L'ERMITIERE D'AMBILLOU

Publié le 10 Mars 2024

Croquis aquarellé de la chapelle de l'Ermitière à Ambillou

 

 

Voilà un billet un peu étrange. Il nous emmène dans dans ce vaste territoire d'Ambillou, non loin de Château-la-Vallière couvert de bois, de bruyères et de landes qui s'étend jusqu'à Cléré-les-Pins connu jadis pour être un pays de « loups et de brigands ».

Pourtant les usagers de la forêt n'étaient que des charbonniers produisant du charbon de bois, des sabotiers, des feuillards et autres coupeurs de bruyères pour couvrir hangars et « chaumines ».

On y trouvait en surface du minerai de fer qui était acheminé à dos de mulets vers les fourneaux des forges de Château-la-Vallière.

D'après les textes, Ambillou (Parochia Ambilloo) porte ce nom depuis le 13ème siècle. Ce serait celui d'une famille dont le fief relevait du château de La Flèche.

Le territoire communal est traversé par le ruisseau du Braineau qui coule dans une vallée encaissée avant de grossir la Bresme. C'est le pays aux nombreux étangs aux noms de Braineau, Radoire, Givry, les Souches... C'est l'une des caractéristiques de ce pays de landes où la mise en culture n'est arrivée que fort tard, vers 1850 et sur environ 30% du territoire seulement.

 

 

Chaumine

 

 

L'Ermitière

 

Dans le bois, une petite chapelle s'élève dans un site sauvage. Des chênes étirent leurs branches moussues au-dessus d'une eau noircie où, depuis des ans, poussent des joncs et tombent des feuilles.

Le silence semble régner en maître absolu dans ces lieux perdus et ignorés car même si le vent agite les sommets des futaies avec un bruit pareil à l'océan en furie, dans la forêt d'Ambillou, un seul endroit reste calme.

C'est un asile contre la tempête, un lieu sacré que les démons de l'air ne parviennent pas perturber ; ici c'est l'Ermitière.

Là, depuis de longs jours, une recluse volontaire, Jeanne de Maillé, vit loin du monde. De très illustre famille, elle a quitté les honneurs et la fortune. Se consacrant à Dieu, elle a fui tout ce qui peut la rattacher à la vie ordinaire.

 

 

Château des Roches-Saint-Quentin, lieu de naissance de Jeanne-Marie de Maillé et résidence d'été de Charles VII et Agnès Sorel

 

 

Jeanne-Marie de Maillé

 

Le 14 avril 1331, au château des Roches-Saint-Quentin, sur les rives de l'Indrois, naissait Jeanne-Marie de Maillé, quatrième de six enfants, fille de Hardouin VI de Maillé, seigneur de Milly et Champchevrier et de Jeanne de Montbazon apparentée à la famille royale de France.

Très tôt orpheline, elle est élevée par son grand-père maternel, Barthélémy de Montbazon qui lui fait épouser en 1347 le jeune Robert de Sillé, seigneur de Sillé-le-Guillaume en la chapelle du château de Maillé (aujourd'hui celui de Luynes).

Les jours d'épreuves vont alors pleuvoir. Avec son mari, elle va subir les contrecoups de la guerre de Cent Ans. Robert, blessé à la bataille de Poitiers où Jean le Bon est fait prisonnier, il se réfugie dans son château où les anglais du Prince Noir le surprennent. Sillé est pillé, les gardes massacrés. Robert est fait prisonnier. Libéré après paiement d'une rançon, il est obligé à vendre une partie de ses domaines. Sans doute épuisé, il meurt en 1362. Il a tout juste 30 ans.

Peu de temps après le décès de son époux, Jeanne-Marie est chassée de Sillé par son beau-frère. Elle se retire alors près de sa famille qui la voit d'un mauvais œil, car elle refuse de se remarier.

Jeanne veuve, va s'enfermer à Maillé. Dans l'église paroissiale, elle prie Saint Yves qu'elle a en particulière dévotion. Une nuit, elle le voit revêtue de sa robe du tiers ordre franciscain. Sans doute, une indication ?

