PIERRE BELON DE OIZE

Publié le 20 Novembre 2022

La statue de Pierre Belon au Mans installée en 1887 devant la Préfecture

 

 

 

Le 9 octobre 1887, une brochette d'élus, de magistrats, d'universitaires et de notables locaux divers, inaugure la statue de bronze de Pierre Belon devant la préfecture de la Sarthe.

 

Une souscription avait été lancée en 1884 par Louis Crié, professeur de botanique à la faculté des sciences de Rennes. Très vite les offrandes vont affluer de nombreux pays dont l’Egypte, la Russie, la Perse ou encore l’Autriche-Hongrie. L’œuvre sera finalement acquise pour 6000 francs. Le sculpteur Charles André Filleul et le fondeur Thiébaut Frères seront choisis pour réaliser la statue.
Le jour de l'inauguration, le grand savant russe Pavlov envoie un télégramme et l
a Société Chorale du Mans interprète une cantate écrite spécialement pour l'occasion. En voici le refrain au lyrisme ébouriffant :

 

 

« Nous t'acclamons, ô noble fils du Maine

Toi qui traçant un lumineux sillon,

De la science enrichit le domaine.

Salut ! Salut ! Admirable Belon !

Honneur et gloire

A ta mémoire,

Salut ! Gloire, immortelle renom

A ton nom ! »

 

 

Quatre ans plus tard, une autre statue, en pied celle-là, est dressée dans la commune de Cérans-Foulletourte.

Aucun de ces deux bronzes n'a survécu, vraisemblablement disparus lors de la deuxième guerre mondiale en raison de l'application de la loi du 11 octobre 1941 sur la récupération des métaux.

Ces deux statues proposaient au regard le souvenir d'un homme étonnant, grande figure de l'humanisme, père de l'anatomie comparée et des classifications botaniques. Il peut être qualifié de digne précurseur de Buffon et Linné qui l'admiraient.

Sa vie est des plus aventureuse et il est incontestablement l'un des premiers voyageurs dont les espèces végétales découvertes ornent aujourd'hui nos parcs, jardins et places de nos villes et villages.

 

 

 

Statue originale de Pierre Belon à Cérans Foulletourte fondue en 1941

 

 

Pierre Belon est sarthois. D'origine modeste, il est né en 1517 à la Soultière, hameau rattaché à l'époque à la paroisse de Oizé dans les Vaux-du-Loir puis de Cérans-Foulletourte où il n'y a passé que son enfance, vivant son adolescence en Basse-Bretagne.

Montrant très tôt un grand intérêt pour les plantes et la zoologie, il entre en qualité d'apothicaire au service de l'évêque de Clermont et pérégrine en Auvergne, dans le Massif Central, à Bourges, Sancerre ainsi que dans le Maine. puis vers 1535, il entre sous la protection de l'évêque du Mans, René du Bellay qui avait créé au manoir de Touvoie, demeure d'été des évêques du Mans à Savigné, un jardin botanique, le premier qui ait existé en France.

 

 

Maison natale de Pierre Belon à La Foultière

 

 

Les premiers voyages

 

C'est à la demande de son mécène qu'il prend la route d'abord pour l'Allemagne, à Dresde puis à Wittenberg où il passe un an (1540-1541). C'est dans cette dernière ville qu'il rencontre Luther qui avait affiché en 1519, ses propositions de réforme. Il y apprend l'allemand qu'il parlera parfaitement et suit les cours du jeune brillant botaniste, Valerius Cordus.

 

 

Cardinal de Tournon

 

 

En 1542 de retour à Paris, il vit à la Cour, dans la suite du puissant cardinal François de Tournon, archevêque d'Auch puis de Lyon, singulier et libéral mécène des hommes de vertu mais aussi et surtout ministre des affaires étrangères de François 1er, en guerre avec Charles Quint. « Domestique serviteur », Belon est officiellement apothicaire mais occupe, en fait, la fonction d'agent diplomatique au service du cardinal. Homme curieux, il y poursuit ses recherches, furète dans les cuisines, examine le gibier, les légumes, les épices, visite les parcs, jardins, serres et ménageries.

