COUTUMES, FETES ET OUBLI

Publié le 22 Octobre 2023

 

 

 

Pendant ma pause estivale, j'ai retrouvé dans mes carnets, quelques éléments de discussion avec mon vieil ami Emile. Au milieu de toutes ces notes, certaines concernaient les coutumes et fêtes populaires.

 

« Ce n'est pas tous les jours fête » dit le dicton. Pourtant, il existe une époque où tout autre jour en était : kermesses, assemblées, balades, processions, frairies*...

La diversité des terres, des cultures, des conditions atmosphériques et des intérêts contribuait à créer une grande variété de fêtes, tant dans leurs détails que dans leurs dates.

Dans les Vaux-du-Loir, comme quasiment partout ailleurs, elles avaient des connotations religieuses. Même les termes profanes se référaient aux fêtes des saints car aucune réjouissance, aucun jubilé, aucune distraction n'auraient pu avoir lieu sans une sanction surnaturelle : les cendres de la bûche de Noël ou les feux de la Saint-Jean étaient prophylactiques, détruisaient la vermine, assuraient la fécondité ; le chaume et les fougères bénis le dimanche des Rameaux préservaient du feu ou de la foudre ; le carnaval marquait le retour de la vie active après le repos forcé de l'hiver, le commencement d'une nouvelle année dans le calendrier des champs.

 

Pour Emile, c'est la guerre 1914-1918 et l'entre-deux-guerres qui ont achevé de faire tomber dans l'oubli, amorcé fin du 19ème siècle, beaucoup des anciennes coutumes populaires et fêtes calendaires de nos terroirs. Les brassages de populations, les goûts nouveaux ou du moins les intérêts portés par les populations rurales aux « choses » notamment découvertes par ces brassages : confort et plaisirs de la ville, l'automobile, le train, le cinéma, la T.S.F., les facilités de communications ou d'échanges avec en point d'orgue l'arrivée de la télévision, des nouvelles technologies et du mercantilisme à outrance ont fait disparaître petit à petit l'intérêt pour ces menues réjouissances familiales ou villageoises qui ont bercé nos ancêtres donnant à leur existence un rythme traditionnel et joyeux pour transformer, sous nos cieux, certaines fêtes en immenses et sordides gabegies commerciales.

 

Nous avions alors fait, à bâtons rompus et selon les idées qui émergeaient entre deux verres de Pineau d'Aunis, une liste de ces fêtes et coutumes dont certaines, bon an mal an, arrivent à subsister grâce à quelques associations soucieuses de conserver le patrimoine et de bénévoles souvent grisonnants.

 

 

 

 

 

Fête de Noël

 

 

Pour Emile la plus grande fête de l'année était Noël avec son message d'espérance et de réconciliation : fête du renouveau et de la renaissance bientôt sensible de la nature. Des innombrables chants et cantiques spirituels se chantaient un peu partout. Nos provinces du Maine et de l'Anjou virent naître du 15ème au 19ème siècle des quantités de recueils ou « Bibles » de ces Noëls populaires.
A cette occasion, double ration de fourrage était donnée aux animaux de la ferme qui, selon la tradition, ne dormaient pas cette nuit là, mais s'agenouillaient lors de la messe de minuit.

On apportait un picotin aux chevaux et dès la veille, on avait nettoyé écuries et étables.

A la maison, il y avait la bûche à laquelle on mettait le feu avec les brandons eux-mêmes allumés à la lampe de l'église. Selon les régions, elle devait se consumer toute la nuit, trois jours ou huit jours, pour atteindre l'année suivante voire douze jours jusqu'à la fête des Rois. Les cendres recueillies avec précaution avaient la réputation de préserver la maison du « feu du ciel » et de porter bonheur à tous ses hôtes.

Les enfants, après les prières, recevaient les cadeaux déposés devant l'âtre ; parmi ceux-ci , les cochelins, petits biscuits en pâte glacée au sucre représentant des bonhommes de neige à grosses têtes, au corps arrondi, les bras écartés.

 

 

 

 

 

Epiphanie, Carême, semaine sainte

 

 

Devenue une vaste opération commerciale, on continue à se réunir autour de la frangipane de la galette des Rois à l'Epiphanie. Les enfants pauvres, autrefois, venaient avec des chants, « quêter la part de Dieu ».

