POPULUS

Publié le 21 Avril 2024

 

 

 

Aujourd'hui, j'ai eu l'idée et l'envie de consacrer mon billet aux peupliers.

Pourquoi pas.

Je n'en possède pas mais de la fenêtre de mon bureau-atelier je vois ceux de la propriété voisine de la maison, alignés comme des militaires à la parade. Véritables sentinelles, ils semblent monter la garde.

A ces rangées régulières, on reconnaît aisément l'empreinte de l'homme mais personne ne peut être indifférent au charme discret d'une peupleraie formant un royal écrin à un petit chemin d'eau calme.

Ils ont inspiré les peintres. Monet a peint ceux de l'Epte dans une série de vingt trois toiles, Van Gogh les deux peupliers de Saint-Rémy et Cézanne ceux de Pontoise.

Comme les blés d'or, ils furent lyriquement chantés. Armand Mestral et José Van Dam les ont glorifiés dans « La Chanson des Peupliers » créée par Marius Richard à la Scala en 1883 sur des paroles de C. Soubise, chansonnier et poète né à Bruxelles (1833-1901) :

« Le vent souffle dans les ramures

Dans les genêts, dans les sentiers

Entendez-vous ces doux murmures ?

C'est la chanson des peupliers. »

Daniel Guichard s'est laissé attendrir en chantant « qu'ils ont l'air de fredonner tout bas que le temps s'en va... »

 

 

Les peupliers de Saint Rémy - Van Gogh 1889

 

Les peupliers de l'Epte Claude Monet

 

 

La chanson des peupliers caressés par le vent, douce et paisible comme l'eau d'un canal tranquille on peut l'avoir à portée d'oreille si l'on dispose d'un terrain où l'humidité est suffisante et la lumière satisfaisante. Rien n'est plus facile à élever qu'un petit peuplier, rien ne fait de plus joli rideaux ou coupe-vent, rien ne meuble mieux une prairie un peu nue.

Mais une loi s'impose : avoir de l'espace, et, si possible, pas d'autres essences d'arbres.

En effet, malgré l'aspect démocratique de son nom latin, « Populus », le peuplier est un aristocrate. Il déteste se mélanger à d'autres espèces.

 

Le peuplier noir (populus nigra) porte aussi le nom de peuplier commun, peuplier franc, peuplier suisse, liard, liardier quant au peuplier blanc (populus alba) il a pour synonyme peuplier de Hollande, blanc de Hollande, franc picard, bouillard, ypréau, piboule.

 

 

Lors de sa descente aux enfers pour chercher Cerbère, Héraclès porte une couronne de rameaux de peupliers. Les feuilles au contact de sa sueur deviennent blanches alors que sur l'autre face elle sont noires de la fumée de l'enfer. Statue romaine du IIe siècle

 

 

 

On peut affirmer que le peuplier noir est très anciennement connu des Grecs puisqu'il fut un temps reculé durant lequel il était consacré à la Terre-Mère. Homère le fait apparaître dans l'Iliade et l'Odyssée. Il le place à portée des mains d'Ulysse quand celui-ci s'apprête à débiter les troncs des arbres qui poussent près de l'antre de Calypso pour s'en faire un radeau. Héraclès, le célèbre héros né des amours illégitimes de Zeus et d'Alcmène lorsqu'il descendit aux enfers, se fit une couronne de rameaux de peuplier. Le côté des feuilles tourné vers lui resta clair, le côté tourné vers l'extérieur prit la couleur sombre de la fumée. De là vient la double couleur de ses feuilles et c'est sur cette différence qu'est fondée la symbolique du peuplier qui signifie la dualité de tout être.

Le peuplier blanc qu'évoque Sénèque est lui aussi concerné. On le connaît sous les appellations de populus gracea, populus alba, peuplier d'Hercule, l'Héraclès des Grecs. Chacun des deux arbres est clairement inscrit dans la mythologie gréco-romaine.

 

 

Les Héliades sont les soeurs de Phaeton. A sa mort elles pleurèrent tellement qu'elles furent changées en peupliers, leurs larmes tombant dans la rivière Eridan se transformant en ambre.

 

 

Une légende raconte dans la mythologie grecque que l'ambre serait lié à l'histoire de Phaéton qui conduisant le char de son père Hélios s'est approché trop près de la Terre suscitant alors un incendie. Pour l'éteindre Zeus fit tomber Phaéton du ciel dans le fleuve Eridan. Les sœurs de Phaéton, les Héliades, pleurèrent désespérément la mort de leur frère à tel point que les dieux emplis de compassion les changèrent en peupliers pleurant des larmes dorées d'ambre.

