ALPHONSE POITEVIN - LA POSTERITE OUBLIEE

Publié le 26 Février 2023

 

 

Connaissez-vous Alphonse Poitevin ?

Ce nom ne vous dit rien, bien sûr, et je vous avoue humblement que j'ignorais jusqu'à ces quelques jours son existence.

Pourtant, nous devons beaucoup à ce personnage des Vaux-du-Loir. Ses découvertes qui ont accompagné nos vies méritent que l'on s'y attarde : le bleu des billets de banque, l'agrandissement photographique, la diapositive, l'héliogravure, la photographie inaltérable au charbon, autant d'inventions remarquables dont nous sommes tous redevables à ce calaisien.

 

Son existence, passionnante par les recherches et les nombreux succès qu'il allait recueillir, fut également tragique en raison de l'incompréhension de certains de ses contemporains, de l'absence de tout sens commercial et ses malheurs en affaires, des douleurs familiales avec un grand amour pour sa femme et ses enfants et de son caractère difficile.

 

La postérité l'oublia.

 

 

 

Un élève brillant

 

 

 

 

 

 

Louis, Alphonse est né sous le signe de la vierge le 30 août 1819 à Conflans-sur-Anille, petite bourgade près de Saint-Calais dans les Vaux-du-Loir. Son père est maître d'armes dans la garde de Napoléon et sa mère, femme au foyer.

 

Après de brillantes études, il quitte, en 1838 le collège de Saint-Calais, avec le grade de premier bachelier de la ville.

Encouragés par les signes d'une intelligence vive, ses parents le font entrer à « l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures », communément appelée « Ecole Centrale ».

Au cours de ses trois années d'études, il ne récolte que les premières places. Elèves et professeurs le considèrent comme un étudiant particulièrement doué. En 1843, il sort troisième de sa promotion avec le titre d'Ingénieur Chimiste.

 

Toute sa vie Alphonse sera partagé entre ses deux passions : la photographie et la chimie.

Dès l'apparition en mai 1839 du « procédé de Monsieur Daguerre », il va se plonger dans la reproduction de l'image. Il dépense ses premières économies à acheter une petite chambre daguérienne et comme il l'écrit dans une lettre à Becquerel « passe ses vacances à faire du Daguérréotype ».

 

Les débuts de l'industrialisation des pays européens coïncident avec la fin de ses études. Partout, on s'arrache les ingénieurs et en septembre 1844, à 25 ans, Alphonse fait son entrée dans la grande compagnie des Salines de l'Est comme Ingénieur en Chef, tout en continuant ses recherches photographiques.

Il va très vite se faire une certaine réputation dans ce domaine. Il a 27 ans quand une société savante de la cour de Russie lui propose une situation qui représente, pour l'époque, une vraie fortune : celle de photographe officiel. Mais il doit quitter la France, famille et amis, alors il refuse.

 

 

 

Le début d'une longue séries de découvertes et récompenses

 

 

 

 

 

Dans l'année 1847, il découvre un procédé destiné à économiser du combustible lors de l'extraction des sels de potasse et met au point une composition chimique qui donne plus de solidité au verre des bouteilles de Champagne.

 

Cette même année, il reçoit son premier prix d'encouragement pour ses travaux sur la gravure de l'image daguerrienne. Il invente un procédé qui permet d'obtenir une planche gravée en relief directement utilisable par la presse typographique.

En septembre 1848, il publie son premier traité sur la gravure photochimique et imprime un certain nombre de planches typographiques.
En juin 1849, il est muté dans les Salines de Gouhemans, en Haute-Saône. Il fait de ce village de nombreuses photos en s'attachant à montrer la vie paysanne de l'époque mais aussi les sites industriels et son usine.

C'est à cette époque qu'il met au point deux découvertes importantes.

 

La première qu'il va appeler le « mégascoppe » consiste en un moyen d'agrandir les images, soit directement sur les plaques, soit sur des « positifs ». Les tirages ne s'effectuaient alors que par contact.

