USAGE DE FAUX
Publié le 22 Juin 2025
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La moisson approche. Avec le temps chaud et sec de ces derniers jours les blés murissent. Dans quelques jours d'énormes machines, cabines climatisées, pilotées par un seul homme l'œil rivé sur un ordinateur de bord récolteront en quelques heures, sans fatigue, le travail d'une semaine à plusieurs hommes. Aujourd'hui, la moisson vit au rythme imposé par les exigences de la rentabilité. Finis depuis quelques décennies, les rituels de la moisson traditionnelle liés à la dernière poignée d'épis, la dernière gerbe, la dernière charrette, le repas de clôture de la récolte, la croix des moissons, la messe des blés.
La mécanisation n'est pas si lointaine. Le premier brevet de faucheuse a été déposé en 1834 par un certain Cyrus Mc Cormick. Les faucheuses mécaniques suivies des moissonneuses-lieuses firent leur apparition, d'abord menées par deux ou trois chevaux puis par des tracteurs. On pouvait alors faucher cinq à six hectares par jour. Moins de fatigue et on gagnait sur la qualité de la coupe et sur celle des gerbes qui s'égrenaient moins. Depuis les années 1960, le matériel agricole a progressé en puissance et automatisation. La moissonneuse-lieuse est devenue batteuse.
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Pendant des siècles, la moisson s'est pratiquée à la main avec des faucilles puis des faux.
Alors que j'étais encore en culotte courte, mon grand-père avait voulu m'initier au fauchage. L'outil mal adapté à ma taille, au premier essai, le jeune néophyte que j'étais a planté la pointe en terre. Les suivants n'ont pas eu plus de succès. Les sourires de mon aïeul m'ayant profondément énervé, j'avais jeté de colère la faux aux orties en jurant qu'on ne m'y reprendrait plus. Depuis, j'ai fait quelques minces progrès mais je la regarde toujours, compagne des toiles d'araignées dans le hangar, avec méfiance.
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Faucher
Passant pour de « gros bosseurs », Sarthois et Bretons étaient souvent employés au début du 20e siècle dans les grandes plaines céréalières de Beauce. Ils y partaient pour la saison, généralement accompagnés de leur femme qui javelotait derrière eux. On allait « faire Beauce », disait-on, histoire de mettre un peu de « beurre dans les épinards ».
On fauchait de préférence tôt le matin, quand l'herbe, humide de rosée, est encore tendre. Mais faucher l'herbe est un travail d'amateur, le blé c'est une autre affaire. D'autant que le faucheur ne fait pas que couper. Grâce à un système de crochets ou une sorte de râteau monté sur la faux, la « la passe à gauche » bascule et aligne sa coupe derrière lui.
Un faucheur de talent pouvait travailler jusqu'à dix heures par jour avec un geste parfaitement régulier, une cadence appropriée et surtout une faux soigneusement préparée. Il fallait savoir battre la faux.
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Battre sa faux
Cette opération représentait un apprentissage indispensable pour qui voulait faucher sans trop de peine. L'homme s'asseyait, fichait en terre une petite enclume, posait la lame dessus, et commençait à battre à l'aide d'un petit marteau rond, avec rythme et régularité, sans assommer la lame. Il fallait allonger l'acier sans l'écraser, en tirant sur soi, jusqu'à donner à son« fil » la minceur d'un papier à cigarette : l'ongle que l'on passait dessus pour en vérifier l'épaisseur y laissait sa marque. Le soin apporté à cette délicate opération suffisait à classer son homme. La mémoire paysanne conserve le souvenir de batteurs de faux admirés de tous.
L'outil était ensuite affûté à l'aide d'une pierre de grès fin, logée habituellement dans le « coyer », petit récipient de métal, de bois ou de corne, où l'on mettait un peu d'eau vinaigrée, que le faucheur portait attachée à sa ceinture.
Enfin, la faux devait être réglée à la hauteur de son « maître ». Le manche posé sur l'épaule gauche, il plaçait l'outil derrière sa tête et le faisait pivoter de sorte qu'il touche la pointe de la lame avec l'index tendu de la main droite. La poignée devait alors reposer sur son épaule droite, près du cou.
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La passée
Bien battue, bien affutée, bien réglée, la faux est enfin prête. Reste à s'en servir. Si certains pouvaient acquérir une réputation dans ce domaine, d'autres avouaient n'avoir jamais réussi à bien saisir le geste.
Un bon faucheur pouvait faucher 40 à 50 ares en une journée dans les blés et les seigles et bien souvent 60 à 65 ares dans les orges et les avoines.
A cette époque, il n'était pas rare de rencontrer une dizaine de faucheurs sur un même champ. Ils se disposaient à quelques mètres les uns des autres et avec le même grand geste circulaire abattaient les « andains » parallèles permettant de ranger les javelles régulières aux épis bien alignés.
Le bon faucheur se repérait à sa « passée », haute de dix ou quinze centimètres, large d'un mètre cinquante. L'herbe ou le blé devant être partout coupés d'une hauteur égale. Ne pas décoller la faux de terre ; elle devait glisser, à l'aller comme au retour, bien parallèle au sol pour éviter le « talonnage », c'est-à-dire de faucher d'abord trop haut, au début du mouvement, pour finir trop bas, laissant de ce fait un « talon ». Le geste à prendre consiste à coucher l'herbe ou la céréale en arrière pour la reprendre dessous et la sectionner, dans un ample mouvement.
Cela suppose de travailler courbé. Celui qui fauche droit talonne neuf fois sur dix et cause une fatigue des reins et des bras que seul un geste d'une parfaite précision peut atténuer.
Le reste est affaire de talent. Un talent que l'on forçait parfois quand « l'apprenti », placé « en cheville » entre deux bons faucheurs, entendait le sifflement régulier de la faux voisine sur ses talons.
Du travail ou de l'émotion, nul ne sait bien auquel des deux étaient dues les sueurs qui perlaient sur les fronts et les corps...
Bonne semaine à tous !
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