BALADES GASTRONOMIQUES 9 - EN BERRY

Publié le 24 Mars 2024

Aquarelle Yves de Saint Jean

 

 

 

La province historique du Berry est située au centre géographique de la France. Elle constitue l'un des plus vieux terroirs agricoles et deux départements, le Cher et l'Indre en sont les héritiers. Le Cher correspond au haut-Berry tout en incorporant un peu de territoire qui appartenait au Bourbonnais. L'Indre, lui, se rapporte au bas-Berry. Il inclut, à l'ouest, la Brenne qui faisait partie de la Touraine.

Le département de l'Indre a pour capitale Châteauroux, « O Châteauroux, ville la plus laide de France » a dit Jean Giraudoux dans « Lecture pour une ombre » (1918). Isolé du contexte, ce jugement paraît extrêmement sévère. Mais en fait, il s'agit là de sentiments du collégien qui revivent en lui alors qu'adulte il retrouve les choses matérielles qui lui rappellent ses souvenirs d'enfance. Par la suite, on s'aperçoit que l'écrivain aime Châteauroux, ville de son enfance et un lycée porte son nom.

Bourges, règne sur le Cher et demeure la capitale historique du Berry. Ville au charme indéniable reconnue pour son patrimoine historique dont l'immense cathédrale gothique est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO.

 

 

J'éprouve une certaine tendresse pour cette région où la Cuisine vraie et simple maintient les vieux usages du terroir. Elle y conserve son attrait et sa couleur locale. Cela vient, sans doute, d'une arrière grand-mère berrichonne qui nous chantait ses ritournelles de jeunesse.  

Chaque région de France apporte dans ses mets et leur préparation, un « tour de main » particulier, un imprévu, une saveur, un parfum. Ainsi, le Berry et ses deux départements méritent d'être considérés comme un réel centre gastronomique !

Partout la table y est bonne que ce soit dans la vallée Noire avec Nohant où la « Bonne Dame » semble encore présente, la vallée de la Creuse, la Brenne, « pays aux mille étangs », sévère et silencieuse où la pisciculture est très développée, la Champagne Berrichonne avec Reuilly et ses vignobles, Issoudun où séjourna Balzac, Valençay où plane la mémoire de Talleyrand et son maître cuisinier Carême, Levroux où de vieilles pierres évoquent le passé.

Le Berry apporte sa précieuse contribution au « harnois de gueule » comme le disait Rabelais car le berrichon est « feurland » autrement dit « gueulard » selon les mots d'Hugues Lapaire, et pour parler plus français, amateur de bonne chère.

La cuisine « berriaude » comme disent les vieux berrichons trouve sa tradition dans la richesse des produits naturels d'un pays favorisé.

 

 

Aquarelle

 

 

L'Indre et le Cher sont des départements prospères. Le mouton, la chèvre, le porc y règnent depuis longtemps. Ils constituent un précieux cheptel au côté d'une imposante basse-cour où trônent oies dodues, poule noire du Berry aux reflets verts de son plumage et crête rouge vif et ce dindon vaniteux qu'Alexandre Dumas père nous confirme dans son grand dictionnaire de cuisine que la poule d'Inde ne fut point importée d'Amérique par les jésuites mais bien, dès 1432, amenée d'Extrême-Orient dans les vaisseaux de Jacques Coeur, fils de Bourges et grand Argentier du roi de France Charles VII.

 

Un peu partout le berrichon sait préparer à sa façon, spécialités et bonnes recettes mijotées du pays sans fonds de sauces rajoutés.

Balzac le savait. Hôte de madame Zulma Carraud à Frapesle, près d'Issoudun, où il rédigea « La Rabouilleuse » et le début de « César Birotteau » il écrivait : « on ne dîne pas aussi luxueusement en Province qu'à Paris, mais on y dîne mieux. Les plats sont médités, étudiés. Au fond des provinces, il existe des Carêmes en jupon, génies ignorés qui savent rendre un simple plat de haricots digne du hochement de tête par lequel Rossini accueille une chose parfaitement réussie ».

 

 

Pâté berrichon ou pâté de Pâques

 

 

Dans les plats berrichons, les arômes et les parfums s'accordent, les sauces prolongent et affinent le goût des aliments sans les contrarier.

