MADAME DE SEVIGNE ET LE CHEVAL-BLANC

Publié le 31 Mars 2024

Madame de Sévigné en 1665 par Claude Lefebvre

 

 

 

Je me suis plongé depuis quelque temps dans les lettres de Madame de Sévigné. Miroir fidèle et amusant d'une époque d'un autre temps d'une richesse historique et littéraire incomparable.

Cette noble dame a noirci beaucoup de papier pour donner de ses nouvelles à tous et à sa fille, Madame de Grignan.

Elle est aussi une grande voyageuse devant l'éternel parfois par plaisir, souvent par devoir ou par nécessité. De l'hôtel Carnavalet où elle réside à Paris, elle se dirige tantôt vers la Provence où vit sa fille à Grignan, tantôt vers Vichy où elle aime prendre les eaux mais le plus souvent vers la Bretagne où elle possède le domaine des « Rochers ».

 

 

 

 

A cette époque où les voyages ne sont pas particulièrement faciles ni rapides, pour ses longs déplacements elle utilise un grand carrosse à six chevaux, un cheval de bât qui porte son lit, deux calèches pour ses gens et ses bagages, sans compter quatre hommes à cheval, « une calèche à six chevaux, il n'y a rien de plus joli, il semble que l'on vole... » écrit-elle.

 

A l'automne 1684, c'est aux « Rochers » qu'elle se rend mais elle a pris le chemin des écoliers : le 13 septembre, elle est à Etampes puis Orléans, Blois, Amboise et le 20 septembre elle arrive en Anjou d'où elle dit à sa fille :

« J'arrivai hier à cinq heures au Pont-de-Cé, après avoir vu le matin à Saumur ma nièce de Bussy, et entendu la messe. Je trouvai sur le bord de ce pont, un carrosse à six chevaux qui me parut être celui de mon fils, ce l'était en effet, mais au lieu de mon fils, c'était l'abbé Charrier qui venait me recevoir... »

Ce voyage aurait pu rester dans la banalité si je n'avais découvert que cette noble dame allait faire étape à Angers dans un lieu historique qui allait devenir une institution jusqu'au milieu du 20e siècle : l'Hostellerie du Cheval Blanc.

 

 

 

 

Rêvons un peu et imaginons !

En ce 20 septembre 1684, le jour tombe doucement en ce début d'automne ; devant « l'hostellerie », il y a, comme toujours, grand mouvement : les valets s'agitent en prévision des départs du soir et aussi des arrivées annoncées.

Il faut tenir prêt les chevaux de relais, astiquer les harnais, ménager l'espace libre. Des marmitons pressés circulent sous le grand porche ; des femmes de service vont et viennent, cotte relevée sous leur tablier ; la laitière, en coiffe de toile, apporte la traite du soir, de quelque ferme alentour. On s'agite, on attend...

Bientôt là-bas se précisent des cris, des jurons, des claquements de fouets, des galops de chevaux et roulements bruyants sur les pavés inégaux. Et soudain, un pompeux et brillant équipage franchit le porche et s'engouffre dans la cour intérieure.

Une estafette a précédé son arrivée mais le convoi a un peu d'avance et les valets se précipitent vers le premier carrosse à six chevaux, retiennent les bêtes piaffantes, fatiguées, toutes en sueur et retirent les boîtes qui, de chaque côté de la voiture, maintiennent les portières fermées.

 

 

 

La voyageuse qui descend a fière et grande allure, elle n'est plus toute jeune, mais elle a un visage souriant entre les longues anglaises de sa coiffure. Une jolie main qui sort des « engageantes* » de dentelle de la manche, un bouillonnement de nœuds et de falbalas, tout cela à demi caché sous la vaste cape qui protège des premières fraîcheurs d'automne encore que depuis quelques lustres il existe dans les carrosses un confort relatif puisque des vitres ont remplacé les antiques rideaux de cuir.

C'est la Marquise de Sévigné de son vrai nom Marie de Rabutin-Chantal.

De son passage au Cheval-Blanc je n'ai que son parfum légendaire, n'en n'ayant trouvé aucune trace dans sa correspondance. On sait qu'elle y est passée et que son séjour à Angers fut de courte durée, peut-être deux ou trois jours, car le 21 septembre elle adresse à sa fille une nouvelle missive : « Je pars, ma chère enfant, pour les Rochers ; je ne puis monter en carrosse sans vous dire encore un petit adieu. J'ai dîné, comme vous le savez, avec le saint prélat... j'ai été toute l'après-dîner au « Ronceray » et à la « Visitation », ces bonnes Vesins, d'Assé et Varennes ne m'ont point quittée et m'ont fait une grande collation... et les revoilà tous qui reviennent me dire adieu. Nous ne faisons point comme cela les honneurs de Paris... »

 

 

 

 

 

 

 

Le Cheval Blanc toute une histoire

 

 

Comme vous pouvez vous en douter, me connaissant, j'ai voulu en savoir davantage sur ce mythique lieu du 12 de la rue Saint-Aubin à Angers, le plus ancien hôtel de la ville, véritable institution pendant plusieurs siècles.