 

 

 

 

 

 

Des arbres de haute taille

 

 

Comme les saules, les peupliers font partie de la famille des salicacées. Le genre populus que l'on ne rencontre que dans l'hémisphère nord regroupe plus de trente espèces différentes.

Tous ont en commun leur haute taille (jusqu'à 35 mètres), leur silhouette élancée et la rapidité avec laquelle ils se développent. Leur croissance est d'autant plus rapide que les conditions sont bonnes : climats doux, sols profonds et riches.

Les fleurs apparaissent sous forme de chatons pendants. Exceptionnellement, on ne trouve pas les fleurs mâles et les fleurs femelles sur le même arbre. On dit que le peuplier est une espèce « dioïque ».

En été, les peupliers femelles dispersent des millions de graines couvertes d'un duvet laineux, transportées au gré du vent ou de l'eau mais elles doivent germer rapidement car elles ne se conservent pas. En produisant des tiges à partir de ses racines, le peuplier peut, grâce à ses drageons, gagner du terrain de proche en proche.

 

 

 

 

 

 

Chaque espèce a son caractère

 

 

 

Le tremble (populus tremula) doit son nom au fait que ses feuilles frissonnent au moindre petit souffle de vent. Petites et rondes, elles sont rattachées aux rameaux par un long pétiole aplati agissant comme une charnière sensible. Essence de pleine lumière, craignant la concurrence, on le différencie à son port élancé et à ses branches bien dessinées s'insérant sur le tronc au niveau d'un petit bourrelet.

Le tremble est le seul peuplier à caractère forestier, colonisant les clairières, les lisières et les coupes à blanc. Frugal et tolérant le froid, il n'hésite pas à aller s'installer à de hautes altitudes.

Les peupliers blancs (populus alba) soulignent les berges des rivières. Leurs brindilles et la face inférieure des feuilles sont couvertes d'un léger feutrage blanc. Ce caractère argenté fait de ce peuplier une essence familière dans les parcs. Largement répandue dans les régions tempérées, elle s'hybride avec le tremble pour donner le peuplier grisard (populus canescens).

Parmi les peupliers noirs, le peuplier d'Italie (populus nigra italica) est le plus célèbre. Il a été introduit en France au milieu du 18e siècle. On le reconnaît facilement à sa ramure en fuseau supportée par un tronc court et noueux lui donnant une allure caractéristique. Il est largement utilisé en plantation ornementale ou en rideau brise-vent.

 

« Si une jeune fille glisse sous son oreiller trois feuilles de peuplier, elle rêvera de son fiancé ».

 

 

 

 

 

 

Populiculture et clone

 

 

 

Autrefois, à la naissance d'une fille dans une famille, le père plantait une série de peupliers dont il prenait grand soin jusqu'à son mariage. Alors, il les exploitait pour constituer la dot de la mariée. Ce qui permet de situer la vie normale d'une peupleraie entre 20 et 30 ans.

La culture des peupliers ou populiculture s'est développée en France après la seconde guerre mondiale notamment dans le Bassin Parisien, la Picardie, l'Aquitaine et les Pays de la Loire. Elle représente aujourd'hui environ 200000 ha cultivés par 140000 propriétaires.

C'est une culture qui nécessite des soins constants, labour entre les arbres pour éliminer la végétation concurrente, création de fossés pour évacuer l'excès d'eau et pratique d'un élagage indispensable pour améliorer la qualité du bois.

Afin d'améliorer les qualités des peupliers, on a croisé des espèces entre elles afin d'obtenir des hybrides résistant bien aux maladies. Pour reproduire à l'infini ces sujets exceptionnels, on a employé le bouturage, une méthode de multiplication à laquelle le peuplier se prête facilement. L'ensemble des sujets issus par bouture d'un même pied et possédant les mêmes caractéristiques s'appelle un clone. Le « I-214 » et « Robusta » sont parmi les plus célèbres. De nos jours, avec ces hybrides, certains arbres peuvent être exploités dès l'âge de 15 ans.

 

 

 

 

 

 

Usine à bois

 

 

Observation amusante, cet arbre, qui pousse sur les terrains humides, sert, entre autres, à fabriquer des allumettes.

Il est tendre et léger, facile à coller, teindre, peindre, clouer, agrafer mais il se scie et se ponce difficilement.

Autrefois, il était souvent utilisé comme bois de charpente. Bien au sec, résistant, il pouvait se conserver très longtemps comme volige, chevron ou poutre.