 

La seconde est « l'hélioplastie » qui ouvre une voie nouvelle à l'imprimerie en permettant la reproduction directe des photos sans passer par des planches taillées au burin ou à l'acide. C'est sous ce nom général qu'il classe plusieurs de ses inventions : la phototypographie, l'héliogravure, la photoglyptie : impression obtenue avec de l'encre gélatineuse colorée, la photolithographie (procédé utilisé jusqu'en 1950 pour éditer les cartes postales), la chromophotographie.

A cela, il faut ajouter de nombreux travaux sur les encres d'imprimerie.

 

Dans l'année 1855, il met au point la « photo inaltérable » baptisée du fait de ses composants « photo au charbon ». C'est en travaillant sur les tirages au charbon en couleur qu'il crée le fameux « bleu » des billets de banque qui reste durant plus de 60 ans le seul moyen de déjouer les astuces des faussaires.

En 1856, à l'Exposition Universelle à Paris, il reçoit une mention honorable pour ses recherches.

 

 

Notoriété, mauvaises affaires, caractère acariâtre et diapositives

 

 

 

Auto-portrait - 1864

 

 

Pensant pouvoir vivre de la photographie, il prend le 3 avril 1856 un brevet d'imprimeur lithographe, s'associe avec un nommé Dauphin et donne naissance à la « Société Poitevin-Dauphin & Cie » ayant pour but l'exploitation du brevet et celle du procédé de photolithographie avec parallèlement le montage d'une succursale aux Etats-Unis.

Ces beaux projets vont échouer. Trois mois plus tard, la société qui perd de l'argent est dissoute.

 

Néanmoins, la notoriété d'Alphonse progresse. Le ministre des Finances de l'époque, Pierre Magne, grand collectionneur et amateur d'art éclairé, lui propose une belle affaire : photographier toute une galerie de tableaux puis d'en tirer des photolithographies. Peu accoutumé aux usages et à ce genre de fréquentations, Poitevin demande une somme exagérée. Le ministre croyant à un malentendu essaie de négocier. D'un caractère peut flexible, Poitevin s'emporte, se croit accusé de mercantilisme et claque la porte.

Les ennuis n'arrivant en général jamais seuls, les créanciers obligent Alphonse à vendre son fonds de la rue Saint-Jacques pour une somme dérisoire. Ses successeurs vont ainsi acquérir tout son matériel, ses procédés, ses recettes, seulement contraints de porter sur les photolithographies la mention « Procédé Alphonse Poitevin », décision qu'ils ne respecteront pas ou très peu.

Face à cette mauvaise foi, Poitevin engagera un procès qu'il finira par gagner.

 

Fin 1859, il décrit le moyen d'obtenir directement des épreuves positives par transparence : il vient d'inventer la diapositive.

 

Après ses échecs commerciaux, il reprend du service comme ingénieur chimiste aux usines Marius Perret à Lyon. Il n'en continue pas moins ses recherches et met au point, entre autres, des procédés de reproduction photographiques sur l'émail, la faïence ou le cristal en réalisant sur l'émail des portraits de famille, d'amis, de relations. Parallèlement, il entretient une abondante correspondance avec de nombreux savants et chercheurs : Nadar, Antoine Balard, Louis Alphonse Davanne, Edmond Becquerel...

En 1862, il est médaillé à l'Exposition Universelle de Londres.

 

 

 

Mariage, inventions et maire

 

 

 

 

 

 

Le 1er juin 1865, il se marie avec Sophie Péquenot, une jeune fille de Franche-Comté, mariage heureux mais dicté par des contraintes sociales. En effet, la place de Directeur de l'Usine des Produits Chimiques à Chauny en Picardie, à laquelle il postulait, ne pouvait lui être accordée que s'il était marié. Avec Sophie, il eut quatre enfants dont un hors mariage deux ans auparavant : Paul-Louis-Léon, Marie Louise-Alphonsine, Marie-Françoise-Flavie et Anna-Julia-Marthe.

En 1868, la mort de sa fillette puis celle de son père le plongent dans un profond désespoir.

Son seul remède se lancer à corps perdu dans un travail intense.

Le 1er mars 1869, il entre aux mines de Théboul en Algérie. L'éloignement des siens malgré un courrier quotidien avec sa femme et ses malheurs passés rendent son caractère plus difficile encore. Le 18 février 1870, suite à une discussion futile, il démissionne et rentre en France.

