LEO DELIBES COMPOSITEUR SARTHOIS

Publié le 1 Octobre 2022

 

 

 

Il est parfois curieux de constater les rapports ambigus que la France entretient avec son patrimoine.

C'est particulièrement vrai avec le cas Léo Delibes, compositeur, auteur de quelques unes des pages les plus connues du répertoire mondial, les plus universellement reconnaissables, même d'un public non mélomane.

Même si les choses ont légèrement évolué, il continue d'être traité par « l'establishment » musical de son pays avec condescendance voire parfois avec mépris.

Par bonheur, le reste du monde et notamment anglophone, n'est pas aussi naturellement intimidé par le discours officiel venu de Paris.

Il convient alors de se réjouir qu'à la suite de la mort de la veuve de Léo Delibes en 1919, ce soit la Bibliothèque du Congrès de Washington (USA) qui ait acquis en bloc les manuscrits musicaux de Delibes, leur épargnant ainsi une dispersion préjudiciable aux chercheurs et musicologues.

Il faut également rappeler que c'est le Lyric Opéra de Chicago qui au milieu des années soixante a invité la soprano Christiane Eda-Pierre, gloire du chant français, à venir chanter « Lakmé » aux côtés d'Alfredo Kraus. Rien d'étonnant également à ce que les travaux les plus importants sur Léo Delibes aient été réalisés outre-Atlantique.

On ne sera pas surpris et non moins consterné d'apprendre qu'en 1991, date anniversaire de sa mort il n'eut droit à aucune commémoration nationale.

Il n'en reste pas moins que le plus célèbre des musiciens sarthois, à l'instar des nombreux musiciens de cette deuxième moitié du 19ème siècle, a été célébré, en son temps, comme une des gloires de la musique française.

Sa musique, rigoureuse et aimable connut rapidement un vrai succès.

 

 

 

 

 

 

Léo Delibes des Vaux-du-Loir

 

 

Léo Delibes est né le 21 juillet 1836 à Saint-Germain-du-Val, petit village près de La Flèche.

Il est le fils de Philibert Delibes, employé au service postal, toulousain, partiellement d'origine italienne dont on sait peu de choses sinon qu'il était brouillé avec sa famille et de Clémence Batiste, musicienne amatrice talentueuse, fille du baryton Jean-Mathias Batiste de l'Opéra-Comique.

A la mort de Philibert, en 1847, Clémence quitte la Sarthe et s'installe avec son fils à Paris.

Persuadée des dons du jeune Léo, elle le fait entrer au Conservatoire où il obtient un premier prix de solfège en 1850.

Il étudie le chant à la maîtrise de la Madeleine et il est recruté comme choriste à l'Opéra : c'est ainsi qu'il participe à la création phénoménale du « Prophète » de Meyerber en 1849. Parallèlement, il étudie le piano et l'harmonie avec son oncle Edouard Batiste, l'orgue avec François Benoist et la composition avec Adolphe Adam.

Muni de ses diplômes, Delibes devient organiste à Saint-Pierre de Chaillot et accompagnateur au Théâtre lyrique en 1855. Pour subsister, il donne des leçons particulières.

Delibes travaille beaucoup.

En février 1856, Delibes fait ses débuts comme compositeur aux Folies-Nouvelles (aujourd'hui théâtre Dejazet) avec « Deux sous le charbon ». Ce premier succès est suivi quelques mois plus tard du désopilant « Deux vieilles gardes » créé en août aux Bouffes-Parisiens d'Offenbach.

Un troisième opéra-bouffe, « Six demoiselles à marier » est créé par la même troupe en décembre.

 

A tout juste 20 ans, Delibes est déjà un compositeur confirmé. L'année suivante, il donne « Maître Giffard » au Théâtre Lyrique. En 1859, il revient aux Bouffes-Parisiens avec « L'omelette à la Follembûche », dont le livret est signé de Labiche, rien que ça.

Quelques mois plus tard « Monsieur de Bonne-Etoile » inaugure sa collaboration avec un autre librettiste, Philippe Gille.

Après quelques demi-succès, il quitte en 1863 le Théâtre-Lyrique pour l'Opéra, où il est nommé chef des chœurs et par ailleurs organiste de l'église Saint-Jean-Saint-François.

