JASNIERES ET COMPAGNIE
Publié le 16 Mars 2025
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Jasnières, Coteau du Loir, aujourd’hui fleurons du sud de la Sarthe, sont les vins produits sur les pentes entrecoupées de trois vallons autour de Lhomme, Ruillé, Chahaignes, Poncé ou Marçon au cœur d’une grande région autrefois couverte de vignes.
« Si la vigne était plus étudiée et mieux comprise dans la Sarthe, la Sarthe serait un des meilleurs pays de vignobles de France. »
(Jules Guyot)
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Les vins sarthois
Dans la Sarthe, entre les 12e et 15e siècles, soixante-dix-sept paroisses sont mentionnés comme viticoles. Nul terroir qui n’eut son petit vin, différent de celui du voisin, souvent quelconque, quelquefois très bon. La vigne est aussi bien présente aux portes de l’Orne et dans le pays sabolien. Ainsi, Le Mans et ses alentours constituent le noyau viticole le plus important, on y déguste du Banjan et du Gazonfier, très recherchés au 19e siècle.
Il ne reste rien de ces coteaux cénomans.
Le vignoble sarthois, déjà en régression au 19e siècle, subit les ravages du phylloxéra dont les premiers méfaits sont constatés dans la région de Saint-Calais en 1889. D’environ 10 000 hectares au début du 19e siècle, on passe à 8375 en 1897, puis 4320 en 1917. La débandade entamée avec la première guerre mondiale va se poursuivre avec la seconde. Le nord du département est désormais abandonné. Quant à la vallée du Loir, elle n’est pas épargnée. Un peu partout les vignes disparaissent sous les coups de boutoir d’une polyculture vivrière et surtout d’une arboriculture qui avance au grand galop.
On pouvait encore lire dans le magazine « la France à Table » en octobre 1950 : « sur chacun des versants du coteau, mûrissent des vignes qui donnent, non pas un seul vin de qualité mais des centaines de crus aimables car chacune de nos foires viticoles offrent à la dégustation des connaisseurs des centaines d’échantillons qui, tous ont leur caractère propre. »
Tous ces vins fameux qu’Ardouin Dumazet vantait dans les chroniques de son « Voyage en France » au début du 20e siècle, disparaissent les uns après les autres. A Chenu, où la pomme est partout de nos jours, le vignoble classé en AOC, couvrait plus de 500 hectares. Il ne reste plus que quelques rangs par-ci, par-là, sauvegardés par quelques propriétaires soucieux de maintenir un patrimoine centenaire mais pour combien de temps encore.
Cette belle vallée truffée de maisons et caves creusées dans le tuffeau s’étend sur près de 300 kilomètres entre les abords du Perche et la ville d’Angers. Si le vignoble commence à Bonneval, il ne devient célèbre qu’aux alentours de Vendôme. Rabelais en parle dans son Pantagruel et Ronsard comme plus tard Henri IV, appréciaient à sa valeur ce vin de « surin* » (sauvignon) qu’Antoine de Bourbon, le père d’Henri IV, récoltait au château de Prépatour, sur la commune de Naveil, dans le département du Loir-et-Cher. « Henri vantait souvent son bon vin de « surin », ce qui a fait croire à quelques écrivains peu instruits, qu’il faisait l’éloge du vin de Suresnes, près de Paris, l’un des plus mauvais crus de France… »
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Les vins de la vallée du Loir
« Le doux climat du Loir, en permettant de cultiver la vigne, donne une aisance inconnue aux régions à demi-sauvages du Maine » (Ardouin Dumazet) .Voyage en France, Tome 1 - 1898
Ce terroir béni des dieux est terre du chenin blanc qui selon le caractère de l’année, présente un visage plus ou moins doux. Certaines années sont tellement propices au passerillage* ou au développement de la pourriture noble qu’il est difficile d’élaborer des vins secs. C’est aussi la terre d’élection d’un cépage rare, le pineau d’Aunis, à chair blanche et coque rouge qui ne vient pas de la province du même nom mais du prieuré d’Aunis près de Saumur. En coteau du Loir ou du vendômois, il donne un vin rouge fruité et poivré, de bonne garde mais surtout un « gris », vin blanc légèrement teinté pendant le pressurage. Cette robe pétale de rose est appelé ici « œil de gardon ». Ce « gris » est léger, sec et désaltérant, à boire jeune.
