CHEVRIER, LE FLAGEOLET MAGIQUE

Publié le 15 Octobre 2023

 

Haricots, flageolets et poireaux au potager de Saint Jean

 

 

 

Cette année au potager de Saint Jean, j'ai semé des flageolets.

Quelle banalité, allez-vous me dire ! Certes !

Sauf qu'il ne s'agit pas de n'importe quel haricot mais du « Chevrier » dont l'histoire, sans ressembler à un conte de fée comme peut le laisser penser le titre de l'article, n'est pas anodine et mérite d'être racontée.

Haricot que l'on dégustait à l'époque dans les restaurants de l'endroit, arrosé d'un verre de « Ginglet*» le vin du cru, rarissime, aigre-doux et optimiste disait-on...

 

Découverte et hasard

 

La culture du haricot sec ordinaire, vulgaire « fayot », dans cette région d'Ile-de-France a, de tout temps, tenu une très grande place et remonte au 17ème siècle. A cette époque, le haricot Chevrier n'existait pas encore, et les parisiens raffolaient des fèves et haricots blancs.

Il y a quelque 150 ans dans la petite ferme du Mesnil à Brétigny-sur-Orge, proche d'Arpajon un paysan cultivait ses champs sur lesquels il faisait pousser des haricots blancs mais aussi du blé et des pommes de terre avec l'aide de sa femme et de sa fille alors âgée de 15 ans.

Il s'appelait Gabriel Chevrier.

 

 

Gabriel Chevrier

 

 

Dans sa modeste exploitation, la culture des haricots tient une place importante, ceux-ci étant destinés au marché parisien.

En 1872, la récolte de Gabriel Chevrier s'annonce sous de mauvais auspices en raison d'un printemps à la météo humide et capricieuse et d'un début d'automne aux températures quasi hivernales.

Craignant le gel, le cultivateur décide alors de sortir de terre tous ses plants pour aller les suspendre dans sa grange afin qu'ils sèchent et continuent de maturer.

 

Quelques semaines plus tard, avec une certaine angoisse, il est allé ouvrir les premières gousses de cette récolte tout à fait particulière.

Quelle ne fut pas sa surprise de constater que les graines n'avaient pas blanchi mais étaient restées d'un vert magnifique. Il décide toutefois de les faire cuire et d'en manger en famille.

Très satisfait à la fois par la cuisson, il s'avère que le goût est plus fin et l'aspect plus moelleux.

Il se résout à poursuivre l'expérience en perfectionnant chaque année peu à peu sa technique.

Il s'est ainsi aperçu que séchées à l'ombre, les graines conservaient leurs facultés germinatives et que celles semées l'année suivante donnaient de bons haricots que le « père Chevrier », comme on l'appelait à Brétigny, se mit à vendre comme variété nouvelle au prix de « un sou » la graine sélectionnée.

Tout le monde en voulait, raconte-t-on.

 

Une grande société de graines voulut en acheter « la propriété » mais le père Chevrier n'a pas voulu vendre. Il est allé à Paris déclarer sa découverte et six ans après celle-ci, la Société Nationale d'Horticulture de France, autorisait le cultivateur a donner son nom à cette nouvelle variété de haricot.

C'est ainsi qu'il est devenu le « flageolet vert Chevrier », nom commun pour désigner cette variété de haricot.

 

 

 

 

Le Chevrier, un haricot de luxe

 

Malgré ses nombreuses récompenses et médailles, sa découverte n'a pas fait de Gabriel un homme fortuné. En l'absence de brevets, de nombreux agriculteurs se sont alors emparés de sa technique pour avoir, à leur tour, des flageolets verts.

Gabriel Chevrier décède le 7 novembre 1895 à 71 ans après une vie de labeur.

Le « Chevrier », lui, a fait son chemin et la fortune de la région.

En 1922 est créée la « Foire aux Haricots » à Arpajon*. Elle se déroule chaque année le troisième week-end de septembre sous les vieilles Halles en bois du 16ème siècle et dans les rues de la ville. D'abord manifestation agricole, elle prospère et gagne ses galons de foire régionale en 1938. Au sortir de la seconde guerre mondiale elle va connaître un nouvel essor et sa renommée repose de plus en plus sur son concours gastronomique. Elle attire des foules considérables. En 1968, on compte 300 000 visiteurs et en 1970, la foire aux haricots accède au rang de Foire Nationale.

 

 

Brétigny, stèle en mémoire à Gabriel Chevrier

 

 

Quasiment 40 ans après la disparition de Gabriel, les cultivateurs, propriétaires de quelque 7 000 ha semés de haricots Chevrier se cotisèrent pour rendre hommage à celui qui fit leur fortune en lui érigeant une stèle en haut du boulevard de la République à Brétigny. Ce qui fut fait le 15 juillet 1934. C'était bien la moindre des choses. Un groupe scolaire et une rue portent également son nom à Brétigny.