Le Jeudi gras, dernier jeudi avant le premier jour du Carême se transformait en jeudi « casse-pots ». Les jeunes garçons lançaient les vieux pots contre les portes des maisons où demeuraient des jeunes filles à marier, ou contre celles où résidaient quelques vieux couples dont on voulait se venger. Cette coutume, comme celle du charivari fit tellement de mécontents que les autorités durent la supprimer.

A la Chandeleur, on faisait des crêpes que l'on donnait aux poules pour les faire pondre.

Il y avait mascarade dans quasiment toutes les communes. Dans certaines, on promenait au son des tambours et des violons le « bœuf villé » tout décoré de rubans.

Dans d'autres, on faisait danser le « cheval bidoche* » ou « cheval jupon » rappelant de très près la danse des « chivaux frus» de Provence ou le « cheval malet » de Poitou ou Vendée.

 

 

Les échaudés

 

 

Durant tout le Carême et surtout le jour de « Pâques fleuries », on mangeait des échaudés*. Le premier dimanche qui suit le carnaval se fêtaient les Brandons. La campagne retentissait alors d'un bruit infernal ; sur les tonneaux, les casseroles, on tapait à coups de triques pour chasser rats, souris et mulots puis des jeunes gens mettaient le feu à de la paille, du foin ou de la brande au bout de perches. Ils faisaient le tour des champs en chantant : « brandonnons, brandonnez, la nielle* et les chardons. Mulot ! Mulot ! Rentre dans ton trou ! »

 

 

 

Procession des Rameaux au Mans vers 1900

 

 

Rameaux, processions et fêtes des Lances

 

 

Le dimanche des Rameaux, appelé aussi Pâques fleuries voyait se dérouler depuis le 11ème siècle une célèbre procession dans les rues du Mans entre l'abbaye Saint-Vincent et la Cathédrale. La reine Bérengère, épouse de Richard Coeur de Lion, y assista avec les chanoines de saint Pierre la Cour. Le cortège était accompagné de personnages à cheval et de 12 bourgeois d'anciennes familles appelés « Mézaigers » qui portaient le crucifix de taille naturel sur un brancard recouvert d'un voile. La cérémonie se poursuivait par une Fête des Lances, véritable Quintaine où les lanciers devaient rompre leurs lances sur un poteau, place des Halles.

En 1904, le maire du Mans, Paul Ligneul, décidait par arrêté du 10 août, la suppression de toutes les manifestations du culte mettant ainsi fin à la procession du dimanche des Rameaux après 900 ans d'existence. La raison invoquée fut les risques dus à l'attroupement de plusieurs centaines de personnes.

Une manifestation semblable avec course des Lances créée à Champagné, petite commune proche du Mans, au 15ème siècle par les moines de saint Vincent a toujours lieu dans le petit bourg de la vallée de l'Huisne et continue d'attirer les foules.

 

 

Fête des lanciers à Champagné

 

 

Ce dimanche des rameaux qui célèbre l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, les brins de buis en fleur étaient bénis par le curé. De retour à la ferme, la maîtresse des lieux brûlait ceux de l'année précédente ou les gardait pour les feux de la Saint Jean.

Elle accrochait une brindille au crucifix, au-dessus du lit et en donnait à ses commis ; les laboureurs en plantaient des branchettes dans tous les champs ensemencés, les jardins, les vergers. Les vachers, garçons et filles de ferme en accrochaient à la porte des étables, écuries, poulaillers et ruches.

Durant toute la semaine sainte, on ne devait pas faire la lessive, ni labourer car ce jour-là on n'ouvre pas la terre.

 

 

 

 

 

 

Planter le mai

 

 

C'est dans la nuit du 30 avril au 1er mai que les jeunes gens faisaient le mai aux jeunes filles en accrochant à leurs fenêtres ou au volets des rameaux d'aubépine, des fleurs ou des légumes. Selon un code connu de toutes et tous, ils déclaraient ainsi leur désir, leur indifférence ou leur mépris.

« A voici le moi de mai

Où les amoureux plantent leur mai

J'en planterai un à ma mie

Il dépassera son toit. »

 

Les trois jours précédant la fête de l'Ascension avaient lieu les Rogations, longues processions tout autour du territoire de la paroisse. Instituées par saint Mamet vers 470, elles avaient pour but de demander à Dieu un climat favorable et une protection contre les calamités. Elles étaient accompagnées d'une bénédiction de la terre, des instruments de travail et étaient censées garantir les trois principales récoltes : fenaison, moisson, vendanges.

