NAUTONIERS FRIANDISES ET PRASLINES

Publié le 1 Octobre 2023

Yves de Saint Jean - aquarelle

 

 

Le mot de « nautonier », (on dit aussi naute) est le terme générique qui incluait au temps de la marine de Loire les mariniers, les matelots, les propriétaires de bateaux et les négociants. Les affréteurs restant à terre, faisant tout simplement le négoce, étaient appelés les « naviculari ». Il est établi qu'une confrérie des nautes était déjà active dès l'époque romaine. Celle de la Loire qui siégeait à Orléans verra le jour beaucoup plus tard.

 

Les empereurs romains, pour gouverner puissamment s'appuyaient sur deux termes : « panem et circenses »... le pain et le cirque : subsistance et distraction.

Cependant, pour trouver toutes ces ressources, il fallait déployer d'énormes efforts.

Après la conquête et l'assimilation de la Gaule, il devint possible aux vainqueurs de profiter des immenses richesses de notre fécond territoire. Mais il fallait être ingénieux.

Ainsi naquit l'idée de rapprocher l'Océan de Rome, en utilisant nos grands fleuves gaulois, complétés par des canaux et des portages.

Remonter le Rhône, le joindre à la Loire et le tour serait joué. La relation avec la Méditerranée était une évidence puisque deux jours de chariots suffisaient pour joindre la Saône à la Loire par le seuil de Tarare qui facilitait depuis des millénaires les liaisons entre les bassins Ligérien et Rhodanien.

Ainsi fut fait et deux inscriptions romaines, dès le 4ème siècle, signalent l'existence d'une organisation régulière de nautes ligériens, réunis en une sorte de communauté. Ce collège des nautes étant allié au collège des marchands. Les uns comme les autres armaient des bateaux et échangeaient avec prospérité.

Puis vinrent les siècles d'ombre qui précédèrent l'an mille, durant lesquels on ne sait plus très bien ce qu'il advint des premiers hommes de l'eau. La Loire pourtant continuait à porter des bateaux lorsqu'un jour les populations virent apparaître les étraves élevées, tourmentées et coloriés des drakkars de ces vikings venus du nord qui semaient terreur et panique. Partout ensuite ce fut le désordre et l'arbitraire jusqu'au début du 13ème siècle.

 

 

Vue de Blois 1798 - aquarelle de Henri Joseph Van Blarenberguhe

 

 

La Communauté des Marchands de Loire

 

C'est sous Philippe le Bel que la Communauté des « Marchands de Loire » reparaît. Elle vivait de la Loire et pour le fleuve, regroupant sous son égide tous les collaborateurs, même les auxiliaires les plus modestes qu'elle employait, les protégeant jusque dans leurs vieux jours. Les mariniers étaient compris dans cette association, forme de syndicalisme avant l'heure et tout cela marchait.

 

L'Assemblée Générale qui, de toute ancienneté se tenait à Orléans, était une réunion de la plus haute importance. Orléans demeura toujours le siège de la Communauté par un arrêt du Parlement du 1 juillet 1540, malgré les vives protestations des autres villes.

Elle avait son siège dans l'Hôtel commun où la grande salle des Echevins était mise à la disposition des marchands-mariniers avec une pièce dans la tour pour abriter les archives.

 

 

Jeton de Nautonier

 

 

L'Assemblée qui célébrait toute la Loire navigable réglait mille questions en présence des délégués venus de tous les points du bassin ligérien. Elle avait lieu au début du mois de mai tous les trois ans et amenait dans la ville une grande animation.

Elle avait le monopole de la navigation sur le fleuve, veillant sur les intérêts de chacun de ses membres. Dès l'origine, elle va s'efforcer de rendre la navigation plus facile. Pour financer les travaux de balisage, d'entretien du fleuve et des chemins de halage, les marchands levèrent sur eux-mêmes un péage, dit « droit de boête », du nom du coffre où les receveurs des péages déposaient leurs recettes. Ces ressources permettaient d'employer un personnel spécialisé, sous la direction de délégués auxquels étaient confiées des sections déterminées du fleuve.

Pendant les séances, parfois fort longues, on amenait aux assistants des vins du pays, des fruits, des gâteaux et des friandises mais surtout on distribuait en fin de réunion des jetons de présence en cuivre à la frappe de l'année. Sur l'une des faces se trouvait le fleuve, assis sur une urne renversée parmi les roseaux ; en face de lui, Mercure, dieu du commerce, debout portant son caducée. Au verso on pouvait découvrir soit le port de la ville d'Orléans ou le portrait du roi et la devise des marchands.