« L'Oste du Cheval-Blanc » et un certain Jean Barin figurent déjà dans une délibération du conseil de ville du 24 janvier 1485, donnant la liste des hôteliers sommés de faire connaître s'ils hébergent des étrangers à l'Anjou. L'établissement dépend de la seigneurie de l'abbaye Saint-Aubin. La famille Barrault, commanditaire du logis du même nom à la fin du 15ème siècle, possède alors le Cheval-Blanc. François Barrault le baille pour cinq ans au marchand René Delanoé en 1518, moyennant une rente annuelle de 65 livres. Ce devait être, à l'époque, une auberge assez modeste.

C'est avec la famille Rebondy qu'une certaine renommée s'installe à la fin du 17e siècle et se confirme au 18ème. Buffon y descend en 1730, François de La Rochefoucault en 1783, l'anglaise Miss Cradock, aristocrate qui parcourt notre vieille patrie et bon nombre d'établissements hôteliers à la veille de la Révolution tout en rédigeant un journal publié sous le titre de « Voyages en France », qualifie l'hôtel de « propre, raisonnable et bien de toutes façons ».

Une affiche publiée en 1807 pour la vente de l'hôtel note qu'il comporte 24 chambres et peut contenir 10 voitures et 50 chevaux.

L'hôtel est souvent évoqué par ses visiteurs dans leurs mémoires. « Vers 9 heures, écrit la comtesse d'Armaillé dans ses souvenirs publiés par la comtesse Pauline de Pange (elle publiait sous le nom de Jean de Pange), nous entrions à l'auberge du Cheval-Blanc. C'était la meilleure d'Angers, et celle que fréquentaient la noblesse et les personnes considérées de la province. Les maîtres de l'auberge, les servantes accueillaient avec un air de bonhomie et de familiarité respectueuse. L'auberge était très ancienne, bâtie en bois et en torchis, avec des galeries couvertes comme au Moyen Age, qui permettaient aux chambres de communiquer les unes dans les autres. Ce système était commode mais les obscurcissait beaucoup. On m'apporta à dîner dans ma chambre, et je m'amusais énormément du tapage de la cour intérieure remplie de monde, de chevaux et de voitures démodées. Je m'endormis comme je pus, car il régnait un tapage incroyable non seulement dans la cour, mais dans la maison entière. Au dehors les cloches n'arrêtaient pas de tinter, puis une bande d'individus passa dans la rue très étroite en chantant. Enfin les chiens commencèrent à aboyer dès que le silence s'établit ».

 

 

 

L'entrée du Cheval-Blanc 12 rue Saint-Aubin vers 1910

 

 

Une riche et illustre clientèle

 

 

Au 19ème siècle, l'hôtel devient le premier établissement recommandé par les guides de voyages d'autant qu'Alexandre Bahuet dit Breton, succédant à son père, acquiert les deux maisons sur la rue Saint-Aubin enclavées entre l'auberge initiale dont celle à pans de bois datant du 16e siècle, et fait entièrement rebâtir le bâtiment en tuffeau entre 1855-1856. « L'Indicateur angevin » de 1866 le place alors en tête de sa liste des établissements.

 

 

Salle à manger d'été

 

 

S'ouvre alors une période faste.

En 1874, le nouveau propriétaire M. Mornard, transforme sa cour en jardin pour servir de salle à manger pour la belle saison ce que le journaliste du « Gaulois » en visite à Angers les 29-31 octobre 1875 ne manque pas de signaler dans un article publié le 30 octobre (le Tour de France du Gaulois) : « La salle à manger de l'hôtel du Cheval-Blanc, avec sa décoration d'un style sombre, avec ses imitations de vieilles faïences et ses vitraux, ne jurerait pas dans un restaurant du boulevard des Italiens. Cette salle s'ouvre sur une cour transformée en jardin, ce qui permet en été de déjeuner au milieu d'un massif de fleurs. Un velum vous abrite contre les ardeurs du soleil... La clientèle se compose principalement de riches touristes, des officiers supérieurs en tournée d'inspection, des grands propriétaires de l'Anjou et des pensionnaires de la ville, jeunes magistrats, journalistes, conseillers de préfecture ou employés de grandes administrations ».