 

 

Les rogations

 

 

Pentecôte et feux de saint Jean

 

 

A la Pentecôte l'eau bénite avait des vertus protectrices. On en aspergeait les bâtiments, les champs, les vignes. Dans certaines communes, on tressait des guirlandes de viorne*, lierre et fleurs entre les maisons. Après la messe, celles et ceux qui passaient étaient arrêtés par les guirlandes et devaient offrir, le soir, des gâteaux et du vin.

C'était aussi l'occasion d'organiser des promenades rituelles, des pèlerinages ou mettre en valeur le travail des laboureurs autour du mai planté dans la nuit du 30 avril. Chacun rivalisait de talent avec sa charrue décorée de fleurs et de rubans pour réaliser le plus beau sillon, droit, long et régulier.

 

 

Feu de saint Jean

 

 

Traditionnellement les feux de la saint Jean marquait le début de l'été le 21 juin, jour du solstice d'été qui indique la nuit la plus courte de l'année et c'est à la saint Jean qu'avait lieu la « louée des domestiques ».

Dans certaines régions chaque ferme faisait un feu, mais en règle générale ces « bûchers » présentaient un aspect collectif, grand brasier de joie que l'on devait voir le plus loin possible. Tous les gens de la commune apportaient fagots, bûches, brindilles, pailles, ronces, bois morts que l'on entassait dans la bonne humeur.

Après la « prière du feu » plusieurs personnes avaient le droit d'allumer le foyer : le curé, la personne la plus âgée, le dernier couple marié, le maire, un notable, une jeune fille ou encore un jeune homme prénommé Jean.

C'était aussi au matin de la saint Jean, avant le lever du soleil, qu'il était bon de ramasser les plantes pourvues de toutes les vertus protectrices.

 

 

 

Croquis au brou de noix

 

 

 

Les mois des grands travaux

 

 

Juillet, août septembre et même octobre sont les mois des grands travaux de la terre : la fenaison, les moissons, les battages, les vendanges. Il fallait mettre à l'abri les récoltes et profiter le plus possible de la clémence du temps.

Aussi les fêtes étaient plus rares. Les travaux devaient mobiliser toutes les énergies. C'est ainsi que de ferme en ferme les hommes et les femmes se déplaçaient dans une sorte d'entraide. On mangeait bien et on buvait sec parfois.

 

 

Chrysanthèmes sur les tombes à la Toussaint à Chenu

 

 

Toussaint et saint-Martin

 

 

Ciel bas, jours plus gris, retour du froid et des brouillards, les deux premiers jours de Novembre sont marqués par des cérémonies et des coutumes qui s'accordent avec la mélancolie et le souvenir.

La fête de la Toussaint est une solennité célébrée le 1er novembre en l'honneur de tous les saints connus et inconnus. Le 2 novembre est la fête de tous les défunts, sans distinction, héritée des moines irlandais et des traditions celtes.

Cette période marquait la fin des labours, des battages, des pâturages en plein air et des semailles. Elle était propice au règlement des fermages et même au déménagement des fermiers et métayers qui ne devaient pas laisser le feu s'éteindre lors de leur départ car trouver le feu allumé en entrant dans une maison était signe de bonheur.

On ne devait pas se livrer à des réjouissances et il valait mieux empêcher les enfants de s'amuser et de faire du bruit. Il ne fallait pas entreprendre de lessive parce que le mort est enveloppé du linceul, ni remuer la terre qui est le travail du fossoyeur, ni cuire le pain qui serait entaché d'impuretés.

Depuis le début du 20ème siècle « la marguerite des morts » (chrysanthème) s'est substitué aux bougies déposées sur les tombes. Cette magnifique plante aux couleurs chaudes et lumineuses a fini par être associée au culte des morts pour devenir, avec le temps, la plante traditionnelle de la Toussaint.

 

Quant à la Saint-Martin marquée par une température plus clémente (été de la saint-Martin) on préparait pour le festin du soir la célèbre oie de la saint-Martin.

