LES DENTELLIERES DU JARDIN

Publié le 4 Février 2024

Les araignées n'ont pas vraiment la cote. C'est le moins qu'on puisse dire. Brrr...Elles en effraient plus d'un et leurs toiles évoquent immanquablement l'abandon ou le cauchemar.

Pourtant ces créations font partie de ces incroyables merveilles de la nature, tant par leurs aspects que par leurs compositions et leurs fonctions.

Mais si les toiles, pour les araignées qui en font, sont bâties sur les mêmes principes, il existe bel et bien des différences de dessin, de taille et de structure.

Dotées de huit pattes poilues, on les prend souvent, pour des insectes. Erreur ! Elles font partie de la famille des arachnides au même titre que les scorpions et des acariens. On compte près de 50000 espèces d'araignées dans le monde. Elles ont traversé les ères et côtoyaient déjà les dinosaures il y a 240 millions d'années.

Tisserandes de génie, au jardin, entre les piquets de tomates et les branches du pêcher, elles tissent de véritables enchevêtrements de fils de soie qu'il est plus aisé d'admirer quand la rosée du matin forme de véritables parures aux perles argentées.

Pour construire ces dentelles, elles secrètent une soie liquide qu'elles stockent dans des glandes dites séricigènes, différentes selon le type de fil à fabriquer qui peut aller jusqu'à huit chez les épeires. Cette fine fibre sort par des filières et se solidifie rapidement.

Génie et haute technologie

Dans la campagne, au jardin, en forêt, les toiles d'araignées tendues entre les arbres, un mur, les branches ou les piquets de clôture constituent des obstacles désagréables pour le promeneur ou le jardinier.

Mais comment une araignée parvient-elle à tendre un fil entre deux points A et B parfois éloignés de plusieurs mètres ?

C'est d'une simplicité enfantine : c'est le fil qui va y aller tout seul.

L'araignée ne se déplace pas, elle se contente de laisser partir dans le vent le fin filament qu'elle secrète en continu. Il est tellement léger qu'il peut flotter dans l'air sur des distances respectables. Il peut faire plus de cinq mètres de long et passer par dessus des chemins, différents obstacles et même des rivières.

Lorsque le fil atteint un obstacle, il s'enroule sous l'effet du vent au moindre brin herbe ou à la plus petite brindille.

Il ne reste plus à l'araignée qu'à faire des allers et retours sur ce pont suspendu et de le consolider régulièrement. Notre géniale tisserande est alors prête à fabriquer dans un ordre très précis les suspentes en collant des fils aux herbes et aux branches, puis à passer à la confection des rayons, du cadre ou de la spirale,

Architecte de génie, notre petit animal est en fait une mini-usine chimique de haute technologie très élaborée qui lui permet de changer, à loisir, de qualité de fil en utilisant d'autres filières et même plusieurs à la fois à l'arrière de son abdomen. Elle peut ainsi tisser des fils simples, doubles ou multiples.

On observe ainsi différents types de toiles en fonction des espèces. Elles seront tubulaires ou en entonnoir chez les tégénaires (les grosses araignées de maison). Parmi les herbes du jardin, on peut les voir tendues à plat comme une nappe, c'est l'œuvre des lyniphides. Mais les plus remarquables sont les toiles en forme de roue des araignées dite orbitèles, comme celles des épeires.

L'araignée est infatigable. Elle recommence son tissage quasiment tous les matins, même deux fois par jour. En effet, la construction est fragile. Le frottement d'une aile d'oiseau, la chute d'une branche ou une brindille peuvent la détruire. D'autre part, une toile neuve est quasiment invisible alors qu'une plus ancienne peut être recouverte de poussière lui faisant ainsi perdre son efficacité collante.

On estime qu'il faut en moyenne une heure de travail et trente mètres de fil de soie pour bâtir une toile. Ce qui n'est pas si mal pour ce petit animal.

N'est pas « spider-man » qui veut !

