JASNIERES - VINS DE SARTHE ET DU LOIR- suite

Publié le 23 Mars 2025

 

 

Aux dires de certains, au nord de la Loire, il n’y a point de vins agréables à boire. Mon billet de la semaine passée a démontré tout le contraire. La Sarthe était autrefois couverte de vignes et porte encore sur des coteaux ensoleillés des crus dignes de Bacchus qui ne laissent pas indifférent.

 

 

Vendanges à Dissay-sous-Courcillon

 

Venue du Proche-Orient, la vigne envahit progressivement le pays de 2500 ans avant J.C. à 1300 après. Le vin arrive en Grèce et s’étend dans le monde méditerranéen en suivant les conquêtes romaines vers le nord.

Le christianisme va contribuer fortement à son implantation remplaçant les boissons consommées que sont l’hydromel et les préparations à base de fruits sauvages. Pendant le haut Moyen Age (5e siècle à l’an mille), les moines défricheurs récoltent eux-mêmes le raisin afin d’élaborer leur propre vin de messe.

Pendant le Moyen-Age, la limite septentrionale de la vigne se tient encore plus au nord que le département sarthois. Au milieu du 16e siècle, les crus de Meudon, Suresnes, Vanves, Argenteuil, Montmartre, Saint-Germain-en Laye et beaucoup d’autres près de Paris sont reconnus par les connaisseurs. La vigne reste longtemps implantée dans la vallée de la Seine ainsi que sur les coteaux de l’Eure et de l’Iton.

Mais la culture de la vigne nécessite un long et laborieux apprentissage et un travail continu. Elle fait, à cette époque, l’objet d’un savoir-faire plutôt approximatif. Les sols ne sont pas toujours adaptés et les outils souvent rudimentaires.

« Après les vendanges, commence la vinification restée longtemps primitive et médiocre. Très imparfaitement débarrassée de ses impuretés lors des soutirages peu nombreux, le vin se putréfie souvent. Lorsqu’il manque de goût ou pour masquer les mauvais, on y ajoute du miel, des épices, du cidre, de la poire mais aussi des colorants ( !), de l’eau-de-vie et même du plomb. »

 

 

 

 

Première nécessité du clergé

 

Les messes fréquentes, les cérémonies, les grandes fêtes religieuses, les communions nécessitent d’importantes réserves pour chaque cure. A cette époque le communiant consomme le pain et le vin, ce dernier est alors un des premiers besoins du clergé.

A Parigné-l’Evêque, près du Mans, en 1510 on emplie « 11 pintes de vin à communier le peuple à Pâques pour cinq sous ou six deniers… » Au chapitre de Saint-Pierre-la-Cour, on doit « payer 15 sous en argent et une pipe de vin pour célébrer les messes en ladite église. »

Pour satisfaire ces énormes besoins, la dîme constitue un autre élément de réponse. Chaque particulier ayant une pièce de vigne est tenu de verser une somme en vin ou en espèce. En 1667, le lieutenant général de la Flèche prend une ordonnance donnant pouvoir au sieur Nicolas Robinet, fermier du prieuré de Luché, « de faire visite des celliers pour connaître la quantité récoltée dans l’année et obliger les propriétaires de vigne à payer la dîme de leur vendange. »

Les baux  constituent également une seconde source. Souvent, des gens aisés offrent des dons aux congrégations religieuses dans le but d’assurer leur salut vers l’au-delà. Il arrive que des communautés reçoivent ainsi des maisons, bordages, terres, vignes, caves… Parfois, un laïc, un particulier entrant dans une communauté y abandonne tous ses biens. Les exemples se multiplient à foison.