Si les deux spécialités les plus connues demeurent certainement le pâté berrichon comprenant de la viande et des œufs durs, sorte de pâté de Pâques que l'on peut servir toute l'année en Berry et la galette de pommes de terre, pâte feuilletée fourrée du précieux tubercule, les deux départements s'enorgueillissent de formules gourmandes. Ce sont les œufs au vin rouge, l'omelette aux escargots, la carpe en gelée, la langue de bœuf au gratin, la côtelette de veau à l'étouffée, l'étuvée de veau au vin de Sancerre, le foie de veau farci, la poule en daube, le brochet braisé au Quincy, les rognons de mouton « à la mode de Bourges », le pot-au-feu berriaud (bœuf, mouton, jarret de veau), sans compter les « ferlauderie » : les Sanciaux, crêpes très épaisses, les Tortiaux, sorte de blinis frites à la poêle, le Truffiat ou bourre-chrétien, aux pommes de terre, les Gouères ou Gouérons suivant les coins de la région, délicieuses galettes de pommes.

En Brenne, le Gouéron était un gâteau fait avec des œufs, de la farine et du fromage de chèvre.

Il ne faut pas oublier le Citrouillat, sorte de pâté à la citrouille, le Millat de Levroux, le Radillat autrement appelé pain béni, le Poirat, tourte à la poire et le flan aux cerises, le clafoutis.

 

Clafoutis aux cerises

 

Il est dit que le clafoutis serait plutôt d'origine limousine que berrichonne, bien que le limousin n'ait pas de cerises, tandis qu'elles abondaient dans la région du Blanc.

André Liesse (1854-1944) de l'Institut, écrivait, en 1935, à son ami Hugues Lapaire, romancier et conteur : « Il y a 40 ou 50 ans, nos paysans avec leurs charrettes à âne, allaient à Limoges vendre leurs cerises à quatre sous la livre. Ils vivaient en route du pain qu'ils emportaient et du fromage de chèvre ».

 

Dans cette liste quasiment gargantuesque, il ne faut pas oublier ce que certains berrichons considèrent comme leur plat national. George Sand l'appréciait. On parle ici du poulet en barbouille (on prononce aussi barboille), très prisé des vignerons sancerrois, c'est un ragoût de poulet mariné et flambé dont on garde le sang pour lier la sauce.

 

 

Poulet en Barbouille

 

 

Hugues Lapaire, dans la première édition de sa « Cuisine Berrichonne » en donnait la recette :

« Flambez un poulet et coupez-le en morceaux. Dans une casserole ou une poêle, mettez du beurre, des petits carrés de lard, des carottes et un morceau de sucre. Salez, poivrez et faites revenir.

Ajouter de la farine ( 2 cuillerées), des petits oignons, un bouquet garni. Mouillez avec moitié bouillon (un verre), moitié bon vin.

Cuisson : une heure pour poulet tendre.

Un moment avant de servir, ajoutez le sang du poulet que vous avez eu soin de recueillir préalablement dans un bol contenant un filet de vinaigre. Faites cuire à feu doux. Ajoutez un verre de crème, un jaune d'œuf, et le foie pilé. Remettez la poêle sur le feu en tournant légèrement et en évitant de faire bouillir. Vous obtenez ainsi une belle sauce noire, onctueuse, bien liée et parfumée. Et l'auteur ajoutait : dans l'ardeur de la délectation on oublie parfois les convenances en y mettant les quatre doigts et le pouce. C'est alors que l'on se retrouve « barbouillé » comme le personnage de Molière. »

 

« le vin est frère du sang qui bout dans nos veines » George Sand

 

 

La colline de Sancerre et les vignes

 

 

Mais un pays de bonne chère est généralement aussi un pays de bons vins dont l'alliance avec les fromages est incontournable.

Un fin repas exige que chaque plat soit accompagné d'un vin dont la chaleur, le fumet s'harmonisent avec l'ordonnance des mets.

Trop modestes pour chercher à rivaliser avec les crus aristocratiques des Bordeaux ou Bourgogne, les vins berrichons ne sont pas moins de qualité. L'histoire viticole en Berry est ancienne et remonte à la plus haute antiquité. Pline et Columelle faisaient déjà mention du cépage « bituricus ». On pourrait y voir là l'étymologie du terme de la langue verte « biture ». Pourquoi pas ?

