TIRE-BINETTE ET PASSION JARDIN

Publié le 30 Mars 2025

 

 

Le printemps est officiellement là. Les bourgeons tentent une sortie. Les jeunes feuilles cherchent à s’épanouir et même si le soleil joue encore le timide caché derrière les nuages, la nature est enthousiaste et veut reprendre ses droits après des mois de sommeil. Narcisses, jonquilles, primevères ont donné le signal du renouveau et les tulipes pointent le bout de leurs corolles colorées.

Quant au travail du sol après tous ces épisodes pluvieux, il attendra encore un peu. Tout va s’arranger comme toujours.

 

 

« Pour le déjeuner ou le dîner, il suffit d'aller au potager, devant la maison, pour ramasser des haricots, une salade, des radis ou des tomates. Ce sont les plus beaux et les meilleurs légumes du monde. Nous savons d'où ils viennent et c'est nous qui les avons cultivés. »

 

 

 

 

Lorsque nous avons repris les destinées de la maison, le jardin de mon grand-père avait disparu depuis des années. Mauvaises herbes, ronces, lierres, arbustes, mousses avaient repris possession du territoire.  Sureaux et épines noires au bord du ruisseau voilaient les rayons du soleil et dans un coin des bambous transformant l’endroit en jungle tropicale lançaient leurs kilomètres de rhizomes à l’assaut du terrain.

Il m’a fallu plusieurs mois d’un travail acharné pour remettre de l’ordre dans ce capharnaüm. Labourer, herser, bêcher, ratisser, délimiter les carrés, tracer les allées dont la centrale que j’ai voulu aligner sur le clocher de l’église du village placée sous la protection du grand thaumaturge saint Martin.

 

« ...de toutes les activités humaines, à part la procréation d'enfants, le jardinage est la plus optimiste et la plus remplie d'espoir. Le jardinier, par définition, est celui qui prévoit, qui croit et a confiance dans l'avenir, que ce soit à court ou à long terme. »

 

 

Le jardin en février sous le gel et le brouillard

 

Le Tire-Binette

 

Cette entreprise de remise en état du jardin par un gars de la ville, connu pour être plus à l’aise avec des pinceaux qu’avec une bêche a suscité, au départ, quelques réserves et sourires polis. L’aquarelliste était devenu le « tire-binette », c’est comme ça qu’on appelle l’apprenti jardinier.

J’ai appris tous les jours avec humilité et patience. Un livre dans une main, le sécateur ou la bêche dans l’autre, sans pour autant dédaigner les conseils de jardiniers avertis car rien ne remplace le geste montré et la tradition orale. J’ai fait des erreurs, sans doute avais-je écouté d’une oreille distraite. Peut-être me suis-je laissé entraîner par un esprit d’initiative mal inspiré.

Aujourd’hui, loin de me considérer comme un maître, je pense avoir largement gagné mes galons de fidèle disciple de Fiacre, notre saint patron des jardiniers et maraîchers, un des saints les plus célèbres en Europe.

« Etre jardinier, c’est être comme le bon Dieu, c’est donner vie et beauté avec de la terre, de l’eau et des graines », nous dit l’écrivain et amoureux de la nature, Jean Chalon.

Je connais de belles réussites. J’ai compris la rotation des cultures et l’association des plantes entre elles. Ici point de chimie. L’épinard stimule la croissance de ses voisins, la capucine attire les pucerons dont se régale la coccinelle, la carotte et le poireau se protègent mutuellement. Pinsons, mésanges et hérissons sont des collaborateurs efficaces. Rien n’est jeté. Les bacs à compost récupèrent les déchets végétaux. Orties et feuilles de rhubarbe deviennent purins utilisés comme insecticide et engrais naturels.

 

 

L'allée du jardin et le clocher de l'église saint Martin

 

Jardin, tableau vivant

 

Faire un jardin n’est pas un art mineur. Jardiner, c’est l’art de la patience, de l’observation, de l’interprétation des cycles des astres, des saisons, du temps qui passe, celui qui fait la pluie, le gel, le vent.

Jardiner, c’est goûter des moments de sérénité le matin avec comme seul compagnon le chant des oiseaux qui se réveillent.

Le jardin réclame temps et attention. C’est un tableau vivant qui change et évolue presque au quotidien.

Il faut savoir semer le chou au bon moment pour le cueillir à belle maturité. Il ne faut pas oublier que si les plantes semblent ne pas avoir d’humeur, elles peuvent avoir un fichu caractère. Elles ont besoin d’attention, de repos, d’un régime alimentaire spécifique. La compagnie leur va bien. C’est la diversité qui fait un beau jardin, agréable où l’on se sent bien. Il faut les écouter, les regarder. Entre elles, les plantes discutent, se soutiennent, luttent, s’adaptent et interpellent le jardinier face aux conditions climatiques, aux attaques d’insectes ou de champignons.

