LA DYNASTIE GOURDIN

Publié le 6 Mars 2023

 

 

C'est en visitant la petite église romane de Saint-Aubin-le-Dépeint du 12ème siècle où un ami artiste restaure les peintures murales datant du 15ème siècle que j'ai découvert le nom de « Gourdin » sur le mécanisme de l'horloge du clocher exposé dans une travée de l'édifice.

La municipalité l'avait fait démonter quelque temps plus tôt pour le remplacer par un système électronique automatique.

 

La dynastie Gourdin naît au début du 18ème siècle à Verneil-le-Chétif dans les Vaux-du-Loir.

C'est dans cette petite bourgade que vit le couple Jean Gourdin et Marie Pétel. De cette union naît d'abord Marin puis Jean qui ouvre les yeux à Mayet. Il va être à l'origine de la future activité qui va rendre illustre le nom de Gourdin.

 

 

Le mécanisme Gourdin de l'église de Saint-Aubin-le-Dépeint

 

 

 

La notoriété Gourdin

 

 

Veuf d'une première union, Jean Gourdin épouse en 1774 Françoise Corbin. Selon l'état-civil, il est qualifié tour à tour d'armurier en 1769 et 1780 puis de serrurier en 1767 et 1787 à Verneil. Curieux, imaginatif, précis, il est doué de grandes qualités pour tout ce qui concerne les mécanismes.

Le couple Gourdin-Corbin donne la vie à six enfants, dont un garçon, Julien, qui naît le 18 juin 1787 à Verneil-le-Chétif.

Les fées des talents paternels se sont sans aucun doute penchées sur le berceau du garçon qui va hériter des aptitudes remarquables de son père. Il apprend beaucoup auprès de lui, puis part effectuer un « Tour de France » comme il est d'usage à cette époque.

Il acquiert des connaissances particulières outre celles concernant le métier dont il est issu. Sa curiosité le fait quitter petit à petit la serrurerie pour la mécanique et en particulier pour la construction de machines à filer.

 

Le voyage initiatique terminé, il revient à Verneil, se marie le 17 mai 1813 à Château-du- Loir avec Marie Catherine Goubard. Un fils, Jules, naît en 1814.

Il se lance alors, à Mayet, dans l'horlogerie, la réalisation de pièces détachées, l'exploitation d'une boutique où il expose ses créations et... des bijoux.

 

Parallèlement, il s'intéresse à la confection d'instruments de physique qui va lui permettre de créer à Mayet une fabrique d'appareils de précision.

Nous sommes à l'époque des grandes opérations cadastrales ordonnées par l'Empereur dans toute la France. Julien conçoit et commercialise des quantités importantes de matériel d'arpentage pour les géomètres.

La Restauration au pouvoir suspend les travaux entrepris mais Julien n'est pas homme à se décourager. Il revient à la mécanique et de 1815 à 1827, il imagine, crée et vend des tournebroches à poids ou mécaniques que s'arrachent châtelains, bourgeois ou curés en Sarthe et dans les département limitrophes.

Très actif, il met en place dans ses ateliers des machines de tournage, imagine des engrenages, des pignons, des fourneaux à fondre le cuivre. Il trace des plans, exécute des modèles en bois et commence la réparation d'horloges à Verneil, Requeil, Guécélard ou Fillé.

Dorénavant, il ne va s'occuper que d'horlogerie.

 

En 1827, à la demande de Monsieur de Montesquiou, pour son château de Courtanvaux, il conçoit de toutes pièces une nouvelle horloge en échange de l'ancienne. La même année, pour la cathédrale Saint-Julien du Mans, il refait le mouvement à neuf et le repose.

 

 

 

Horloge Gourdin lycée Descartes à Tours

 

 

 

Gourdin se prépare à entrer dans l'ère industrielle de la fin du 19ème siècle

 

 

Sa notoriété nationale s'installe en 1832 dans une étude présentée dans un rapport du Comité des Arts Mécaniques dans lequel on peut lire : « M. Gourdin a eu pour objet d'apporter quelques utiles modifications aux mécanisme des horloges de clocher et de château...au lieu de faire sonner un seul coup pour les demies, M. Gourdin met en jeu deux marteaux, dont chacun frappe sur un timbre particulier... M. Gourdin a imaginé de tirer parti du poids moteur de la sonnerie pour monter le poids moteur du mouvement...»

 

A l'exposition du Mans en 1836, Julien présente deux horloges d'établissements publics, un régulateur de salon, des tournebroches à mécanisme, et une pompe à incendie d'une grande simplicité.

La cité mancelle acquiert une grande horloge afin de l'installer sur le mur de la Halle aux Blés achevée depuis 1828.

Si de nombreuses communes sarthoises s'équipent d'horloges Gourdin telles Chenu sur la façade de la mairie, Moncé-en-Belin, Laigné-en-Belin, Louplande ou Fay, très vite la notoriété de l'entreprise va dépasser les limites départementales. Dès 1840, de grosses horloges en fonte douce et en cuivre sont livrées dans la Mayenne, la Creuse, les Charentes, l'Eure-et-Loir, le Maine-et-Loire, le Loiret...

A Saint-Loup en Mayenne, l'horloge se remonte seule, trois par jour au moment où on sonne la cloche. Une autre « à quarts doubles », va orner le clocher de Quimper.

Pour remédier à l'absence de lecture à la nuit tombante, Gourdin imagine le cadran laissant passer la lumière.

 

Symbole de la notoriété grandissante de l'entreprise, Ernest-Sylvain Bollée, fondeur de cloches en Lorraine et ancêtre des Amédée « père et fils » et de Léon vient faire un « stage » de plusieurs mois dans l'entreprise de Mayet dont il dira que « ce fut une véritable aubaine de travailler auprès d'un tel maître ». On connaît la suite.