Ses « billes » dépourvues de nœuds sont recherchées pour le déroulage, opération qui consiste à faire tourner le tronc sur une machine qui tranche, avec une lame, une feuille de bois continue. Dans ces feuilles de faible épaisseur utilisée dans le contreplaqué, on y découpe aussi des allumettes.

 

 

 

 

 

 

Ainsi déroulé, il est employé, à cause de la faible odeur, ses qualités hygiéniques remarquables, naturellement bactéricide pour l'emballage alimentaire : caisses, cageots, boîtes de fromage, emballages légers pour les fruits, les légumes, les huîtres.

Bien d'autres utilisations sont réservées à ce bois blanc facile à travailler : poignées d'outils, parois de boxes à chevaux, palettes.

Pas très apprécié comme combustible, les parties du bois non valorisables en déroulage ou sciage sont destinés au broyage et à la trituration pour les panneaux de particules, la pâte à papier, le compostage de biodéchets ou encore le paillage.

 

 

 

 

 

 

Des vertus médicinales, propolis et vin de bourgeons

 

 

Le peuplier n'est pas seulement cet arbre à fournir des planches et cet élégant est là où on ne l'attend pas.

Les vertus médicinales du peuplier sont connues depuis l’Antiquité. Jadis, avec un peu de feuille de belladone, de jusquiame, de morelle et de pavot, les bourgeons de peuplier faisaient partie de la composition du célèbre « onguent populéum ». Cette crème calmante était autrefois employée, entre autres, pour lutter contre les symptômes des hémorroïdes. Il fut également un temps où un scientifique du nom de Leclerc a catégorisé le peuplier parmi les sédatifs à utiliser en cas de douleurs musculaires.

 

Le fameux charbon médicinal est préparé à partir du bois de peuplier carbonisé.

L'arbre est connu pour ses propriétés cosmétologiques, sa sève « Eau de Peuplier » sert, entre autre, dans la confection de savon.

Le peuplier noir s'accorde avec le blanc. Chez eux, on privilégie les bourgeons encore clos et visqueux, plus exactement les bourgeons à fleurs frais. Non encore épanouis, ils devancent l'éclosion des feuilles, ce qui situe leur récolte en mars et avril.

Au printemps, ces bourgeons sont recouverts d'un suc visqueux et résineux de même que les très jeunes feuilles. Cette substance amère, de couleur jaunâtre (propolis) dégage un parfum balsamique. La distillation de la résine permet l'obtention d'une huile essentielle aux vertus anti-inflammatoires marquées pour le traitement des maladies chroniques en relation avec les poumons mais aussi les voies urinaires.

Tout comme le saule blanc (salix alba) et le tremble (populus tremula) qui appartiennent à la même famille botanique, le peuplier recèle une quantité considérable en salicylates. Lorsque les bourgeons sont ingérés dans l’organisme, les salicylates se transforment en acide salicylique à l'état naissant, c'est-à-dire le précurseur de l'aspirine connu pour son pouvoir calmant.

En outre, il est aussi possible d’obtenir du vin de bourgeons de peuplier en faisant macérer environ 100 grammes de bourgeons préalablement concassés dans un litre de vin.

Ce breuvage s’avère être un excellent tonique au printemps. On peut y ajouter une quarantaine de grammes d’écorce d’orange amère pour augmenter l’effet tonique de ce breuvage. Mais même sans l’assaisonnement, il est assez efficace.

 

Qu'il vive à l'état naturel ou qu'il soit cultivé, le peuplier, cet arbre fringant et élégant qui ombre chemins et canaux, enchante nos promenades avec le bruissement de ses feuilles. Personne ne peut rester insensible à son charme et sa beauté.

 

« Dans la campagne muette, les peupliers se dressent

comme des doigts en l'air et désignent la lune »

Jules Renard - Histoires Naturelles (1894)

 

 

 

 

 

 

 

Bonne Semaine à tous 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Sans esprit de compétition, le carnet d'alinéas avait défriché le sujet. Merci de nous rejoindre et de nous conforter dans notre admiration pour cet artiste. http://www.carnetdalineas.com/2021/12/le-peuplier.html
Répondre
Y
Bonsoir<br /> je ne savais pas mais les grands esprits sont faits pour se rencontrer, n'est ce pas<br /> Dans un précédent article les "fées de saint Antoine" j'ai mis votre lien, en fin de billet, concernant l'excellent article sur le feu de saint Antoine.<br /> Amicalement