LE TUEUR DE BERGERS

Publié le 18 Mai 2025

 

Avis à la population

 

 

Les faits liés à l’histoire que je vais tenter de vous résumer tant elle est complexe se sont déroulés à la fin du 19e siècle durant la présidence de Félix Faure et en grande partie sous le gouvernement Jules Méline dans un contexte politique tendu de la troisième République avec des conflits sociaux et le début de l’affaire Dreyfus.

Sur le plan judiciaire, l’affaire éclate une dizaine d’années après qu’à Londres, Jack l’Eventreur a défrayé la chronique avec une série de meurtres horribles sur des prostituées.

 

La plupart d’entre vous a vu à la télévision ou au cinéma le film « Le Juge et l’Assassin » de Bertand Tavernier avec Philippe Noiret et un extraordinaire Michel Galabru, César du meilleur acteur pour son rôle du tueur en série, Joseph Vacher qui a semé la terreur en France en particulier parmi la population rurale. Dans son ouvrage « Vacher l’Eventreur » Jean-Pierre Deloux résume en quelques mots une certaine ambiance de cette époque. « En cette fin de 19e siècle, qui n’est pas une belle époque pour les classes laborieuses, l’équilibre traditionnel de la société a été bouleversé par l’ère industrielle avec les conséquences que l’on sait : l’exode rural, (...) la main d’œuvre exploitée systématiquement car trop nombreuse et donc à bon marché, le chômage des ouvriers les moins compétents ou les plus ouvertement contestataires. Tout cela a précipité sur les routes une foule de "traîne-misère" ou de "camp-volants". En 1894, année du premier crime reconnu par Joseph Vacher, le ministère de l’Intérieur ne recense pas moins de 19.123 délits imputables à des vagabonds contre 2.544 pour les années 1826 à 1830. »

 

 

 

Vacher accomplissait le plus souvent ses crimes sur des jeunes gardiens de troupeaux d’où son nom de « tueur de bergers » ou le « Jack l’éventreur du Sud-Est », région où la plupart des crimes ont été commis.

De la Normandie au Tarn en passant par la Bourgogne et la vallée du Rhône, il a échappé à toute enquête. Excellent marcheur, il pouvait parcourir 60 kilomètres par jour, voire plus et à l’époque, les investigations policières ne pouvaient se réaliser en dehors du département où avait été commis le forfait.

Ses pérégrinations à travers le pays le conduisirent jusque dans notre département sarthois où une tentative de crime fut traitée avec une certaine légèreté ou incompétence par les autorités et une absence de coordination entre les Parquets de La Flèche et de Baugé.

 

 

 

 

 

Négligence des autorités

 

Le dimanche 1er mars 1896, la jeune Marie Derouet, 11 ans, domestique à Noyen chez un garde du domaine de Pescheseul près d’Avoise, se rend à la messe en début de matinée vers 8h30. Quelques minutes après son départ, le garde l’entend pousser des cris. Sorti aussitôt de son logis, il aperçoit un homme qui tente de violer la fillette contre le talus du fossé de la route. Se ruant sur l’homme, il reçoit un violent coup de pied au visage. Son intervention rapide réussit à sauver la fillette et à faire fuir l’agresseur qui abandonne un bâton et un sac de vêtements.

Le lendemain, interrogé par les gendarmes, un agriculteur d’Avoise reconnait les objets. Ils appartiennent, dit-il, à un homme qu’il a hébergé la veille, chez lui.

Il lui a dit qu’il s’appelle Joseph Vacher et vient de l’Isère, affecté au 60e RI de Besançon où il a reçu le grade de sergent. Il porte d’ailleurs une tunique bleue de sous-officier sous une blouse bleue. Un pantalon de velours marron complète sa tenue, des sabots aux pieds et il est coiffé d’un chapeau noir. Il est de taille moyenne, de forte corpulence et selon le témoin âgé de 20 à 25 ans.

Des mandats d’arrêt sont lancés immédiatement par le Parquet de La Flèche. Sans résultat. Trois jours plus tard, le 4 mars, Vacher se fait arrêter à Chaumont dans le Maine-et-Loire pour mendicité et voies de faits.

Or, malgré les mandats d’arrêt lancés par le juge d’instruction de La Flèche, rien ne se passe jusqu’au 9 mars, jour de la condamnation de Vacher à un mois de prison, ni jusqu’au 4 avril, jour de sa libération. Négligence, incompétence, manque de coordination du Parquet de Baugé, sans doute ? Si Vacher était resté dans les mains de la justice à ce moment, il y aurait eu plusieurs assassinats de moins à déplorer.