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Le raisin l’a emporté sur la pomme
Mais la soif ne s’étanche pas aussi facilement quand il s’agit du vin et ces petits vignobles dédiés en partie au pineau d’Aunis pour les rouges et au chenin pour les blancs des coteaux du Loir et du Jasnières, reviennent de loin. On ne pouvait laisser s’éteindre ce qui avait fait les beaux jours de la région.
Des élus locaux donnèrent le coup de fouet indispensable à l’appellation dans les années 1970, en subventionnant les plantations et en aidant les jeunes générations à prendre la relève. Sols et climat convenant partout pour la vigne, le mérite des propriétaires est d’avoir su replanter. Désormais, le pineau d’Aunis correspond à 65 % minimum de l’encépagement pour les rouges et les rosés, les cépages accessoires étant le cabernet franc, le côt et le gamay pour les vins rouges ; le côt, le gamay et le grolleau pour les vins rosés. La volonté et le savoir-faire de quelques-uns ont sauvegardé les qualités de ces vins de Lhomme, Ruillé, Chahaignes, Poncé ou Marçon.
Enfin, le raisin l’avait emporté sur la pomme !
Il y a quarante ans, on ne donnait pas cher de ce Jasnières, qualifié de petit blanc de comptoir que pourtant, notre bon roi Henri IV affectionnait particulièrement et dont Curnonsky, ce prince des gastronomes, avait affirmé « qu’il était le plus grand vin du monde…trois fois par siècle ».
Caractérisé par son goût de pierre à fusil, comme disent les spécialistes, le Jasnières vieillit en gardant sa verdeur et la vingtaine de vignerons œuvrent sans cesse pour valoriser une appellation couronnée « AOC » en 1937.
Cette notoriété n’a rien de galvaudé puisque certaines cavités profondes dans le tuffeau conserveraient à l’abri des intempéries et des curieux de merveilleux flacons, que dis-je, des trésors à la robe cristalline jaune doré, aux arômes floraux et fruités, âgés de plusieurs décennies.
En vingt ou trente ans, le vignoble a fait peau neuve. Des jeunes, hommes et femmes, ont fait des études d’œnologie, voyagé. Ils se sont initiés aux nouvelles techniques de vinification et méthodes culturales. Ils ont découvert la biodynamie et magnifient leurs vins dans des fûts fabriqués avec le bois des chênes centenaires de la forêt de Bercé toute proche.
Des dynasties vigneronnes ont vu le jour. Leurs domaines ont des noms qui chantent : Le Cézin, la Raderie, La Roche Bleue, Les Gauletteries, La Rasnée , Bellivière…
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La promesse des vieux ceps
Les Coteaux du Loir, sacrés « AOC » en 1948 auraient pu s’appeler Jasnières mais certaines communes refusèrent. Grossière erreur car certains valent largement les meilleurs Jasnières.
Gris du vendômois, Coteaux du Loir, Jasnières, tous les vins de la vallée du Loir sont d’une extrême diversité. Leur charme nous vient de la recherche puis de la découverte au détour d’un vallon d’une petite vigne, du petit clos, du vigneron malicieux redoutant la sophistication plus que le mildiou. Ses vins sont l’expression du terroir, subtile alchimie entre paysages, climat, sols, saisons et traditions. Chaque année est l’occasion d’une nouvelle naissance : le millésime.
Attentif, son œil de vigneron reste dans l’horizon du quotidien. Il sait capter chaque changement, chaque évolution, de l’angoisse de la gelée blanche ou du nuage de grêle à la délicatesse du bourgeon, de la grappe naissante à la promesse du vieux cep. A cette école d’adversité, il nourrit sa foi, forge sa résolution, fortifie sa sagesse. « Il faut cinq ans pour faire une vigne productrice, douze pour la rendre intelligente et si je commets une erreur, j’en paierai le prix pendant quarante ans. Lorsque je taille, le coup de sécateur engage la future récolte mais prépare déjà la suivante », me disait un vigneron.