Sixième sens et passion dévorante

Les araignées ont en général une très mauvaise vue, même si certaines peuvent avoir jusqu'à quatre paires d'yeux. Par contre, elles sont très sensibles aux vibrations et les toiles servent alors, à la fois de système d'avertissement et de capture.

Elles sont en fait de véritables détecteurs « high-tech » de vibrations, aussi bien de celles provenant de l'air que de celles des fils de sa toile. L'animal possède des milliers de capteurs situés sur les pattes et l'abdomen. Grâce à eux, l'araignée est capable de percevoir les moindres frémissements indétectables pour l'homme.

Si le choc est trop important, prudente, elle reste tapie dans sa retraite ou fuit tout simplement. En revanche, si la vibration correspond à une proie qui se débat, elle accourt pour s'en saisir et l'emmailloter de sa fibre soyeuse.

Parfois, les tapotements qui secouent la toile sur un rythme particulier annoncent l'approche d'un jeune amoureux. Celui-ci arrive néanmoins avec précaution car la belle est souvent féroce.

Si madame lui répond, il s'enhardit et avance sur la toile, sinon il déguerpit à toutes pattes.

Avant de tenter l'aventure, il avait pris la précaution de tisser une petite toile afin de recueillir une goutte de son liquide séminal. Il en remplit ses organes copulateurs, bulbes placés situés sur les pattes mâchoires dont le sommet arrondi donne au prétendant une allure de boxeur.

L'accouplement, s'il a lieu, et les amours étant terminés, madame, qui a souvent une petite faim, croque le pauvre don juan. Certains, plus malins, arrivent à fuir avant que la femelle ne retrouve ses esprits, d'autres la ligotent. Enfin, il y a ceux, grande classe et beaucoup plus distingués, qui offrent une mouche à leur partenaire, petit cadeau apprécié qui calme les ardeurs gloutonnes de la mégère.

« Fils de la vierge »

Une fois écloses, les petites araignées, après une période de vie commune, tentent la grande aventure en utilisant d'une manière curieuse leur soie. Elles montent au sommet d'une branche et émettent, chacune, un grand fil. Celui-ci porté par le vent ne tarde pas à emporter notre aventureuse à la manière d'un cerf volant. A l'atterrissage, les jeunettes abandonnent leurs fils en masse qui couvrent les herbes et les buissons sous le nom de « fils de la vierge ». Sans ailes, nos araignées arrivent ainsi à rivaliser avec les insectes pour coloniser de nouveaux milieux.

Recherche industrielle

Les domaines médicaux et technologiques s'intéressent à la soie de l'araignée. Dans la médecine traditionnelle chinoise, la soie est utilisée pour la cicatrisation des tissus, la kératine de la peau étant proche de la fibroïne de la soie. Des prothèses en silicone sont également enrobées avec de la soie pour une meilleure tolérance de l'organisme.

Biocompatible, biodégradable, hypoallergénique, la soie naturelle de certaines araignées n'engendrerait ni rejet, ni inflammation.

Depuis longtemps, les qualités de ce biomatériau sont dans le collimateur des industriels à la recherche de fibres et textiles techniques de haute performance.

Il faut savoir que le câble primaire de la toile d'araignée est une substance incroyable. A section égale, ce câble est deux fois plus solide que de l'acier et quatre fois plus élastique. Certains essais de tissage réalisés en laboratoire ont montré qu'un tissu réalisé en fils d'araignée est plus résistant que le Kevlar qui est une fibre synthétique utilisée notamment dans les gilets pare-balles et dans l'industrie aéronautique.

S'il y a les araignées-astronautes, envoyées dans l'espace qui ont réussi à tisser leur toile comme sur le plancher des vaches, il y a aussi les venimeuses, les cracheuses, les araignées-crabes et les araignées-loups. Pour ma part, j'en resterais à mes « dentellières du jardin » qui, à leur façon, me donnent un bon coup de main en capturant, mouches, moustiques et autres parasites.

Ah ! J'allais oublier les araignées-cinéphiles qui aiment « se faire une toile ». Bof ?

Bonne semaine !