C'est lui, en tout cas, qui la guide vers le tombeau de Saint-Martin, auprès duquel elle se loge, « Si tu veux abandonner le monde, tu goutteras dès ici-bas les joies du ciel ».

Dans la collégiale, elle a des visions. On dit qu'elle a fait des miracles auprès des lépreux qu'elle soigne. Alors, le peuple accourt pour la connaître.

Jeanne comprend alors que sa vocation est ailleurs.

Elle revêt l'habit de tertiaire de Saint François d'Assise et, ainsi vêtue en « Ermitière » se dirige vers l'abbaye de Beaumont-les-Tours. Mais il lui faut aller plus loin dans le renoncement.

A une date inconnue, elle prononça le vœu de chasteté devant l'archevêque de Tours, Simon Renou et décida d'embrasser la pauvreté évangélique. Au grand dépit des siens, elle fit don de son château des Roches-Saint-Quentin à la Chartreuse-du-Liget et distribua sa fortune aux pauvres et aux églises.

Elle choisit alors sa retraite, dans les bois d'Ambillou-Champchevrier : la petite chapelle Notre-Dame-de-la-Planche-de-Vaux (ou de veau) car la statue miraculeuse qui s'y trouve aurait été naguère découverte par un bœuf grattant le sol avec ses cornes.

 

Sculpture de Jeanne-Marie de Maillé

 

Avant de quitter Tours, elle avait fait préparer une statue de la Vierge. « Elle en plaça une, nous dit son confesseur, au choeur des chanoines de Saint-Martin. Une autre fut porter humblement, par un bon chrétien à la chapelle. Le porteur et elle-même marchaient pieds nus, sans rien apercevoir des fondrières pleines d'eau et des buissons épineux ; ils passaient doucement comme un navire glissant sur la mer ; on aurait dit qu'ils planaient plus qu'ils ne marchaient. Les braves gens qui la voyaient passer en ce curieux costume la montraient du doigt en l'appelant l'Ermitière. »

 

Auprès de la chapelle, reconstruite de ses mains, Jeanne vécut en ermite, de pain, d'orge, de poires sauvages et buvant l'eau d'un puits sur la margelle duquel elle s'asseyait quand le soleil se montrait.

En souvenir d'une modeste plante, connue dans le pays sous le nom de « sceau de la vierge », qu'elle changea miraculeusement en pain, les pèlerins qui viennent à la chapelle de l'Ermitière cueillent des fleurs aux alentours et les déposent avec un morceau de pain dans l'embrasure de la fenêtre ogivale, puis vont au puits prendre de l'eau aux vertus guérissantes.

Les habitants d'Ambillou et des autres villages, se rendent en procession, chaque Vendredi Saint à la chapelle et au puits et viennent prier devant la « Vraie Croix* ».

 

 

 

 

Cette tradition remonte à une légende qui raconte que par un beau soleil, Jeanne de Maillé regarda la terre qu'elle avait semée et plantée et vit sortir du sol des plantes et des fleurs dans l'Enclos de l'Ermitière.

Ces fleurs sont pour Notre-Dame Marie, se répétait Jeanne, et une à une elle les cueillit et les réunit en un bouquet sauf trois d'entre elles qu'elle laissa au sol.

La gerbe était faite, quand la recluse vit devant elle un chevalier tout armé et qui, ayant attaché son cheval au tronc d'un arbre, dit d'une voix lente et presque balbutiante :

« J'ai faim et soif ; bonne dame ayez pitié !

Jeanne regarda le chevalier et reconnut, sans se troubler, l'un de ceux qui jadis l'avaient demandée pour épouse.

« Je suis Guy de Chantereine, dit le chevalier.

« Je suis la recluse de l'Ermitière, dit Jeanne en couvrant son visage d'un léger voile.

Le cavalier qui n'a point reconnu la haute dame de jadis continua :

« Affamé et assoiffé, donnez-moi du pain et du vin.

« Du vin je n'en ai point ; allez plutôt à la fontaine toute proche vous désaltérer, seigneur.

« Du pain ?

« Je n'en ai plus ; mais acceptez les trois fleurs encore vivantes au sol de mon jardin : c'est tout mon avoir terrestre.