 

« Hier soir, à Cosne, nous allâmes dans un véritable enfer ; ce sont les forges de Vulcain : nous y trouvâmes huit à dix cyclopes forgeant, non pas les armes d'Énée, mais des ancres pour les vaisseaux... »

Madame de Sévigné

 

 

Vue d'Orléans en 1761 par Aignan Thomas Desfriches

 

 

La composition du trafic ligérien reflétait les économies locales

 

 

Avant que le chemin de fer ne lui porte un coup fatal, la Loire était essentielle au commerce de l'époque. Pendant des siècles, gabares de 24 à 27 mètres à faible tirant d'eau capables de transporter jusqu'à 50 tonnes de fret, havriers, futreaux, toues cabanées sillonnaient le fleuve. Le transport sur l'eau employait un grand nombre d'hommes. Ces « Vilains sur terre » mais « Seigneurs sur l'eau » ont fait la gloire du commerce du grand fleuve et de ses affluents dont le Loir, la Sarthe et la Mayenne jusqu'au début du 20ème siècle.

 

Circulaient sur la Loire les bois et sabots du Morvan, la quincaillerie de Thiers, le charbon de Saint-Etienne, le tuffeau, le vin, les prunes de Touraine, le vinaigre d'Orléans, les fers du Nivernais et du Berry, la coutellerie de Châtellerault, les ancres des forges de Cosne. De l'Atlantique venaient le sel, la morue pêchée à Terre-Neuve, les produits coloniaux...

A ces grands flux se superposait le commerce de redistribution, sorte de cabotage de ville en ville et de port en port. Les marchands d'Orléans, Roanne, Blois, Angers, Tours, Saumur et des autres villes du bassin entretenaient des relations régulières et passaient des commandes entre eux : bouteilles, fil à coudre, pierres, ardoises, paniers, chaudrons, toiles, papiers... faisant des bateaux de véritables bazars flottants.

Dans la redistribution, Orléans jouait le premier rôle.

Le sieur Régnard, procureur du roi au Bureau des finances d’Orléans, écrivait en 1780 :

« Orléans est l’entrepôt général de la France. De là, les marchandises de toute espèce se distribuent dans les différentes provinces. Par un fait presque incroyable les marchands qui passent devant les villes de Tours et de Blois, y retournent ensuite pour la consommation locale. »

 

 

Vue de Tours en 1787 par Pierre Antoine Demarhy

 

 

Les Coches d'eau

 

Les quais du port d'Orléans étaient aussi le lieu de grandes animations au temps du siècle du Roi Soleil lors du passage des Coches d'eau qui transportaient souvent des voyageurs de marque, il faut en convenir, peu pressés, car leurs périples duraient des jours et des jours. En mai 1680 Madame de Sévigné écrivait : « Nous sommes montés dans le bateau à six heures par le plus beau temps du monde ; j'y ai fait mettre le corps de mon grand carrosse d'une manière que le soleil n'a point d'entrée dedans ; nous avons baissé les glaces ; l'ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celles des portières et des petits côtés nous donnent tous les points de vue qu'on peut imaginer ? »

Le chemin de fer, plus rapide, et la Grande Guerre ont eu raison de cette économie. Mais si le commerce n'existe plus, depuis les années 1980, de Nevers à Nantes, les grandes voiles carrées refleurissent sur le fleuve royal. « Pascal Carole », « L'Epinoche », « Fleur de Pontille », « Saponaria »... sont les nouveaux noms des dizaines de gabares, toues cabanées, futreaux qui redonnent vie aux quais depuis longtemps abandonnés. Tous ces pionniers, amoureux du fleuve, ont remonté le temps et retrouvé les gestes pour construire des bateaux selon des modèles d'époque qui sont à eux seuls de véritables leçons d'histoire de cette Loire que les mariniers appelaient aussi le « Paradis ».

Les chemins de halage où trimaient les hommes et les chevaux qui existent encore sont devenus le domaine des VTT et des marcheurs.