En alchimistes de la nature, elles captent la sagesse et les forces de la terre et du soleil pour les transformer dans leurs tiges, feuilles, racines et fruits en vitamines, sels minéraux, huiles essentielles qui nous font du bien.

Respect !

 

 

 

 

« Un jardin que l’on crée soi-même est lié à notre histoire personnelle et à celle de nos amis, tissé avec notre propre personnalité, nos préférences et nos goûts ; il constitue une sorte d’autobiographie non écrite mais néanmoins réelle. Montrez-moi votre jardin, dites-moi qu’il est bien le vôtre et je vous dirai qui vous êtes » nous dit Alfred Austin - Un jardin que j’aime – 1906

 

 

 

 

Mais un jardin sans couleurs, pour moi, n’est pas un vrai jardin. Les feuilles de chou rouge s’associent au vert et blanc des bettes et au bleu pastel des artichauts. Quelques touches éparpillées de dahlias mauves, orange et jaunes égaient les bordures des allées. Les pompons dorés des œillets d’Inde bordent les planches de salades et d’échalotes. Ici glaïeuls et lupins, là, marguerites, amours en cage, giroflées, pivoines, pavots, au loin les lilas blanc et violet et les soleils jaune vif des tournesols géants.

« Un jardin même tout petit, c’est la porte du paradis » écrit Marie Angel.

Loin des tumultes actuels, le jardin est un refuge. Il nous rapproche de la terre nourricière, d’une ruralité délaissée, oubliée, souvent méprisée mais riche de valeurs, celles qui touchent à la vie quotidienne des « gens de rien » comme disent certains.

« J’ai toujours vécu sur moi, me disait un paysan, les œufs de mes poules, les légumes de mon clos, quelquefois un lapin. Je n’ai bu que la frênette et le petit cidre de mes pommes, les années qu’il y a des pommes. Mais pour conserver un homme, voyez-vous, il n’y a que l’ail et le poireau », écrivait le docteur Besançon.

 

 

 

 

J’ai voulu mon jardin exubérant, coloré, chatoyant, varié, éloquent, touchant, vigoureux, vivant. Quand on le regarde, on ne voit pas la fin car il se mêle à la nature environnante qui batifole au gré de son humeur.

J’aime le jardin, ce lien de nature qui apprend l’humilité, l’espoir et la patience.

Mais attention, pour ceux qui comme Candide rêvent de cultiver leur jardin, le potager a plus besoin de technique que de philosophie.

 

 

 

La porte du grand salon s’ouvrit, et une foule pressée de fleurs magnifiques entra en dansant. Ida ne pouvait comprendre d’où elles venaient. Sans doute, c’étaient toutes les fleurs du jardin du roi ! A leur tête marchaient deux roses éblouissantes qui portaient de petites couronnes d’or : c’était le roi et la reine. Ensuite vinrent les plus charmantes giroflées, les plus beaux œillets, qui saluaient de tous côtés. Ils étaient accompagnés d’une troupe de musique ; de grands pavots et des pivoines soufflaient si fort dans les cosses de pois qu’ils en avaient la figure toute rouge ; les jacinthes bleues et les petites perce-neiges sonnaient comme si elles portaient de véritables sonnettes. C’était une musique bien remarquable ; toutes les autres fleurs se joignirent à la bande nouvelle, et on vit danser violettes et amarantes, pâquerettes et marguerites. Elles s’embrassèrent toutes les unes les autres. C’était un spectacle délicieux. Ensuite, les fleurs se souhaitèrent une bonne nuit, et la petite Ida se glissa dans son lit, où elle rêva à tout ce qu’elle avait vu. Hans Christian Andersen, Les fleurs de la petite Ida -1835.

 

 

Bonne Semaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #Potager de Saint Jean

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D
Merci pour pour ce très bel article qui vient du coeur et célèbre la Création qui est si proche de nous et que nous ne voyons pas toujours. Bravo aussi au jardinier accompli !
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Y
merci <br /> a plus<br /> amitiés<br />
L
Magnifique Le Tire-Binette !!!
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Y
merci <br /> amicalement
M
Mais il est vraiment paresseux cette année le printemps. Il ne sait pas sans doute qu’on est passé à l’heure d’été...
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Y
Il arrive gardons le moral <br /> amitiés
M
Je ne peux pas ne pas vous redire : magnifique ! <br /> Alinéas - Tire-binette...
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Y
super sympa