Ainsi à Issoudun, lorsque la 10ème légion romaine, dite des Alouettes - un quartier d'Issoudun porte ce nom - vint camper près de la ville, elle put se désaltérer avec le produit des vignes qui couvraient les collines de Chinault ou se trouve Chamfort (campo forti) jusqu'au Bois du Roi qui était lui-même un vaste vignoble.

Balzac, dans « La Rabouilleuse » reprend cette information : « César a parlé de l'excellent vin de Chamfort (campo forti) un des meilleurs clos d'Issoudun ».

Au début du 19ème siècle, il y avait 400 hectares de vignes sur les coteaux du Pêchereau et du Menoux près d'Argenton que l'on vendangeait encore dans les années 1950. Quelques centaines de ceps ont été replantés pour en garder la mémoire.

Aujourd'hui, il faut rendre hommage aux vins issus des cépages Sauvignon pour les blancs et Pinot pour les rouges des vignobles de Pouilly-Fumé, Coteaux du Giennois, Châteaumeillant, Menetou-Salon, Quincy, Reuilly, Valençay et le plus connu, peut-être, le Sancerre cultivé sur les coteaux de Bué, Amigny, Verdigny, Chavignol, Saint-Satur.

 

 

Crottin de Chavignol

 

 

« Bois ton vin et mange ton crottin, Ô Chavignol ! » chantait Hugues Lapaire. En Berry plusieurs appellations protégées se cachent derrière la chèvre.

Si le crottin de Chavignol est l'incontournable, il a des cousins faits, comme lui, avec le lait crémeux des biquettes.

Le Selles-sur-Cher de 9,05 cm de diamètre à la croûte cendrée à la poudre de charbon de bois, le Valençay, célèbre pyramide tronquée de 6 à 7 cm de haut et son cousin germain, le Pouligny-Saint-Pierre, tronc de pyramide de 12,5 cm de haut à la croûte légèrement bleutée.

 

Pouligny-Saint-Pierre

 

 

Dans les années 1960, on racontait que l'on pouvait le consommer blanc mais que les connaisseurs l'entamaient « quand qu'y fait que bleusir ». Le mieux était de la mettre à « affiner ». Le nec plus ultra de l'opération consistait à les empiler un certain temps dans des pots de grès entre des feuilles de platane. On pouvait même y ajouter un peu de marc du pays.

 

 

Poule noire du Berry

 

 

Si le patrimoine culinaire berrichon se caractérise d'abord par un côté assez roboratif hérité d'une tradition rurale où la pomme de terre est reine, la cuisine, solide à l'origine, a su évoluer en gardant sa saveur. Associations, confréries oeuvrent en permanence pour sauvegarder et valoriser un riche patrimoine culinaire berrichon : Poule Noire, Cerise Belle, Lentille Verte, huiles Vigean, brochets et carpes de Brenne, fromages, vins, Sucrine du Berry, une courge redécouverte et mise à l'honneur par la foire aux potirons et légumes rares de Tranzault.

 

Le château de Valençay

 

 

« La destinée des peuples, disait Brillat-Savarin, dépend de la manière dont ils se nourrissent ».

La Table est le meilleur agent pour la paix du monde. Talleyrand hôte de Valençay dont on connaît la célèbre formule : « Sire, j’ai plus besoin de cuisiniers que de diplomates ! » gagna plus d'une bataille diplomatique avec ses bons et beaux dîners et Cambon, l'ambassadeur de France à Londres, en invitant à sa table raffinée Edouard VII, fin gourmet, posa les bases de l'Entente Cordiale.

Le Berry comme chaque région de France apporte dans les mets un imprévu, une saveur, un parfum. Alors, si tous les chefs d'Etat ou leurs ministres se trouvaient réunis autour d'une nappe blanche au lieu d'un tapis vert et que les plats traditionnels leur soient servis par quelque Vatel ou Carême modernes, le grand dessein de fraternité humanitaire aurait, peut être, plus de chance de se réaliser.

On ne sait pas jusqu'où peut aller l'influence de bons dîners quand on sait les offrir à propos.

 

 

 

Bonne semaine !

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #gastronomie

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