La guerre approchant, les habitants de Conflans-sur-Anille fiers d'abriter un savant et un homme de valeur l'élisent comme maire. Il est aux commandes du village lors de l'invasion prussienne. Par chance, l'officier qui commande les régiments prussiens s'intéresse à la photographie. Il connaît et apprécie les travaux et le talent de Poitevin.

Grâce à cette coïncidence beaucoup de problèmes causés par la guerre seront aplanis.

C'est au calme de son jardin entouré de sa famille que Poitevin va trouver le temps de se consacrer à mettre à jour ses nouveaux procédés.

 

 

 

Le savant honoré

 

 

 

Napoléon III - technique au charbon signée Alphonse Poitevin 1861

 

 

 

En 1878, Poitevin à l'apogée de sa gloire reçoit à l'Exposition Universelle la plus haute distinction : le Grand Prix.

Savants autrichiens, anglais et russes le proclament « Collaborateur Universel ».

Le professeur Hebbing dans un article du « British Journal of Photography » écrit : « je suis fâché d'attirer l'attention du monde sur la manière dont la France récompense ses plus grands hommes et celui qui a doté son pays d'inventions qui font vivre des milliers d'hommes, celui-là, soit dédain inexcusable, soit fâcheuse ignorance, ses compatriotes le laissent végéter dans une petite bourgade, cependant que toutes les nations civilisées s'unissent pour célébrer le nom de Poitevin. »

En effet toute l'Europe savante salue celui que les sarthois appellent péjorativement le « sorcier de Conflans ».  Il reçoit, le 23 juillet 1880, le Prix du Marquis d'Argenteuil pour couronner tous ses travaux et recherches. La même année, il est nommé Président du Syndicat Français de la Photographie.

 

 

Un homme atteint

 

 

 

Photo Poitevin étude nature 1856

 

Poitevin n'en reste pas moins atteint et frappé d'une grande tristesse morale qui le consume petit à petit. Il a découvert et ouvert de multiples voies, doté la science d'éléments que d'autres moins géniaux mais plus affairistes ont pillé sans vergogne, mis au point et industrialisé sans retenue à leur seul profit.

Poitevin, sans regretter ce don de lui-même, souffre de cette situation et sent combien il est exploité.

Le 4 mars 1882, à 63 ans, il décède d'une hémorragie cérébrale. Son corps repose dans le petit cimetière de Conflans-sur-Anille.

 

 

L'homme oublié

 

 

 

Tribunal de Saint-Calais - Le buste de Poitevin

 

 

« Nul n'est prophète en son pays », c'est bien connu et ce dicton s'adapte parfaitement à ce grand ingénieur, inventeur prolifique. Les habitants de Saint-Calais qui l'avaient élu comme maire n'ont vu que l'homme désillusionné, fatigué. Trop près d'eux, l'ensemble de son œuvre, immense, leur a échappé. Ils n'ont connu que les petits côtés et les anecdotes de sa vie. N'ayant pas fait fortune, ils ont considéré qu'il n'était pas « pratique »

 

Néanmoins, au niveau de la commune, des pourparlers furent engagés pour élever un monument à sa mémoire. La ville de Saint-Calais promit des aménagements, un square, des fleurs mais les délibérations et délires municipaux n'aboutirent, après maints avatars, qu'à un simple buste en bronze inauguré en 1883.

Une fête fut organisée avec un banquet. M. Ballu, Inspecteur des Beaux Arts, préconisa la création d'un musée Poitevin. L'idée était excellente mais n'eut aucune suite.

Au cours de la nuit le buste fut lapidé au point qu'il fallut le remarteler et la stèle couverte d'insultes. On en voulait au « sorcier de Conflans ».

Quant au buste de bronze, il disparut, victime de la cupidité et de la bêtise des hommes. Il est maintenant de pierre, au même endroit, devant le tribunal.

 

 

 

Bonne semaine à toutes et tous !

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #personnages

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Magnifique découverte grâce à mon ami Lionel Fortier, Calaisien de naissance et demandeur de détails sur Alphonse Poitevin. Il a été servi. Merci infiniment.
Répondre