 

Dans sa présentation de l'époque à la Société d'Horticulture, Gabriel Chevrier avait fait, en 1878, une description détaillée sur les pages d'un prospectus de l'usinage du Chevrier pour fabriquer ce haricot de luxe et ce n'était pas si simple.

 

Cultivé en plein champ, si la préparation de la terre se fait à l'automne, c'est en mai et juin que le semis à lieu.

La particularité du haricot Chevrier par rapport aux haricots ordinaires réside dans le mode d'arrachage et de séchage.

Les pieds sont arrachés avant que la plante ne commence à sécher, rassemblés en « moyettes » ; les grains séchés sous paille, dans des sortes de ruches appelées «tontines ». Battage, puis nettoyage, par vent, par écrasement, triage par grosseur et par couleur. Viennent ensuite le travail de finition, le lustrage puis le conditionnement.

 

 

 

 

 

Le flageolet Chevrier au goût raffiné

 

 

Le « fayot » des cantines ne jouit pas d'une bonne réputation, pour certains il est difficile à digérer et source de dérangements intestinaux.

Il peut être un bon allié pour éviter les anémies. C'est un féculent qui reste modéré en termes de calories, comparativement à d'autres aliments faisant partie des féculents.

Avec son goût raffiné et sa saveur plus marquée que les flageolets ordinaires, le Chevrier peut être délicieusement mis en valeur dans un navarin de mouton ou encore un gigot d'agneau. On peut aussi l'associer à une viande blanche et le consommer froid en salade.

Comme la plupart des légumineuses, le flageolet est une excellente source de protéines végétales, de fer et de fibres alimentaires.

 

 

Navarin aux flageolets Chevrier

 

 

Au potager Saint Jean

 

 

J'ai arraché mes flageolets le 8 septembre par une journée ensoleillée (2 jours plus tard nous recevions 40 mm de pluie) et je les ai accrochés aux poutres du hangar pour séchage.

Les 9 et 10 octobre, j'ai écossé les gousses bien sèches. Le résultat est assez sympathique même si quelques flageolets n'ont pas la belle couleur vert tendre souhaitée.

Mais c'est une première et je n'avais semé qu'un petit rang. Il me faudra sans doute les mettre en terre plus tôt, sans doute début juin et mieux surveiller leur maturité au jardin.

Affaire à suivre !

 

 

Mes flageolets Chevrier. la photo ne donne pas les bonnes couleurs

 

 

* Le Ginglet désignait autrefois le vin local produit dans la vallée de l'Oise jusqu'en Ile-de- France.

Ce vin de qualité inégale et souvent aigrelet et pétillant, était parfois aussi appelé Ginglard ou Reginglard. En Picard, Haut-Normand et Ch'ti le verbe gingler signifie « sauter, folâtrer, gigoter ». A Paris et dans la vallée de la Marne on l'appelait plutôt Guinguet (d'où les guinguettes).

Sa production commerciale destinée aux débits de boissons locaux cessa avec le phylloxéra et la Grande Guerre. Quasiment disparue au milieu du 20ème siècle la culture de la vigne a repris dans les dernières décennies sous la forme d'une viticulture de loisir, pratiquée par des passionnés. Chaque année à la foire Saint Martin à Pontoise a lieu le concours du Ginglet destiné à récompenser les vignerons amateurs, producteurs locaux. Depuis les années 1930 le Ginglet est traditionnellement produit à partir du cépage « Baco » très résistant aux maladies fongiques. D'autres ont préféré planter du pinot noir et du chardonnay.

 

* Arpajon : A l'origine la ville d'Arpajon s'appelait Châtre au Moyen-Age. Place forte, elle fit parler d'elle sous Louis XI, fut assiégée à plusieurs reprises par les Anglais, subit les razzias de Condé, les pillages de Turenne...C'est seulement vers 1720 qu'un seigneur de Séverac, châtelain du pays, obtint de remplacer le nom de la ville par celui d'un de ses fiefs du Midi ; il imposa, dit-on, le changement aux habitants par la manière forte, en récompensant par une obole ceux qui adoptaient tout de suite le nouveau nom, et en punissant de coups de canne ceux qui se trompaient.


 

 


 

Bonne semaine !

 

 


 

 


 


 


 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #Potager de Saint Jean

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M
Bravo pour la récolte de flageolets Chevrier !
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Y
Merci
A
Ma moitié vendéenne connaissait la mogette, accompagnée de jambon fumé grillé. Mon autre moitié, languedocienne, vénère le mounjetto du cassoulet, celui de Castelnaudary s'il vous plaît, ou haricot tarbais, IGP s'il vous plaît bis repetita, Mais ce Chevrier-là est bien sympathique. Sa généalogie bien recensée lui donne un air famille. Et sa couleur verte, bien que difficile à reproduire je vois, un air tendre. Merci pour cette culture fouillée et appétissante.
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Y
L'an passé j'avais fait de la mogette avec succès et cette année avec la tentative Chevrier à améliorer certes, j'ai fait aussi 2 rangs de tarbais qui ont bien donné. J'adore le jardin.