 

Parallèlement, les récompenses pleuvent en France et à l'étranger pour diverses horloges dont l'une, dite à répétition, possède un module compensateur avec toutes ses pièces en cuivre ou en acier poli : médaille d'or à Laval en 1852 et Angers en 1853, médaille de première classe à l'Exposition Universelle de Paris en 1855, médaille de bronze à Londres en 1851 pour une belle horloge de luxe où l'on peut lire sur le rapport du rédacteur de la manifestation : « la magnifique horloge de Monsieur Gourdin de Mayet, attirait l'attention des amateurs de belle horlogerie, non seulement par l'exécution très soignée de toutes ses parties, par la perfection de ses engrenages, roues de bronze, pignons d'acier, mais aussi par une disposition spéciale de son échappement. »

 

 

 

Horloge Gourdin au château de Courtanvaux

 

 

 

Une relève assurée

 

 

Julien Gourdin, inventeur de génie, travailleur acharné, perfectionniste, va diriger avec brio ses affaires pratiquement jusqu'à son décès le 30 octobre 1856 à l'âge de 69 ans.

Son fils, Jules, qui collabore déjà dans l'entreprise, lui succède. Il est aussi un excellent mécanicien et une médaille vient couronner l'année 1857 pour une grosse horloge de luxe, à force constante et à quarts double qui actionne une cloche de 5000 kg.

L'agglomération mancelle reste un client important et l'entreprise assure en permanence l'entretien de la sonnerie de l'horloge de la cathédrale.

Ainsi tout au long de cette fin de 19ème siècle, Jules (1814-1892) puis Auguste (1837-1902), respectivement fils et petit-fils de Julien, le créateur, assurent le fonctionnement de l'entreprise.

 

 

 

 

 

 

En 1871, Auguste qui a pris la direction des affaires modernise l'usine. Il installe une machine à vapeur afin d'actionner les quelques 30 machines-outils. La production annuelle était alors de 35 à 40 horloges publiques.

En 1880, à l'Exposition Générale Industrielle et Artistique du Mans, les Gourdin présentent un tournebroche à ressort de grande puissance, un paratonnerre, des girouettes et diverses horloges. C'est à cette époque qu'apparaissent les prémices de l'emploi de l'électricité.

En 1900, ils obtiennent une brillante médaille d'or à l'Exposition Universelle de Paris avec une horloge astronomique. Elle définit, simultanément, l'heure sur tous les fuseaux horaires. Elle indique l'heure zéro au passage de chaque méridien par l'index au milieu du globe qui fait une rotation en 24 heures. La force motrice est constituée par un poids de 350 kg dissimulé au fond de la boîte et guidé par deux rails. Le poids est emmené au sommet de l'horloge tous les huit jours à l'aide d'une manivelle. la marche du balancier battant la demi-seconde est entretenue par un échappement Graham.

 

 

 

Eglise de Fay

 

 

Dernière génération

 

 

Lucien, arrière petit-fils du créateur, en plus de la « formation maison » effectue des études à l'Ecole Horlogère de Paris.

Sous sa direction, à partir de 1902, il obtient un grand prix à Angers. Il diversifie la production avec des sonneries utilisant des cloches de 10 à 10 000 kg. Elles sonnent les heures ou les demies. Certaines se remontent une fois par jour d'autres une fois par semaine. Les cadrans évoluent entre 50 cm et deux mètres avec cinq matériaux différents. Les modèles les plus chics sont en lave de Volvic émaillée.

A cette époque, plus de 500 horloges Gourdin ont été vendues à travers la France : 155 en Sarthe dont 31 au Mans, 14 à Angers, 11 à Laval, 9 à Nantes, à Rennes, Quimper et dans des dizaines de châteaux.

Pour chacune la garantie est de dix ans et les conditions commerciales sont bien établies. Le client paie le voyage en train, les frais d'hébergement, la main-d'oeuvre, les pièces et l'huile pour les rouages. Par contre, pour l'étude des meilleures conditions d'installation, l'entreprise prend à sa charge les frais de l'employé envoyé sur place.

 

 

 

Horloge monstre Gourdin de la basilique Saint-Gervais d'Avranches dans la Manche. Le mécanisme pèse 2000 kg, mesure 4 m de long, 1,90 m de large et 2,40 m de hauteur. Les corps des rouages sont au nombre de 5, 1 pour le mouvement et 4 pour les sonneries. La sonnerie des heures se fait au moyen d'un marteau de 100 kg sur un bourdon de 6454 kg donnant la note sol. Le remontage se fait tous les jours. Outre le bourdon, l'horloge actionne 22 autres cloches.

 

 

 

La fin d'une grande époque

 

 

La première guerre mondiale va bouleverser l'entreprise. Lucien est mobilisé. L'usine cesse sa production.

Le conflit terminé, les affaires reprennent mais l'activité commerciale diminue. Les communes, les collectivités, les paroisses, les propriétaires de châteaux engagent moins de finances pour la mise en place de mécanismes horlogers. La grande période d'achats de nouvelles horloges et la réfection de certaines, tant pour les églises que les administrations semble révolue.

Ainsi en 1924, l'Annuaire Pratique du Mans et de la Sarthe publie une dernière fois une publicité « Gourdin-fils-horloges monumentales... ».

1932 sonne le glas de l'entreprise. Le 9 juillet de cette même année la société Lussault frères, installée à Tiffauges en Vendée, spécialisée dans le domaine horloger, rachète l'entreprise Gourdin.

Une page d'histoire du patrimoine local et industriel se tourne. C'est la fin d'une grande époque et de la dysnastie Gourdin.

 

 

 

Bonne et agréable semaine !

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #personnages

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