 

Un nouveau voyage le mène en Suisse et en Allemagne en 1543. Considéré comme agent secret et soupçonné de luthéralisme, une altercation le précipite dans les geôles genevoises où il croupit durant six mois, nourrissant à cet effet une haine farouche et tenace contre les calvinistes. Un admirateur et ami de Ronsard le fera sortir de cette fâcheuse situation.

 

Libre, il peut rejoindre son maître Cordus en Ligurie alors que ce dernier achève un tour de la botte italienne. Mais Cordus meurt à Rome et Belon continue seul. Il visite l'Italie du nord, Padoue, Venise, fréquente les parcs et les jardins, découvre les lagunes, observe la faune et la flore typiques.

Sur le chemin du retour, il musarde dans les Alpes où il observe les bouquetins « dont les cornes sont cannelées en viz ».

 

 

 

 

 

 

Le voyage en Orient

 

 

En 1546, le cardinal de Tournon introduit Belon à l'ambassade, que François 1er envoie auprès du Grand Turc Soliman le Magnifique sous la conduite de l'ambassadeur Gabriel de Luetz, seigneur d'Aramont, chargé de promouvoir à Istanbul l'image du très chrétien roi et sa politique levantine. La France, à l'époque cherchait à entretenir des rapports privilégiés avec la « Sublime Porte » et, en fait, à briser le monopole commercial de Venise. Ainsi l'ambassade française accueillit-elle plusieurs chercheurs et savants sous la protection des plus importants dignitaires turcs.

Belon atteint Venise d'où il traverse l'Adriatique en felouque, visite les îles de Corfou et de Crête pour enfin arriver à Stamboul (Istanbul) début mai 1547 où il séjourna jusqu'en août de la même année.

La ville de Constantinople le séduit dès le premier abord : « la ville de Constantinople est située en un lieu le mieux à propos pour la grandeur d'un prince que nulle autre ville au monde ». Il parcourt, visite, observe, note, dessine.

Dans son livre « Les Observations » écrit plus tard et considéré comme le « Magnus Opus », son œuvre principale, les habitudes, us et coutumes des Turcs de l'époque y sont minutieusement décrits. Ouvrage essentiellement descriptif mais d'un grand intérêt anthropologique, sociologique, botanique, zoologique, médical.

 

Un autre puissant ambassadeur, le sieur de Fumel, va lui permettre de visiter l'Egypte. Il explore Le Caire, s'intéresse aux procédés employés pour la momification des corps. La traversée de Rhodes - Alexandrie lui fournit l'occasion d'observer les déplacements d'oiseaux et d'en concevoir l'idée des migrations : « les hyrondelles ne se pouvant tenir l'hyver en nostre Europe, tant pour la grande froidure que parce qu'elles n'y trouveroient pasture s'en vont en Afrique, Egypte et Arabie, et, là ; trouvant leur hyver quasi aussi à propos que nostre été, n'ont faute de mangeaille. »

 

Le retour se fait par terre ferme, Turquie, Arabie, Judée, Terre Sainte et Anatolie. Il visite les lieux saints nommés par les Evangiles et, en botaniste « invétéré », cherche la ronce dont aurait été tressé le Christ supplicié. Il s'extasie devant les vergers syriens et médite sur les méthodes arboricoles.

Il s'arrête dans les îles grecques à la recherche de plantes décrites par Dioscoride. En Grèce, il visite le Mont Athos où il note : « les platanes du mont Athos peuvent être comparés en hauteur au cèdre du mont Liban et aux sapins du mont Olympe et Aman. »

A Antioche, il souligne l'importance des platanes et indique bien que cette essence ne pousse pas en France : « il y a de très beaux platanes à l'entrée d'Antioche, dont il n'en croist aucun en France n'aussi en Italie sinon quelques cultivés à Rome et autres villes pour singularité. »

 

 

 

 

 

 

Retour en France, ouvrages et autres voyages

 

 

Il revient en France, à Paris, en 1549. Henri II règne désormais et Tournon est remercié. Belon obtient du roi une pension de 200 écus qui lui permet de poursuivre ses recherches

Il accompagne de Tournon au conclave de Rome où il rencontre Rabelais.

