protégée est venue d’Italie ou d’Europe plus lointaine via les Alpes.
Il n’est pas dans l’intention de ce billet de prendre parti pour ou contre la nouvelle présence du loup mais de faire un simple constat.
On peut comprendre la position des bergers dont les troupeaux se font attaquer mais il est un peu ridicule de s’en étonner, alors que les loups l’ont toujours fait.
Ce qui peut paraître dérangeant, c’est qu’une partie des « avocats du loup » accusent les historiens de mentir et soutiennent que les loups n’ont jamais attaqué l’homme, alors que de très nombreux documents historiques que sont les registres paroissiaux ou municipaux qui ont recensé, souvent avec de terribles détails, les nombreux morts dans les campagnes, prouvent le contraire.
On peut dire que les historiens sont nuls mais accuser les documents historiques de mentir, c’est un « peu fort de café ».
Un grand spécialiste du loup à l’université de Caen a même été agressé physiquement et menacé de mort. On en est là. Pour certains, il est impossible de supporter l’idée que dans le passé, on ne pensait pas comme nous, en jugeant tout à l’aune de nos valeurs du présent. C’est du pur ethnocentrisme de penser que nos savoirs actuels sont pures vérités.
Ainsi pour Michel Pastoureau : « Il y a eu un renversement assez rapide au début du 19e siècle. Le loup devient moins dangereux, les modes de vie changent, Pasteur met au point le vaccin contre la rage. Globalement, la peur du loup est en recul. Alors le grand méchant loup devient gentil, la louve de Rudyard Kipling recueille Mowgli, et plus tard le marketing et la publicité s’en emparent. On inverse même les histoires anciennes : aujourd’hui ce sont les trois méchants cochons face au gentil loup. Cette figure qui a tant fait peur n’effraie plus. »
C’est en fait dans les consciences enfantines que le loup est le plus menacé. Le soir à la veillée devant le petit écran ou la tablette, il s’efface devant les personnages intersidéraux de quelque guerre des étoiles.
Bonne semaine à toutes et tous !
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_b2ccc8_image-2192780-20240915-ob-6c5af9-20220.jpg)
/image%2F2192780%2F20250309%2Fob_afc6fa_vieux-hetres.jpg)
.