VILLAGE

Publié le 8 Juin 2025

 

 

Chaque village a son histoire, ses souvenirs, ses légendes.

Mais le plus souvent, le villageois ignore le passé du lieu où il est né, où il a passé sa jeunesse et d’où, peut-être, il partira pour le grand voyage.

Le plus souvent, préoccupé par des tâches quotidiennes, songe-t-il à s’en instruire ? Il est le plus souvent insouciant de savoir pourquoi on appelle telle fontaine « la source des fées », la rue où il passe chaque jour « la voie romaine », telles maisons celles de la sorcière ou du pendu,

Ne serait-ce que par les aventures qu’ils vivent, les histoires racontées, les choses, les objets, les maisons, les villages sont d’incontournables personnages. On y apprend beaucoup à leur rendre visite, à les fréquenter, à les raconter.

 

 

 

 

Mon village n’est pas un tas de pierres de rien du tout. Il a sa vieille église, ses vieilles maisons, toujours habitées depuis le Moyen Age, une vieille grange, un château avec son gros pigeonnier rond, une tour de tuffeau dernier vestige d’un chanoine du 16e siècle et sur la place une enseigne à demi effacée signale une ancienne auberge devant laquelle deux frères se seraient battus en duel pour une sombre histoire d’héritage.

On n’y trouve rien de remarquable. Tout est simple mais tous ces vieux murs ont gardé la mémoire du temps. En prêtant l’oreille, on peut entendre des bruits, des rires, des pleurs, les cloches qui résonnent, le marteau du forgeron, le pas tranquille du cheval qui part au labour et les nuits de pleine lune les gémissements qui sortent d’un vieux puits à margelle sous son armature en fer forgé.

 

 

 

 

Mais le village n’est pas fait seulement de légendes et d’histoires, c’est aussi et avant tout le lieu de vie et de travail de générations d’hommes et de femmes.

Il y a quelque temps, j’ai fait le tour du village avec un vieux cousin qui avait gardé la mémoire des lieux pour y recenser tous les commerces et artisans aujourd’hui disparus. Voyage dans le passé ou découverte d’un présent oublié.

Dans les années d’après-guerre, le village comptait près de 800 âmes et quelques 35 établissements, bistros, épiciers, boucher, boulanger, maréchal-ferrant, forgeron, charron, couturière, coiffeur, bureau de tabac et journaux, bourrelier, menuisier, maçon…

Ce petit pèlerinage a permis de ne pas oublier les hommes et les outils. Des hommes qui perpétuaient la légende et habitaient la réalité. Que nous est-il arrivé dans ce virage brutal  de notre 20e siècle.

 

 

 

 

 

A l’origine, au village, au sein de cette petite communauté, tout s’y fabrique sur place. Chaque métier, chaque corporation est présente et dépend étroitement des autres. Le forgeron est voisin du charron, le maréchal-ferrant est cousin du bourrelier, lui-même client du tanneur. Le tisserand dépend de la fileuse qui trouve sa matière première chez l’éleveur. Tous travaillent pour et avec le paysan qui a son tour nourrit les villageois.

L’économie peut alors fonctionner en circuit fermé.

Le menuisier, le sabotier, le tonnelier… maîtres dans leurs métiers peuvent envisager depuis l’ébauche jusqu’à la finition de conduire la fabrication des objets dont ils sont fiers, responsables et reconnus.

L’artisan n’est pas quelque magicien, secret et lointain, dont on ignore tout, mais le voisin, l’ami, le complice, le conseiller que l’on juge à son tour de main autant qu’à ses qualités humaines.

Cette image antérieure d’une société qui a érigé en loi la multiplication anonyme des produits et des échanges, le village est-il en mesure de la préserver ?

Ce petit rappel d’un passé artisanal où l’argent n’avait pas encore acheté le temps, où l’énergie était l’eau, le vent, le feu, où le rapport à l’objet lui-même et non les cadences de production, rythmait les jours, n’est-il plus qu’un touchant archaïsme ?

Serait-ce, au contraire, l’une des voies qui pourraient conduire vers un futur plus harmonieux et plus paisible en nous donnant l’envie de retrouver en nous la part du merveilleux ?

Il appartient à chacun de tenter de répondre à ces questions.

L’ambition modeste de ce billet est de démontrer ce qu’une banale promenade attentive dans les rues de son village peut révéler ; des mains, des visages, des regards, des matières que l’on respecte, des formes créées, une atmosphère faite d’équilibre, de force tranquille, lucide et de beauté.

Même s’il est éloigné de l’horizon quotidien de nos cités, le village, parure glorieuse du pays, est un monde bien réel où peuvent se lire les moments de notre histoire.

 

« L’évolution d’une épidémie s’étudie dans une éprouvette,

l’évolution d’une humanité dans un village. »

Jean Pierre Chabrol

 

 

Bonne semaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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