Dans un article du « Petit Champenois » du 21 octobre 1897, Vacher reconnaîtra, au moment de son procès, presque joyeux, du bon tour qu’il avait joué au gendarme après son agression de Pescheseul. L’homme en uniforme lui avait demandé s’il n’avait pas aperçu un rôdeur, à qui il répondit par l’affirmative, indiquant même la direction prise. Le gendarme poursuivit sa route et le remercia. « Après mon coup de pied, je me suis sauvé sur la route. J’ai rencontré un gendarme en vélocipède qui me cherchait. Il m’a demandé mes papiers et m’a laissé continuer ma route parce qu’il n’a pas su que c’était moi. »

 

"Quand mes parents me verront ainsi, ils comprendrontbien que ce sont les clés du paradis que j'ai à la main." Joseph Vacher

 

 

Vacher, un personnage effrayant

 

Joseph Vacher est né le 16 novembre 1869 à Beaufort près de Beaurepaire dans le département de l’Isère dans une famille de paysans parfaitement honorables.

Il avait 15 frères et sœurs. Son père avait quatre enfants d’une première épouse et 12 de la seconde. Joseph était le 14e enfant. Son frère jumeau mourut étouffé à un mois dans son berceau. Sa mère était très croyante, voire dévote. Elle était sujette à des visions et des apparitions.  Elle éleva ses enfants dans une ambiance religieuse mêlant mysticisme et superstition. Vacher affiche très tôt un caractère difficile, cruel et brutal, s’attaquant parfois à ses aînés et ses camarades d’école. Plutôt intelligent et s’il avait peu d’éducation, il savait lire, écrire et compter.

A la mort de sa mère, il n’a que 14 ans et doit commencer à travailler. Une de ses sœurs lui trouve une place chez les Frères maristes, près de Lyon. Ils complétèrent son éducation mais il fut renvoyé au bout de deux ans pour indiscipline et immoralité. Il fut profondément marqué par ce séjour chez les Frères, et utilisa toujours, par la suite, le langage qu’il avait appris chez les religieux.

En septembre 1888, son autre sœur Olympe lui trouve un emploi dans une brasserie à Grenoble. Il fréquente les prostituées et contracte la syphilis. Il va alors subir une intervention  castratrice et traumatisante avec l’ablation d’une partie d’un testicule.

Guéri, il passe quelques jours chez un frère à Genève qui a du mal à le reconnaître  tant il a l’air perdu et sauvage. « Je suis comme possédé, lui dit-il. Si je rencontrais quelqu’un, je crois que je ne pourrais pas m’empêcher de lui faire du mal. »

Revenu à Lyon, il occupa brièvement différents emplois mais fini toujours par être licencié, ses employeurs effrayés par son comportement.

C’est également dans cette ville que Vacher découvrit les anarchistes Ravachol, Caserio et Emile Henri. Tout comme il avait calqué son comportement et sa diction sur ceux des Frères maristes, il s’imprégna de la même façon des idées anarchistes. Il est possible que plusieurs crimes et agressions aient été commis durant cette période.

 

 

 

 

Tentative de suicide

 

Le 16 novembre 1890, il est tiré au sort par l’armée et incorporé au 60e RI de Besançon. Pendant cette période, il vécut une « amourette » avec une jeune femme, Louise Barraud. Mais Louise tomba amoureuse d’un autre soldat. En l’apprenant, Vacher devint complètement fou, bavant, hurlant, menaçant ses camarades avec sa baïonnette. L’armée préféra se séparer de lui.

Joseph exigea que Louise l’épouse. Elle refusa. Il tenta alors de la tuer de trois coups de feu, sans succès puis retourna l’arme contre lui. Mauvais tireur, il rata son suicide bien qu’il se soit tiré plusieurs balles dans la tête. Le geste le laissa avec un visage déformé, un œil perpétuellement injecté de sang, une oreille qui suppurait en permanence et un projectile fiché dans le crâne.

Soigné on ne sait comment mais d’une manière rudimentaire, il est interné à l’asile de Dôle le 16 juin 1893 d’où il sort complètement guéri selon les médecins en avril 1894.