 

Ne renonçant pas aux Bouffes-Parisiens il renoue avec le succès avec « Le Serpent à Plumes » (1864), « Le Bœuf Apis »(1865) et « L'Ecossais de Chatour ». Il publie une série de mélodies dont la plus célèbre reste « Les Filles de Cadix » dont il existe des versions jazz dues à Benny Goodman et Miles Davies.

 

 

 

 

C'est le ballet qui va lui assurer le succès. On lui demande en 1866 d'écrire la musique des deuxième et troisième actes d'un ballet « La Source » dont les autres actes seront écrits par le compositeur autrichien de musique de ballet et violoniste virtuose, Ludwig Minkus.

Le succès fut au rendez-vous et les critiques reconnaissent que la musique de Delibes n'a aucun mal à surpasser celle de Minkus.

Ses premiers pas dans la musique de ballet vont le mener en 1868 à mettre en chantier « Coppelia » qui remporte un vrai triomphe le 25 mai 1870.

Même si sa musique n'a rien de révolutionnaire, elle annonce le ballet symphonique (La « Namouna » de Lalo 12 ans plus tard) et orientera toute la production de Tchaikowsky dont « Le Lac des Cygnes » n'apparaîtra que six ans plus tard, suivi par « La Belle au Bois Dormant » et « Casse Noisette ».

 

 

 

 

 

 

Mariage, Guerre de 1870 et Commune de Paris

 

 

Pendant la guerre de 1870 contre les Prussiens, Delibes va servir comme ambulancier et traverse tant bien que mal l'épreuve du siège de Paris. Il quitte la capitale pour la Normandie au moment où se déclenche la Commune qui n'a pas ses sympathies.

Cette période coïncide avec son mariage avec Léontine Estelle Mesnage dite Denain, fille naturelle d'une ex-sociétaire de la Comédie-Française dite Mademoiselle Denain, proche d'Alexandre Dumas fils. Il s'agit en fait d'un mariage « arrangé » par Alexandre Dumas auteur de la pièce le « Demi-Monde » qui ne manqua pas de faire jaser d'autant que ce mariage assure à Delibes une existence confortable pour le restant de ses jours, lui permettant de donner sa démission de l'Opéra.

 

 

 

 

 

C'est aussi à cette époque que Delibes découvre Choisy-au-Bac dans le département de l'Oise. Il y commence l'acquisition de plusieurs terrains où il fait construire « Le Châtelet » par l'architecte Jean Girette, mélomane averti, grand amateur de Wagner et collaborateur de Charles Garnier, créateur de l'Opéra Garnier.

Le Châtelet est une maison pleine d'esprit et de tempérament, volontairement asymétrique et spirituellement assemblée (aujourd'hui propriété privée).

 

 

 

 

 

 

Compositeur de premier rang - La gloire avec Lakmé

 

 

En mai 1873, Delibes fait ses débuts à l'Opéra-Comique avec « Le Roi l'a dit » à la qualité musicale élégante et spirituelle. De la même année date son chef-d'oeuvre de musique religieuse, sa « Messe » brève pour deux voix d'enfant et d'orgue.

Puis ce sera le succès de « Sylvia », premier ballet créé en juin 1876 au Palais Garnier fraîchement inauguré dont un critique, jaloux sans doute, écrira : « la musique de M. Delisbes pêche par trop de zèle et d'éclat... »

 

Delibes est désormais un compositeur de premier rang. Il est nommé en 1880 professeur de composition au Conservatoire. Il siège à de nombreux jurys, entre à l'Institut et est élu membre de l'Académie des Beaux Arts en 1884.

Mais la gloire, il la doit à « Lakmé », mis en chantier en 1881 et conçu d'emblée pour mettre en vedette la soprano de New York, Marie Van Zandt âgée de 22 ans. Le livret est adapté par Gondinet et Gille de la nouvelle de Pierre Loti « Rarahu ou le Mariage de Loti », très gros succès littéraire paru l'année précédente, et dont l'action est transposée de Tahiti en Inde à l'aide d'éléments empruntés à l'orientaliste Théodore Pavie.

 

 

 

 

 

 

Delibes dessine, sur une harmonie audacieuse et subtile, une mélodie pleine de grâce et d'élégance, un enchantement pour les gourmets de l'harmonie. Il montre un talent rare et novateur pour l'orchestration.