L’évêché du Mans possède des vignes, tout comme les châtelains qui engagent des employés chargés de l’élevage des vins. Sur la commune de Chahaignes, le château de Benehard possède un pressoir monumental, dit à vis latérale, dont la construction remonte aux alentours du 15e siècle. Il fut restauré en 1991 par Jean Pasquier, compagnon charpentier du Devoir : « énigmatique comme le sphinx, le vieux pressoir nous interroge, c’est tout… »

A partir du 17e siècle, la Bourgogne, le Bordelais, la Touraine, l’Anjou alimentent une demande de plus en plus grande. L’élite de la société aime à se ravitailler en vin dans les vallées du Loir et de la Loire : « les bourgeois du Mans le prend dans les élections de Château-du-Loir, La Flèche, Angers… »

Les comptes des religieux de l’abbaye de Rouez-en-Champagne dans l’arrondissement de Mamers, indiquent qu’ils ont consommé entre 1724 et 1741 88% de vins de la région dont 57% issus des « Vaux-du Loir ». Ceux venant de Tours, Orléans et d’Anjou représentent 12% et sont réservés aux moines.

 

 

Vendanges à Château-du-Loir 1905

 

Le vignoble sarthois

 

Au 19e siècle, le vignoble sarthois dépasse les 10 000 hectares pour environ 100 000 hectolitres par an. Très morcelé, il ne représente bien souvent qu’un ou deux hectares sur une exploitation de 20 ou 30 hectares. La vigne est là surtout pour satisfaire les besoins locaux.

Un manuel commercial à l’usage des marchands publié en 1811 mentionne les vins de la Sarthe « comme vins de qualité médiocre à l’exception des vins blancs de Château-du-Loir, Chahaignes, Marçon, Jasnières ». Les vignobles du nord fournissent des vins peu estimés comme à Ballon qui « a plus de renom que de qualité. »

Au Mans les clos de Gazonfier, Douce Amie et Rocsant jouissent d’une bonne réputation tout comme ceux d’Yvré-l’Evêque ou de Champagné : « vigoureux et très bon quand on attend deux ans. On a remarqué que ceux qui font habituellement du vin de Champagné n’ont jamais été attaqués par la maladie du calcul, qu’on nomme la pierre. »

Au nord du Mans jusqu’à la limite départementale le cidre est la boisson du monde rural. Plus on se rapproche du sud plus on consomme de vin. Ainsi à Mamers, en 1833, on épanche sa soif avec 12 litres de vin par an et par habitant contre 165 litres de cidre alors qu’à La Flèche on inverse la tendance : 127 litres de vin pour 36 de cidre.

Dans son ouvrage « Etudes des vignobles de France », Jules Guyot* constate que les vignerons sarthois se permettent de mélanger différents cépages sur une même parcelle, ce qui conduit à assembler plusieurs types de raisins dans les cuves.

Qui connaît de nos jours les cépages sarthois que sont mançais ou mancel, meunier ou verjutier, verret, vignar, petit-doin, arabot, morillon ou tendier…Oubliés ! peut-être étaient-ils fort bons mais des nouveaux, mieux adaptés au terroir ont pris le relais. Ils sont chenin, chardonnay, sauvignon, pour les blancs, pineau d’Aunis, cabernet franc, pinot noir, gamay, cabernet sauvignon pour les rouges.

 

 

Vendanges à Marçon 1910

 

Insectes et champignons

 

Le vignoble sarthois, comme d’autres, subit la présence nouvelle de l’oïdium dans les années 1870. Plus tard et plus grave, le mildiou anéantit la récolte en 1883 malgré l’utilisation du sulfate de cuivre sous la forme de la bouillie bordelaise. Pire encore, l’invasion du phylloxéra ravage le terroir. Il modifie les paysages de la vallée du Loir, perturbe les techniques et la vie des vignerons. En vingt ans, à partir de 1892, les surfaces exploitées vont passer de 10 000 hectares à moins de 5000.

Il faut arracher et envisager de replanter. Afin de repartir sur de nouvelles bases plus saines, il est conseillé l’utilisation de plants américains « directs » mais malheureusement qualifiés de sans saveur. Une autre solution va alors consister à greffer un plant français sur un porte-greffe américain. Mais un problème se pose, le vigneron sarthois n’a pas le savoir-faire.