L'année suivante il s'inscrit au Collège de Médecine mais entrecoupée de voyages incessants à Rome, Oxford, Zürich... sa scolarité est très décousue. Il met dix ans à obtenir bon dernier sa licence et renonce aux servitudes d'un doctorat.

En plus de ses nombreux déplacements il s'est attelé à la rédaction de ses ouvrages. Entre 1550 et 1560 il en écrit neuf, six dans un français coloré, plein de saveur et trois en latin.

En dehors des « Observations » en 1553, citons « Histoires des étranges poissons » en 1551, « Des arbres conifères » en 1553, « Histoire de la Nature des oiseaux, avec leurs descriptions et naïfs portraits » en 1555, « Portraits d'oyseaux, animaux, serpents, herbes, arbres, hommes et femmes d'Arabie et d'Egypte » en 1557, « Les remontrances sur le défaut des labours et culture de plantes » en 1558.

(Plusieurs ouvrages de Pierre Belon furent traduits en latin et publiés à la fin du 16ème et au début du 17ème siècle par la prestigieuse maison Plantin d'Anvers.)

 

 

 

 

 

 

Curieux de tout, fouineur invétéré, on peut l'imaginer furetant dans les « tamarisques » de Palestine ou les pistachiers de Touvoie à Savigné-L'Evêque, en permanence à relever, noter, réfléchir, dessiner.

Il prêche le reboisement dans le royaume, fustige les sorciers « pauvres idiots » et les alchimistes.

Deux siècles avant Rousseau qui l'admirait, Belon préconise l'allaitement maternel dont il a observé les bienfaits en Turquie. Le premier, il a dessiné un embryon de marsouin et un crâne de dauphin et mit côte à côte un squelette d'oiseau et un squelette humain, soulignant leurs points communs.

 

 

 

Nouvelle statue de P. Belon à Foulletourte

 

 

 

Le meurtre

 

A la fin de 1562 le cardinal de Tournon meurt. Belon perd alors le logement de Saint- Germain que celui-ci lui louait. Le roi Charles IX le reloge alors, signe de sa notoriété, dans son château de Madrid*, situé au cœur du bois de Boulogne.

C'est en traversant ce bois qu'il est assassiné un soir d'avril 1564 à 47 ans, dans des circonstances non élucidées. Nul ne sait si ce fut par un coupe-jarret ou par un calviniste vindicatif, Belon n'ayant jamais caché son antipathie violemment anti-huguenote.

 

 

Arbre de Judée introduit par Pierre Belon
Cèdre du Liban

 

 

Si, pour notre plus grand bonheur comme celui des jardiniers, paysagistes, urbanistes, nos Pays de Loire et des Vaux-du-Loir peuvent se targuer du titre de « Jardin de la France », remercions Pierre Belon pour tous ces parfums qu'il acclimata à Touvoie et à qui l'on doit l'introduction sur notre sol d'un florilège d'arbres et de plantes : arbre de Judée, cèdre du Liban, chêne liège, jujubier, chêne vert, genévrier d'orient, myrte, mûrier, platane et la célèbre et délicieuse prune devenue « Reine Claude », épouse de François 1er « la fleur et la perle des dames de son siècle, un miroir de bonté, sans aucune tache, et qui fut moulte regrettée. »

 

 

 

Le château de Madrid - gouache de Louis Nicolas de Lespinasse (1734-1808)

 

* Le château de Madrid, d'abord appelé château de Boulogne, est une résidence royale bâtie dans le bois de Boulogne construit à partir de 1528 sur l'ordre du roi de France François 1er et achevé pour son fils Henri II, il fut entièrement démoli à la fin du 18ème siècle.

 

 

Platane du Chef de Ville -Chenu
Pierre Belon à Cérans Fouletourte
Château de Touvoie à Savigné L'Evêque

 

 

 

 

Je vous souhaite une agréable et excellente semaine malgré l'humidité ambiante !

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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A
Très intéressant. Merci.<br /> PS. Le château de Madrid a également accueilli la reine Margot à son retour d'exil d'Usson.
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Y
Bien sur<br /> Amitiés<br /> Yves