« Merci, dit le chevalier ; je vais boire à votre fontaine et prendre avec moi les fleurs que vous venez de m'offrir.

Alors le beau cavalier se mit en selle, et, dit le conte, les trois fleurs devinrent trois petits pains bien frais..., et pour le seigneur errant, l'eau qu'il but ensuite à la fontaine lui sembla du vin délicieux.

Plus tard, Guy de Chantereine, de retour sur ses terres, narra la nouvelle aux gens de son pays, et depuis, nombreux furent ceux qui s'en allèrent vers l'Ermitière quérir force et santé.

 

 

Dans les bois d'Ambillou

 

 

 

Rôle politique et ordre des franciscains

 

Une date est certaine, Jeanne quitta sa retraite après vingt-trois ans en septembre 1386 pour venir fêter la Saint-Michel à Tours en l'église Notre-Dame-La-Riche. C'est à ce moment que le père Martin de Boisgaultier, son confesseur puis plus tard son biographe, vint la chercher pour la conduire à son couvent des Cordeliers.

Désormais, elle vécut en recluse, à la porte du monastère, dans une cellule fermée à tout visiteur. Elle n'en sortit que deux fois, pour aller à Angers et à Paris.

En Anjou, elle rencontra Yolande d'Aragon, « reine des quatre royaumes », future belle-mère du roi Charles VII et protectrice de Jeanne d'Arc.

A Paris, elle est reçue par Isabeau de Bavière et le roi Charles VI, le fol. Jeanne avait l'ambition d'atténuer les malheurs de la France, en imposant le culte de la Vraie Croix, à double traverse, dite aussi croix d'Anjou-Lorraine, qui au moment de la seconde guerre mondiale servira d'emblème à la France libre.

 

Quel rôle politique Jeanne de Maillé joua-t-elle auprès de la noblesse et des hauts dignitaires de l'époque ? On ne sait précisément ; mais elle prédit le siège d'Orléans et la victoire de la Pucelle sur les anglais.

Son influence fut certainement plus grande que celle qu'on lui attribue. Quoiqu'il en soit, après 1386, les aspects spécifiquement franciscains de la piété de Jeanne-Marie s'accentuent nettement. Des témoins lors d'une enquête après sa mort renforcèrent l'impression que la recluse de Tours a dû jouer un certain rôle dans la diffusion du mouvement réformateur au sein de l'ordre franciscain.

 

 

 

 

 

 

Un souvenir toujours présent

 

Elle meurt à l'âge de quatre-vingt-deux ans, peu avant les Rameaux, le 28 mars 1414.

Selon son désir, elle fut inhumée aux côté de son père, dans la chapelle du couvent des Cordeliers à Tours, (totalement détruit en 1868), qui se trouvait rue de la Scellerie, à l'emplacement de l'actuel théâtre municipal.

Son tombeau fut profané par les Protestants en 1562, lors des guerres de Religion.

Lorsque l'on creusa les fondations du bâtiment, les ouvriers pensèrent avoir retrouver son corps. Ce fut alors le départ d'une nouvelle flambée de dévotion.

Jeanne sera proclamée bienheureuse au lendemain de la guerre de 1870 et son culte immémorial approuvé par le pape Pie IX, en 1871.

 

 

Eglise Saint-Laud

 

 

A Angers, dans l'église Saint-Laud on avait conservé une relique de la Vraie Croix sur laquelle Louis XI faisait jurer ses ennemis pour connaître leur bonne foi. Une chapelle lui fut dédiée, aux frais du comte de Maillé, sénateur du Maine-et-Loire. On y voyait retracée l'histoire de Jeanne, dans la pierre, le bronze et le vitrail. En mai 1944, des bombardements provoquant 28 morts et l'écroulement des voutes firent disparaître l'hommage.

 

 

 

 

Chaque année les pèlerins continuent à venir rendre hommage à la « Bonne Ermitière ». Ainsi, le seul moyen pour évoquer son souvenir est d'aller en forêt d'Ambillou où à la manière de François d'Assise, Jeanne-Marie de Maillé servit, détachée du monde.

 

 

 

Bonne semaine !

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #personnages

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