 

 

Vendanges à Vouvray-sur-Loir

 

Pépinière et formation

 

Conscients de la perte d’un patrimoine, élus et conseil général en tête vont approuver la création d’une première pépinière près du Mans qui va donner naissance à plusieurs autres de proximité dans la vallée du Loir. Louis Cassarini, professeur départemental d’agriculture est chargé d’organiser des cours de greffage. Près de 500 vignerons vont ainsi  obtenir un diplôme de greffeur leur permettant de replanter en bénéficiant d’un soutien financier.

 

 

Loge de vigne à Epeigné-sur-Dême

 

Vignoble ressuscité et AOC

 

Si le nord du département a été définitivement abandonné, le vignoble du sud Sarthe de la vallée du Loir retrouve des couleurs couronné en ce qui concerne le Jasnières d’une appellation AOC en 1937.

La frontière entre Jasnières et le « sans grade » coteau du Loir est infime. Le coup de pouce providentiel prend effet en 1948 sous l’impulsion du notaire de Château-du-Loir, Emile Robineau, président de l’association viticole sarthoise qui entretient les meilleures relations avec Christian Pineau, ministre des transports et député du département. Hasard, peut-être, chance inouïe, certainement, la commission de l’INAO chargée d’attribuer le précieux label est amenée à déguster la production de l’année précédente dont on sait que le 1947 fut un célèbre et merveilleux millésime. Le 14 mai 1948, « l’AOC coteaux du Loir » est officialisée sur 17 communes du sud Sarthe.

Comme pour le Jasnières, seul le Chenin est autorisé pour élaborer les blancs. Les pineau d’Aunis, cabernet franc, gamay et côt peuvent entrer dans la vinification des rouges.

 

Médaille chevalier de la puette et du franc pinot

 

 

Confrérie vineuse

 

Même si la vallée du Loir ne possède pas de grandes confréries comme le Taste-Vin de Bourgogne (j’ai eu l’honneur d’y être intronisé) ou la Jurade de Saint-Emilion, elle peut s’enorgueillir de compter un nombre respectable de « chevaliers de la puette et du franc-pinot »  dont votre serviteur.

Cette confrérie toute de noir et rouge vêtue a pour but de promouvoir les trois appellations Jasnières, coteaux du Loir, coteaux du vendômois et le monde viticole dans les foires, salons, fêtes nationales et locales.

 

 

 

 

Le vin source de plaisir et de convivialité

 

Le vin est une boisson à part. Source de plaisirs partagés, d’inspiration poétique, il a été décliné par nombre d’auteurs et artistes, amateurs du divin breuvage.

« Beuvez toujours, ne mourrez jamais » chantait le docteur Rabelais.

Ses bienfaits varient selon l’humeur du buveur et le moment choisi.

Il y a le « vin de soif » que l’on boit sous la tonnelle entre amis est un petit cru de faible degré produit dans un vignoble sans prétention. Le « vin de cochon » est d’une médiocrité absolue servi à la table d’un propriétaire particulièrement radin. Celui de « deux heures » est fait avec du raisin cueillit avant la date des vendanges pour apaiser la soif des vendangeurs. Enfin certains fins gosiers aiment les « vins de garage » issus de petites productions, souvent rares et parfois hors de prix.

 

Jasnières, coteaux du Loir et du vendômois donnent ce goût particulier des réunions joyeuses et des repas pris en commun.

Mais attention, « un verre ça va, deux ou plus, bonjour les dégâts », cet aphorisme bien connu n’est pas s’en rappeler qu’il faut être prudent dans la consommation.

Les excès n’ont jamais engendré le plaisir, bien au contraire, ils l’ont souvent anéanti !

 

 

Bonne semaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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D
Merci pour cette suite. Très si instructif. Les libres penseurs ne devraient jamais boire de vin sans avoir une pensée (à défaut d’une prière) pour ces moines du 5 e siècle et les suivants qui ont introduit cette culture toujours indispensable pour nos palais !
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Y
buvons un coup, buvons en deux comme dit la chanson<br /> amitiés