MONTOIRE : HISTOIRE SECRETE

Publié le 3 Mars 2024

 

 

La charmante ville de Montoire distante d'une vingtaine de kilomètres de Vendôme est restée marquée, bien malgré elle, par de tragiques évènements au milieu du 20ème siècle et le sens de ce billet n'est pas de revenir sur cette tragédie.

 

 

Le vieux Montoire au pied du château

 

 

Druides et « Basse Judée »

 

Il existe toute une ancienne littérature sur les origines de cette ville des Vaux-du-Loir. Les auteurs des chartes du 11ème et 12ème siècles ont traduit Montoire par « Mons Aureus », Mont Doré ou Mont d'or. M. de Pétigny, historien et archéologue, dans son livre « Histoire archéologique du Vendômois », y voit un souvenir druidique. Selon lui, « les cavernes mystérieuses creusées dans le flanc de la montagne, entre Montoire et Lavardin, justifieraient le nom de Mont d'or donné à ce coteau, jadis siège d'un puissant collège druidique ».

 

Selon un titre populaire ancien, Montoire aurait porté l'appellation de « capitale de la Basse Judée ».

Diverses légendes régionales tentent de le justifier. Ainsi, certains auraient trouver une ressemblance frappante entre la vallée du Loir et les rives du Jourdain. Un ouvrage sur le « Chemin de la Croix », imprimé à Bruxelles en 1800, affirmait : « pour les personnes qui ne pourraient pas aller faire le pèlerinage en Terre Sainte, qu'elles aillent à Montoire, près de Vendôme, et la vue sur le Loir leur donnera l'idée du Jourdain où Jésus fut baptisé. »

D'autres pensent que cette qualification collective est dûe à l'avarice des habitants et à leur appât du gain.

On dit aussi qu'il y a « entre les habitants du haut et du bas Vendômois une certaine antipathie qui occasionne des railleries et souvent des querelles, qu'à Montoire le Vendômois est méprisé, et qu'à Vendôme les Montoiriens passent pour être trop avide de gain et d'une foi punique* ».

 

 

 

 

Une légende, due peut-être aux âmes vendômoises, nous dit ceci : « Notre Seigneur fut un jour transporté sur une montagne par l'Esprit des Ténèbres qui voulait le tenter en lui offrant, pour prix de son adoration, les riches et fertiles pays que la vue pourrait embrasser. La ruse et l'habileté de Satan ne pouvaient être prises en défaut. Satan choisit la butte de Troô. De cette hauteur le Bon Maître pouvait apercevoir les verdoyantes collines qui bordent le Loir, et le cours sinueux de la rivière au milieu des prairies. Le coup d'oeil était enchanteur. « Je te donnes tout cela, dit le Malin, si, te prosternant à mes pieds, tu m'adores. Mais, se ravisant : « Excepté ma bonne ville de Montoire... »

Un autre récit auquel certaines personnes croyaient encore il y a un peu plus d'un siècle nous dit que la grande châsse* de l'église possédait des reliques de la servante de Pilate, celle qui était venue dire à son maître, de la part de sa femme : « Ne vous mêlez pas des affaires de ce Juste. »

Furieux, le gouverneur aurait d'un coup de pied lancé la servante à travers les airs, portée peut-être par des anges et la noble femme serait retombée à Montoire.

Enfin ce qualificatif est parfois attribué à un charlatan de la fin du 18ème siècle qui, dépité de voir les Montoiriens sceptiques devant ses boniments et craignant de dépenser inutilement son argent les aurait appelés, selon l'abbé Brisset dans son « Histoire de Montoire » en 1936 : « Tas de gens de Basse Judée ! »

 

 

 

 

Forteresse, chapelle Saint-Gilles et Ronsard

 

 

Le château féodal accroché à un éperon rocheux domine la ville et le Loir. Il tire son origine d'une fortification édifiée au 9ème siècle par Landry Sore, émissaire de Charles II le Chauve afin de protéger les populations contre les attaques des Normands. Il devient ensuite le siège de la seigneurie de Montoire qui dépendait du comte de Vendôme. Nihard devient seigneur de Montoire en 1033. Il construit le donjon rectangulaire qui est ensuite entouré par une double enceinte.

Cette seigneurie passe vers 1070 à Hamelin de Langeais issu d'une famille du Vendômois. Plus tard le sire de Montoire accède par mariage à la tête du Comté de Vendôme.

La muraille qui s'appuyait sur le château à l'est descendait jusqu'au Loir. A l'ouest, un fossé défendait la ville.

Le prieuré Saint-Gilles s'élevait à l'angle de ce fossé et du Loir. Ronsard en fut le prieur de en 1566 à 1585, année de sa mort au Prieuré Saint-Cosme à Tours. Cette curieuse chapelle abrite un ensemble de superbes peintures murales.

Chaque 1er septembre, les mères y conduisaient leurs enfants pour les guérir de la peur. Ce pèlerinage s'explique par les vertus tranquillisantes du saint, qui avait apprivoisé un buffle et réprimandé le roi Childebert pour avoir poursuivi à la chasse l'animal domestiqué.

