MARCELINE - UNE VIE DE COUTURE

Publié le 6 Février 2018

Croquis aquarellé Yves de Saint Jean

 

« L'aiguille de la couturière picore comme une poule minutieuse. » Jules Renard

 

Recommandée pour son goût et son habileté à un maître de la couture parisienne qui se proposait de la former, elle avait souhaité partir à Paris.

Mais Marceline était née trop tôt. A cette époque, partir à la ville, « se déplacer » à la capitale comme on disait ici, pour une fille était signe de vie dissolue et de perdition. Juliette, sa mère, s'est fermement opposée à ce départ, alors, la mort dans l'âme et pleurant toute les larmes de son corps, elle a dû renoncer.

Histoire banale en ce début du XX ème siècle.

 

Mais Marceline n'a pas renoncé à son projet. Elle deviendra couturière et dans toute la région que ces dames soient fermières ou épouses de notables établis, la seule évocation de son nom fera référence au talent. Le chic Marceline avait su s'imposer.

Elle s'était faite une spécialité des robes de mariée et des demoiselles d'honneur mais jupes, chemisiers, manteaux, tailleurs, corsages figuraient aussi à son catalogue.

Un jour, pour une réception à l’Élysée, on est venu lui demander une robe longue de soirée car le Général qui était Président de la République à l'époque souhaitait que lors de chaque grande cérémonie, les hommes soient en habit et les dames en robe longue. « La robe du Général » existe toujours m'a-t-on dit et je suis certain que pour cet événement elle fit son effet.

 

On sollicitait Marceline pour une multitude de petits travaux. Des boutonnières déchirées, des épaulettes à remettre, des fermetures éclair défaillantes. Parfois le petit atelier recevait la visite de monsieur le curé dont la chasuble ou la soutane présentait des signes de fatigue.

Chez Marceline tout le monde était accueilli avec la même bienveillance avec ou sans rendez-vous. La maison était toujours ouverte et hospitalière.

« Le beau est la splendeur du vrai », elle en avait fait sa devise. Sous la divine protection de Catherine, la sainte patronne des couturières, avec ses mains de fée, sa passion du beau, ses rêves, ses visions, sa chasse secrète de la perfection, elle présidait aux destinées de merveilleuses créations, pièces uniques, véritables chefs-d’œuvre car Marceline était une artiste.

 

Marceline

 

Dans la promiscuité de ses deux pièces qui faisaient office à la fois d'atelier et de pièce à vivre, la tension parfois vive faisait grimper la température. Une boîte d'épingles s'éparpillait sur le sol et c'était de la faute de ce fichu tissu qui ne se tient pas.

Les clientes arrivaient avec des piles de magazines : « Le Petit écho de la Mode », « Jardin des Modes », « Modes Pratiques » ou le dernier numéro « Spécial robes de mariée de Modes et Travaux ».

 

 

 

 

Toutes avaient une idée précise de ce qu'elles voulaient mais en même temps tellement floue qu'elles attendaient, sans le dire, les conseils de Marceline. Pas de bustier, un peu de dentelle, un décolleté, du volume mais pas trop, quelque chose de simple mais festif, classique mais surtout pas la robe de tout le monde, élégante et jeune...

Marceline avait l'habitude. Pendant des heures on feuilletait les magazines, cherchant le modèle que personne n'avait osé. On parlait tulle, tergal, soie, satin, mousseline, galons. Marceline sortait de ses tiroirs les échantillons de tissus, ouvraient les boîtes de boutons. Tissus, broderies, rubans s'éparpillaient sur la table.

 

La conception d'une robe n'est pas le fruit du hasard. Comme le corps, elle a des règles d'architecture précises que n'importe quel créateur doit respecter.

L’œil avisé de Marceline observait et jaugeait. Elle mesurait avec son centimètre souple rose ou bleu pour respecter les courbes et notait au crayon les mensurations de ces dames sur de petits carnets.

Quand elles avaient fait leur choix, elles savaient qu'à partir de cet instant tout était possible dans les mains expertes de leur couturière et que Marceline saurait traduire avec agilité, l'essence de leurs personnalités.

 

Alors Marceline étalait le tissu sur la grande table, traçait à la craie de couturier, bleue ou rose pour les étoffes claires et grise pour les foncées. Elle découpait alors d'un geste sûr avec ses grands ciseaux les différents éléments de la robe ou du manteau que ses deux employées, ses petites mains, allaient coudre et bâtir. Souvent tard dans la nuit et tôt le matin, les doigts piqués par les épingles et les aiguilles, dans le froissement des étoffes, Marceline passait des centaines d'heures penchée sur le modèle, les yeux alourdis de fatigue.

 

Consciencieuse, obstinée, perfectionniste, il lui faudrait plusieurs essayages pour rectifier un ourlet, arrondir un col et finaliser la tenue de l'ensemble.

Pour les essayages, les clientes se changeaient derrière un paravent fabriqué par Louis et s'admiraient dans une grande glace aux bords dorés. Tantôt à genoux, tantôt assise dans un fauteuil, Marceline surveillait l'arrondi d'une robe, rectifiait une emmanchure, rehaussait une épaulette. Un mannequin recouvert de toile trônait dans un angle sur son trépied. Il permettait de mouler les vêtement dessus et d'épouser la forme voulue.

Louis venait assister au premier essayage. C'était une tradition et ne pas l'inviter aurait été synonyme de crime de lèse-majesté.

 

Cette artiste était ma grand-mère. Toute sa vie a été faite d'élégance et de simplicité. Marceline nous a quittés le 6 févier 1992 en nous léguant un trésor : l'amour du beau et du travail bien fait.

 

Croquis aquarellé Yves de Saint Jean
Croquis aquarellé Yves de Saint Jean

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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S
Ma grand mère maternelle était aussi couturière, très exigeante aussi sur la perfection.
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