Des réceptions s'y donnent comme celle du 11 février 1897, au cours de laquelle la marquise de Monspey reçoit « les officiers du 25e dragon et l'élite de la société angevine... Les toilettes élégantes et de bon goût s'entrecroisaient dans les tourbillons de la valse avec délicieux frou-frou de soie, de gaze, de dentelles et de fleurs » raconte « Le Petit Courrier » dans son édition du 13 février.

 

 

la cour de l'Hôtel servant de salle à manger d'été. A l'arrière plan les vitraux de 1892 réalisés par l'atelier angevin Martin -Archives municipales d'Angers

 

 

Les visiteurs illustres s'y pressent : l'écrivain Henry James en 1882, l'historienne américaine Anne Hollingsworth Wharton vers 1910, la danseuse exotique, chanteuse, première femme garagiste et pionnière de la course automobile madame Bob Walter en 1894, l'avionneur Armand Deperdussin en 1912, Roland Garros, Curnonsky et Marcel Rouff qui relatent leurs dîners dans la « France Gastronomique », Colette en 1923, plusieurs ministres du gouvernement polonais en exil en 1939-1940, le diplomate et écrivain portugais Eça de Queiroz qui apprécie à la fois le charme du Cheval-Blanc et celui d'une belle angevine, restée à ce jour anonyme, au point de multiplier les séjours entre 1879 et 1884. C'est aussi le quartier général des musiciens. Entre 1898 et 1910, l'hôtel abrite le siège social de la société des concerts populaires. Les artistes et compositeurs qu'elle invite y résident comme Massenet, Saint-Saëns ou Max d'Olonne. Plus tard, on y croisera Albert Camus, Maria Casarès et Serge Reggiani lors du Festival d'Angers en 1953.

 

 

Le personnel en 1905 - le chef Pierre Pinot au 1er rang 3ème à partir de la gauche

 

 

Tout ce monde profite du service confortable et du talent des prestigieux « Vatel » qui se succèdent tel Paput-Lebeau au début des années 1860, créateur en 1864 du « Gastrophil », journal d'art culinaire. Plus tard en 1939 Henry Sprecher régalera avec quelques spécialités de la maison : potage Sévigné, asperges sauce mousseline, escargots farcis, brochet beurre blanc, sole Cheval-Blanc, pigeonneau Bonne-Maman, poulet Yvette et autres soufflés maison...

 

La façade du Cheval-Blanc en 1955 transformé en appartements après sa fermeture en 1954.

 

 

La fin d'une institution

 

Mais toute histoire a une fin et la belle aventure se termine en décembre 1954. J'en ignore les raisons. Ainsi pendant près de 470 ans « l'ostellerie du Cheval-Blanc » a porté haut les couleurs de l'accueil et de la gastronomie dans cette douce et belle région de l'Anjou.

La liste des prestigieux clients seraient sans doute longue. Malheureusement les archives n'ont pas été conservées et le « livre d'or » a été volé au cours de la seconde guerre mondiale selon le témoignage du fils du dernier chef de cuisine, M. Bertagnolio.

Cheval-Blanc fut vendu et transformé en appartements, mais les façades sur rue et sur cour ont été globalement respectées, le décor simplifié et le couronnement central supprimé. Sur la rue au rez-de-chaussée ont été créées des ouvertures pour installer des magasins.

 

J'aurais aimé connaître cet endroit et j'en devine l'agitation et le brouhaha qui ont pu se produire lors de l'arrivée de la Marquise dans cette hostellerie de province. Il n'est pas surprenant que le souvenir s'en soit perpétué à travers les siècles.

Je ne peux m'empêcher de penser que dans les escaliers et les couloirs rénovés, malgré le bref passage de Madame de Sévigné au Cheval-Blanc flottent encore quelques effluves de l'eau de la Reine de Hongrie à base de romarin dont elle aimait se parfumer régulièrement : « j'en suis folle, c'est le soulagement de tous mes chagrins », écrivait-elle.

 

* Les engageantes sont des manchettes de femme, en lingerie ou dentelle, détachables. Elles étaient portées sous les manches plus larges d'un corsage ou d'une robe. Elles ne faisaient pas partie d'un sous-vêtement tel qu'une chemise, mais étaient des éléments indépendants. Elles ont été portées au 17ème, 18ème et 19ème siècle avec un bref regain au 20ème.

 

 

Bonne semaine

à toutes et tous !

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité de l'Hôtel
Un menu du Cheval Blanc
Le domaine des Rochers

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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