 

 

Chapelle Saint Gilles

 

 

 

Gallima

 

L'ancien Couvent des Augustins, fondé en 1427 par Louis de Bourbon, comte de Vendôme, à son retour de captivité à Londres, saccagé au moment de la Révolution française et vendu comme bien national, possédait une curiosité rare, aujourd'hui disparue.

A son buffet d'orgues apparaissait une tête automatique, « masque à peu près de grandeur naturelle, dont la mâchoire inférieure, mue par un mécanisme particulier, s'ouvrait et se refermait en claquant des mâchoires avec fracas, lorsqu'on pianotait sur le clavier de l'instrument. Ce masque grotesque et inquiétant au dire des vieillards, avait un nom particulier : « le Gallima ».

Un de ses privilèges, dans les derniers temps de son existence était de servir d'épouvantail pour les enfants que l'on menaçait de Gallima lorsqu'ils pleuraient.

C'était le Croquemitaine de l'époque.

La description et les recherches étymologiques de Gallima n'ont pas manquer d'intriguer.

Ainsi on proposa, d'après le latin « Galli imago », d'y voir « l'image de Gaulois », ou d'après le celtique « Gal Lima », « la tête coupée » ou encore « la tête jaune », allusion possible aux têtes des Sarrasins qu'exposaient aux murs des églises, en signe de victoire, les populations ibériques.

Cependant la sculpture ne pouvant être antérieure au 15ème siècle, Alexandre de Saliès (1815-1883) historien du vendômois qui l'étudia, proposa une étymologie qui ouvrit de nouvelles perspectives. Selon une locution locale, Gallima se prononçait Gallimar, mot que la basse latinité autorisait à comprendre ainsi : Galli, « du Français », et mar, « tristesse », « mort ». Gallimar aurait alors signifié la « tristesse » ou la « mort du Français », sous- entendu « l'homme cause de la tristesse ou de la mort du Français ».

 

 

 

Automate de l'orgue de la basilique d'Avesnières (similaire à celui de Montoire) retrouvé en 2006

 

Quel était donc ce personnage, ce Gallimar néfaste ?

Sans doute un individu, notable ou non, lié de près à l'histoire locale et dont le masque articulé représentait symboliquement, les traits ou les attributs : « un front élevé, marqué de dépressions profondes ; des arcades sourcilières saillantes et garnies de sourcils épais ; de grands yeux dont la prunelle et l'iris sont indiqués en creux ; un nez dont la partie osseuse est très avancée, pendant que la partie cartilagineuse se rabat subitement en suivant la verticale, le tout formant dans son ensemble, un nez fortement busqué et cassé dans le milieu ; des joues creuses, marquées de plis très accusés ; une grande bouche ; enfin de longues et larges oreilles : telle est la tête de Gallima. Coiffez maintenant cette tête d'une couronne particulière qui rappelle celle ou plutôt ce haut bonnet de plumes dont le roi Louis XII est coiffé, ainsi que plusieurs princes et chevaliers, sur les miniatures du livre offert par Jean des Marest à la reine Anne de Bretagne et vous aurez la représentation complète », nous dit Alexandre de Saliès.

Gallima fut-il Henri V ou Henri VI d'Angleterre ? La comparaison des profils autorise de Saliès à rapprocher la tête automatique des portraits des Lancastre, famille régnante en Angleterre et qui joua un grand rôle en France, au 15ème siècle, notamment dans l'emprisonnement de Louis 1er de Bourbon, comte de Vendôme. Mais un tel rapprochement paru hasardeux à son auteur même, qui émit l'hypothèse que sous Gallima se cachait peut-être Pierre le Cruel, roi de Castille, traditionnellement couronné de plumes. Cette couronne de plumes propre au roi comme à l'automate aurait conféré au masque grimaçant un double sens.

En vieux français, « Galimard » par corruption du latin « calamarium », veut dire effectivement : « étui à mettre les plumes pour écrire ».

Symbole d'un roi cruel ou caricature de la tyrannie dans les lettres, Gallimar, de toutes les manières et sous toutes les orthographes, a gardé son secret...

Ces têtes automatiques, contemporaines des Jacquemarts* des beffrois et des horloges à personnages mobiles, se généralisèrent en Europe après la Réforme. On en trouve surtout en Allemagne.

De cette curieuse invention, seules demeurent aujourd'hui en France, les trois têtes automatiques attachées au buffet d'orgues de la chapelle romane de Saint-Savin-en-Lavedan dans les Hautes-Pyrénées.

L'automate en bois de 1590 (photo ci-dessus) que l'on appelait le Papotier  (similaire au Gallima de Montoire) de l'orgue de la basilique d'Avesnières à Laval disparu en 1878 a été retrouvé lors d'une vente aux enchères à Drouot le 24 mai 2006 et racheté par la ville.

 

 

* Punique : perfide.

* Jacquemart : automate d'art représentant un personnage sculpté en bois ou en métal, qui indique les heures en frappant une cloche avec un marteau.

* Châsse : reliquaire dans une église qui contient tout ou partie du corps d'un saint

 

 

Passez une bonne semaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

Forteresse de Montoire

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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