 

 

César de Choiseul du Plessis Praslin

 

 

Friandises, sucre, cacao et praslines

 

Il semble bien lointain le temps où les grands trois mâts venus des « Iles d'Amérique » débarquaient à Nantes le sucre brut de canne mais aussi le café ou le cacao que des gabares acheminaient jusqu'aux usines de raffinage de Saumur, Angers ou Orléans, à l'image de l'illustre maison Saintoin Frères* (créée en 1760) qui, avant de devenir une dynastie de chocolatiers, au 122 rue de Bourgogne, étaient vinaigriers. Un lien logique entre les deux activités, en effet, le vinaigre était parfois utilisé comme ingrédient empêchant le jaunissement du sucre ainsi que dans la confection de bonbons.

 

je vous ai  parlé des Assemblées de nautoniers et des distributions de vins, de fruits, de gâteaux et friandises que l'on donnait aux délégués mariniers lors des séances. Gageons qu'ils appréciaient le cotignac d'Orléans, délicieuse gelée de coings molle et fondante, le miel du Gâtinais tout proche, les pains d'épices de Pithiviers, les macarons de Cormery, les pruneaux de Tours et aussi les fameuses « praslines » de Montargis qui sont nées à cette époque et dont l'histoire mérite d'être racontée puisque depuis, elles sont restées célèbres en traversant les siècles.

En ce temps là, sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV, le duc de Choiseul, Comte du Plessis-Praslin (1598-1675), Maréchal de France connaît une brillante carrière militaire.

Ce n'est pas être médisant que de prétendre qu'il est plus habile sur le champ de bataille que dans une cuisine.

Le duc a d'autres qualités, c'est un diplomate talentueux qui sert habilement les intérêts de ses maîtres, les rois Louis XIII et Louis XIV, et sait se servir de la gourmandise comme arme diplomatique.

Son officier de bouche, un certain Clément Jaluzot, fort expert et artiste en cuisine s'ingéniait à inventer des chefs-d'oeuvre même dans les babioles, sucreries et bonbons.

C'est un homme observateur. Il regarde avec intérêt le travail de ses marmitons et remarque la gourmandise de l'un d'eux pour les amandes et le sucre caramélisé dont il croque les morceaux. Jaluzot goutte en cachette ces friandises. Lui vient alors l'idée de faire griller les amandes pour ensuite les enrober de sucre caramélisé.

 

 

 

 

Un chroniqueur du temps a écrit :

« Quand le bonbon fut fait, il n'était point commun,

Bosselé de tout sens et coloré de brun,

D'un fumet délicat qui flattait les narines,

On l'eût cru le produit d'une essence divine. »

Le nom de ce bonbon ?

On ne l'avait pas encore choisi.

Mazarin envoya le Maréchal parlementer avec les Bordelais pour calmer leur colère contre le pouvoir royal et ouvrir des négociations. Il leur fit déguster en guise de dessert, des dragées présentées dans un énorme plat en vermeil où chacun se servit avec une cuillère en or. On dit que ce fut une des gourmandes admiratrices du Maréchal qui lança dans la conversation, le nom de « praslines ».

 

Les pralines revinrent alors à la Cour en même temps que le duc de Praslin. Elles y firent fureur et bientôt on en réclama dans tout Paris.

L'officier de bouche, désormais célèbre, quitta le service du Maréchal. Il revint s'installer à Montargis pour y créer « La maison de la Prasline » en « l'Hostel proche l'église » en 1636.

 

Comment ne pas imaginer les dignes délégués de la « Communauté des Marchands de Loire » discuter au cours de longues séances de délibération en grignotant ces friandises caramélisées.

 

 

 

La maison des Praslines à Montargis devenue Mazet

 

 

 

Je vous souhaite une très bonne semaine 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Saintoin Frères A la demande de leur grand-mère, ils ouvrirent, en 1765, une boutique au 55 rue Royale à Orléans.

Au début du 20ème siècle, Saintoin Frères absorba plusieurs firmes orléanaises, parmi lesquelles H. Auvray, maison fondée en 1796 rue Bannier et dont le Chocolat d’Orléans était renommé. Toutefois, l’établissement allait changer de mains. En effet, en 1901, Albert Saintoin le céda à Amédée Borne, alors adjoint au maire d’Orléans ; la famille Borne-Mercier lui conserva son enseigne. Rachetée à plusieurs reprises et magnifiquement reconstruite après la guerre par la famille Tournois-Maillard, la boutique devint la Chocolaterie Royale, dont la vitrine abrita, en 1979, année du 550e anniversaire de la délivrance d’Orléans par Jeanne d’Arc, d’une statue de l’héroïne en chocolat, grandeur nature et arborant l’étendard à fleur de lys.

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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