Créateur, esthète, inventif, artiste, il n’a d’autre fierté que de déguster avec ses visiteurs un produit naturel, sa création. Il connaît ses grandes années et en parle savamment : 1870, 1893, 1900, 1906, 1921, 1943, 1947, 1989, 2006…
Artisan de la méditation, il entraîne amis et dégustateurs dans un lieu magique, sa cave où des semaines durant il a humé, goûté, soutiré et assemblé ses vins. Dans le calme du tuffeau, c’est là qu’il garde, à l’abri de la lumière, à température et à humidité constantes tout le soleil de la terre. Dans ce grand tombeau, le vin continue à vivre et à suivre le rythme de la vigne et des saisons. En mai, à la floraison il se prend à murmurer, un doux et léger pétillement se forme comme s’il participait à la renaissance des ceps.
Le vigneron du Loir est un bon vivant à la langue colorée et à l’esprit délié. Au « cul de la busse », il s’amuse de certaines embuscades tendues à des personnalités, préfet, député et gendarmes. « Vous pouvez y aller de bon cœur, ce n’est pas de la pommade ce vin-là. S’il est un peu sec, c’est naturel. Avec notre vin vous pouvez avoir confiance, il se boit tout seul ; ça se boit d’une main, ça se pisse de l’autre. »
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C’est sur ces coteaux exposés au sud que se perpétuent par la grâce du sol, du ciel, des eaux et de la sueur du vigneron ces incomparables chefs-d’œuvre. Pour certains, ils tiennent, dans la série des vins, le même rang que les petits maîtres tiennent auprès des grands peintres et des grands musiciens. Petits ? Pas si sûr !
Heureux celles et ceux qui sont à même de les déguster autour d’un foie gras, d’un plateau de fruits de mer, d’une volaille ou de savoureux fromages de « bique ». Les coteaux du Loir ou du vendômois et par-dessus tout le merveilleux Jasnières sont de vrais maîtres. Ils alignent toute une gamme qui régale les papilles et invitent au voyage dans le temps et l’histoire.
Plus corsés que les vins de Touraine, plus désinvoltes que ceux d’Anjou, nerveux, subtils et légers, à la fois spirituels et profonds, facilement enjôleurs et un brin fanfarons, ils commencent en sourdine, accompagnent en bravoure et terminent en feu d’artifice tout bon repas.
Vins de la vallée du Loir et Jasnières, jardin et lumière, ces mots tintent comme le verre qui les reçoit.
Et si vous regardez le ciel, vous verrez tout là-haut dans le ciel, Bacchus tendre sa coupe.
Bonne semaine !
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* Passerillage : Étymologiquement, le mot « passerillage » vient du latin « passum » qui veut dire étendre. En œnologie, elle désigne une technique visant à sécher naturellement ou artificiellement les raisins. Elle s’applique particulièrement à la production des vins liquoreux (contenant un taux de sucre résiduel supérieur à 45 g par litre).
Le passerillage a pour objectif de faire évaporer l’eau du raisin en l’exposant au soleil ou en le disposant sur un lit de paille. Cette opération favorise la surmaturation du fruit et permet la concentration de ses arômes, sa teneur en sucre et son acidité. Toutefois, elle est à distinguer de la pourriture dite noble.
* Surin : Merlet en 1667 présente un surin comme une sorte de meslier (cépage blanc de l’Orléanais) apprécié en Auvergne, assertion reprise par l’Encyclopédie au 18e siècle. Par la suite, on trouve mention en Touraine à plusieurs reprises au début du 19e siècle. Il est cité comme un synonyme de Fumé dans l’Orléanais un peu plus tard. C’est un des noms du « Sauvignon » dans la Loire Moyenne.
Louis Levadoux considérait que les noms sauvignon, fié, surin sont des synonymes sémantiques qui font tous allusion au caractère « sauvage » de plantes. Surin désigne par exemple le pommier sauvage, non greffé ; fié dérive de fier, ferus en latin : sauvage. On aurait donc affaire à des cépages archaïques.
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