Aujourd'hui, c'est la triste occasion de rendre hommage aux 1 500 000 morts (20% de la population masculine de France) dans les tranchées d'une effroyable boucherie que fut la « Grande Guerre » de 14-18.

 

 

Cheval jupon ou cheval Bidoche

 

 

Fin des terroirs

 

 

Il faudrait des volumes pour dire longuement toutes les fêtes, toutes les réjouissances touchantes de nos aïeux qui prenaient plaisir aux joies rustiques, simples mais saines à ces assemblées, processions, frairies, fêtes militaires, confréries bourgeoises, noces, veillées après les travaux solitaires et pénibles des champs.

Mais, comme le fait remarquer Eugen Weber dans son ouvrage « La Fin des Terroirs » (Fayard) :

«... Les causes du déclin étaient nombreuses, le déclin lui-même semblait évident. La croyance en la fonction bénéfique des cérémonies populaires s'évanouissait. Le contrôle de l'environnement par les moyens techniques s'améliorait progressivement. Les vieilles croyances perdaient du terrain face au nouvel évangile des livres d'école et de la presse bon marché. Le 14 juillet représentait le progrès et une nouvelle sorte d'espérance. Ce n'était pas que le progrès technique résolvait de nombreux problèmes du passé, ce n'était pas non plus que de nouveaux problèmes ne surgissaient pas avec lui. C'était plutôt que les hommes qui avaient été habitués à chercher des causes mystiques et des solutions magiques à leurs problèmes, apprenaient maintenant à les affronter de manière différente ou - ce qui est tout aussi important - à croire plutôt au progrès et à un avenir meilleur. La science et la technologie qui rendaient la magie inutile effaçaient également la mémoire collective qui enseignait aux gens le sens de certains rites. Les rites saisonniers subsistaient mais sans que l'on perçoive désormais leur utilité, et fortiori leur signification. Ils devenaient des jeux pour les enfants, et étaient tolérés - quand ils ne gênaient pas trop le monde des adultes - comme pure distraction.

Le fait de reléguer des coutumes sérieuses au rang de jeux d'enfants est l'une des indications les plus frappantes de ce que Max Weber a appelé le désenchantement du monde... »

 

 

 

Croquis plume encre

 

 

* Frairie : Le terme peut prendre plusieurs sens.

Sur le plan religieux, la frairie était le groupement des habitants du voisinage. C'était une subdivision de la paroisse avec son centre constitué par le village le plus important ou le plus ancien. La frairie possédait souvent son saint protecteur avec souvent des réunions, des assemblées, des pardons. 

Sur le plan laïc, en vieux français, le mot désigne la fête locale annuelle d'un village, organisée généralement sur deux ou trois jours consécutifs en été autour d'un événement particulier. Être d'une frairie ou faire frairie signifie faire la fête et bonne chère.

* Echaudé : Pâtisserie élaborée à la façon d'un biscuit très ferme, qui tire son nom de la première phase d'échaudage de sa pâte, un pochage dans l'eau chaude avant cuisson au four.

* Cheval bidoche : Animal fantastique, représenté par un cadre avec un homme dedans, une tête de cheval, une queue de cheval et autour un jupon, c'était un cheval jupon. Il pouvait être aussi fabriqué avec une échelle, des cercles de barriques, le tout porté par un ou deux hommes dissimulés sous une housse colorée.

* Viorne : La viorne ou Viburnum regroupe des arbustes au feuillage caduc ou persistants, à fleurs blanches ou rosées. Les espèces parfumées sont irrésistibles.

* Nielle : Cette plante messicole (ce terme désigne étymologiquement les plantes « habitant les moissons »), était redoutée à cause de la toxicité de ses graines noires et anguleuses. En effet, ces dernières contiennent des saponines qui sont toxiques pour les animaux (notamment le bétail et les oiseaux) comme pour l'humain (propriétés hémolytiques et paralysantes, sources de méfaits lorsque la plante se retrouve dans les farines). Mais en fait, les feuilles et la tige sont elles aussi toxiques.

 

 

 

Je vous souhaite une bonne semaine !

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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F
Excellent ce calendrier des fêtes d’autrefois! Toute une culture en passe d’être oubliée. La petite histoire qui fait la grande... Merci Yves de nous faire profiter de tes grandes connaissances patrimoniales!
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Y
Grand merci pour ce commentaire <br /> amitiés <br /> Yves