Emile Vuillermoz, critique, musicologue et compositeur, parle dans son « Histoire de la musique » (Fayard - 1949) de « la distinction aristocratique de son écriture harmonique, l'audace de ses enchainements d'accords et des modulations, de la virtuosité de son orchestration qui sont d'un véritable précurseur. »

 

Créé en avril 1883, la pièce connait un énorme succès et le public l'accueille avec ferveur malgré des critiques qui jugent « le livret complaisant à la sentimentalité bon marché, les effets faciles et racoleurs... Tout cela laissant une impression d'exotisme de pacotille... ».

 

Mais Delibes triomphe et Lakmé qui n'a jamais abandonné l'affiche depuis sa création, constitue comme « Manon », « Carmen », « Werther », « La Bohème » et « La Tosca » le pain hebdomadaire des directeurs de salles. (A noter que Lakmé a a été programmé cette année 2022 à l'Opéra-Comique jusqu'au 8 octobre ).

Après Lakmé, Delibes s'attelle à un nouveau projet d'opéra « Kassya » sur un livret de Gille et Meilhac.

 

Retardé pour diverses raisons, la partition est plus ou moins terminée mais non orchestrée lorsque Delibes meurt subitement, vraisemblablement d'un arrêt cardiaque ou d'une crise d'apoplexie le 16 janvier 1891, à 55 ans, à son domicile rue de Rivoli à Paris. L'œuvre sera terminée en 1893 par Massenet.

Inhumé au cimetière Montmartre dans le caveau de sa belle-famille, son épouse le fit transférer en 1892, à titre honorifique, dans un tombeau où il repose seul, non loin de son ami Offenbach.

 

 

 

 

 

 

Hommage à Léo Delibes des Vaux-du-Loir.

Plus connu à l'étranger que dans son propre pays.

 

 

 

Artiste prolifique avec plus de 70 œuvres dans divers genres musicaux, j'ai souhaité rendre hommage à cet enfant des Vaux-du-Loir adulé aux Etats-Unis, en Chine, au Japon, en Angleterre ou en Espagne... qui reste comme un maître de la tradition musicale française, légère et mélodieuse. Son style suscitera l'admiration et la reconnaissance de grands compositeurs français comme Gabriel Fauré, Claude Debussy ou Maurice Ravel.
 

Henri Maréchal (1842 - 1924) critique et compositeur écrivait dans « Souvenirs d'un musicien » (Hachette - 1907) : « Si en 1869, on avait parlé à Léo de la rosette rouge, de l'habit à palmes vertes et de la classe de composition au Conservatoire, un énorme rire aurait répondu à la prophétie. La vie de Delibes fut riante ; il n'a presque pas connu les amertumes dont tant d'autres sont abreuvés...Il ne pouvait pas avoir d'ennemi, car il était bon, obligeant, conciliant toujours et soucieux, se sachant l'esprit, de ne jamais rien dire qui pût égratigner un confrère ou nuire à une œuvre. »

 

A sa mort, il fut décidé d'ériger à sa mémoire deux monuments, un devant l'église de Saint-Germain-du-Val, l'autre sur la promenade Foch à La Flèche, tous deux inaugurés le même jour en 1899.

Promenade Foch, le buste actuel de Delibes avec à ses pieds Lakmé en bronze est une copie. La vraie statue a été fondue en 1942, à la seconde guerre mondiale, en vertu de la loi du 11 octobre 1941 sur la récupération des métaux. Celle de Saint-Germain-du-Val a elle aussi disparu mais sans laisser de trace ni dossier aux archives nationales où toutes les statues fondues pendant la guerre ont été répertoriées. Alors, mystère... ?

A La Flèche une salle Coppélia fut inaugurée en 1983.

 

 

 

Monument original promenade Foch La flèche
Monument actuel

 

 

Pour terminer ce billet, je laisse la parole à Léo Delibes qui disait : « Pour ma part, je suis reconnaissant à Wagner des émotions très vives qu’il m’a fait ressentir, des enthousiasmes qu’il a soulevés en moi. Mais si, comme auditeur, j’ai voué au maître allemand une profonde admiration, je me refuse, comme producteur, à l’imiter. »

 

Je vous laisse en musique en compagnie de Lakmé et le célèbre duo des fleurs. (Après une malheureuse pub)

https://www.youtube.com/watch?v=C1ZL5AxmK_A

 

 

 

Bonne semaine !

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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