 

Après son arrestation, Joseph Vacher en discussion avec le juge Fourquet

 

Funeste périple

 

C’est à ce moment que débute le funeste périple avec un premier crime avoué, celui d’Eugénie Delomme, 21 ans, étranglée, mutilée et violée à Beaurepaire dans l’Isère.

Durant trois années Vacher erre dans la campagne française vivant de petits travaux dans les fermes, logeant souvent dans les granges quand il ne dort pas à la belle étoile.

Il étrangle, poignarde, égorge, éventre ses victimes. Vacher tue des veuves chez qui il loge, des jeunes femmes et des adolescents, filles ou garçons.

Soupçonné d’être l’auteur d’une cinquantaine de crimes au hasard de son errance, il n’en avoue que onze et deux tentatives de viol.

Devenu le « Jack l’Eventreur du Sud-Est », Vacher est arrêté 18 mois après son passage dans la Sarthe, pris en flagrant délit de tentative de viol dans le département de l’Ardèche, ce qui lui vaut d’être interné à Tournon à vingt kilomètres au nord de Valence.

Au cours de son incarcération, il est longuement interrogé et examiné par les médecins dont le célèbre professeur Lacassagne qui le déclare…sain d’esprit. Pour le médecin, sadique mais pas fou, Vacher est responsable de ses crimes.

Le juge Fourquet, chargé de l’affaire, réussit, difficilement mais subtilement à lui arracher des aveux. Inexplicablement, Vacher refuse d’admettre une quelconque responsabilité dans les crimes suivis de viols perpétrés sur des fillettes, alors qu’il reconnait les viols et les meurtres de garçons, d’adolescentes ou de femmes, comme si ces derniers sont moins graves.

Le procès de Vacher, de même que l’instruction qui le précède, vont être les vrais révélateurs du malaise de la justice face à la folie et du conflit entre la justice et la psychiatrie. 

 

Le juge Emile Fourquet

 

Le procès

 

Le procès de Vacher s’ouvre le 26 octobre 1898 à Bourg-en-Bresse, en présence de la presse nationale mais aussi britannique et américaine. Vacher est entré dans le palais de justice avec une pancarte sur laquelle on a pu lire : « j’ai deux balles dans la tête » et en chantant « Gloire à Jésus ! Gloire à Jeanne d’Arc ! »

Durant trois jours, il va se comporter comme un bouffon, un idiot, étonnant, parfois émouvant souvent terrifiant. Il a des cris de rage, éructant, bavant, menaçant. Son avocat va tenter de le sauver. La demande en grâce auprès du président Félix Faure est rejetée.

Vacher est reconnu coupable de meurtres avec préméditation, sans aucune circonstance atténuante, à l’unanimité des douze jurés.

Joseph Vacher est guillotiné par le bourreau Louis Deibler le 31 janvier 1898. Il a 29 ans.

 

Au prêtre qui lui demande de confesser ses péchés avant de monter à l’échafaud, il répond : «  j’embrasserai Jésus Christ tout à l’heure. Vous croyez expier les fautes de la France en me faisant mourir. Cela ne suffira pas, vous commettez un crime de plus. Je suis la grande victime de cette fin de siècle. »

 

Gaston Leroux écrivait à propos de cette affaire dans le journal Le Matin du 24 octobre 1898 : « Et, cependant, Vacher est toujours Vacher, c'est-à-dire cet être inexplicable et inexpliqué, au sadisme tellement monstrueux qu'on se demande avec anxiété si l'on a affaire à un fou ou si tant de crimes avoués ne cachent pas une sanglante forfanterie destinée à faire croire à un état mental proche de la folie. Et c'est bien là le problème qui aujourd'hui comme hier, se pose. Est-on en face d'un responsable ? »

 

Bonne semaine à tous !

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le supplément illustré du « Petit Journal » 426 du 15 janvier 1899, il est écrit : « l'abominable Vacher a été exécuté ; la société l'a, non pas puni, le châtiment ne serait pas équivalent à ses crimes, elle l'a supprimé, elle s'est délivrée de lui ; c'est ce qu'elle avait de mieux à faire. Si, en écoutant certains philanthropes, on avait enfermé Vacher, il est bien probable qu'il se serait évadé et de nouveaux crimes auraient été commis. »

 

Sources :

Gallica : Le Petit journal 1897

Alexandre Lacassagne :  Vacher, l'éventreur et les crimes sadiques

La Vie Mancelle

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

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