ANDRE HALLAYS ET LES CHENES DE BERCE

Publié le 19 Février 2020

 

 

Dans mes promenades littéraires, j'ai découvert André Hallays. Il fut, entre autres, critique d'art, journaliste et rédacteur d'une chronique hebdomadaire dans le « Journal des débats ».

Il était très attaché au patrimoine français.

 

A la manière d'un Ardouin Dumazet dont j'ai publié dans ce blog plusieurs articles, André Hallays préparait ses chroniques avec un soin tout particulier en organisant de grands voyages de prospection et de rencontres à travers la France.

Elles ont été éditées en dix volumes sous le titre « En Flânant à travers la France ».

Le texte qui suit est extrait d'un volume sur la Touraine, l'Anjou, le Maine paru en 1912.

 

Voici ce qu'il écrivait suite à son passage dans les Vaux du Loir à Bercé.

 

 

 

Canton des Clos

 

 

 

DEUX CENTS SEIZE ANS, AGE LIMITE DES GEANTS DE LA FORET DE BERCE

 

 

« On a dit naguère que les plus beaux chênes de la forêt de Bercé étaient menacés de disparaître, victimes d'un règlement administratif. Puis, le bruit s'était répandu que le service des Eaux et Forêts, touché par les plaintes des Manceaux et les vœux du Conseil Général de la Sarthe, avait consenti à épargner ces arbres ; mais depuis, aucune décision n'est intervenue ; le danger n'est point conjuré. Il nous faut donc plaider la cause des chênes de la forêt de Bercé.

J'ai été rendre visite à mes clients. Je vous assure qu'ils sont dignes de l'intérêt et de l'admiration de quiconque a souci de la beauté pittoresque de la France.

 

La forêt de Bercé s'étend sur un plateau qui sépare la vallée de la Sarthe de la vallée du Loir, au sud du Mans. Elle est peu profonde, ayant la forme d'un grand croissant dont les cornes sont tournées vers le midi. Elle est tout entière composée de chênes et de hêtres, ces derniers très peu nombreux. Point d'autres essences.

 

Par une douce et lipide matinée, je quittais Jupilles, village des sabotiers, situé à la lisière méridionale. A travers les bois que ne pouvaient encore percer les rayons obliques du soleil, je gagnai le quartier que menacent les bûcherons. Je passai par d'immenses futaies où les ronces et les houx sont clairsemés et où les branches des sous-bois, protecteurs de la terre féconde, s'écartent devant le promeneur sans le cingler au visage. La forêt accueillante semblait me livrer sa matinale beauté, fraîche et parfumée.

 

Des chênes, toujours des chênes. Dans les plantations récentes on dirait une mêlée, tous les troncs sont jeunes, ardents et pressés. Plus loin, là où le forestier a déjà éclairci les rangs, les arbres prennent un air plus confiant, plus hardi. Et je traversais aussi des places désolées où les bûcherons avaient naguère passé et où des cadavres de chênes jonchaient encore le sol, et ce spectacle affreux augmentait encore la tendresse que, d'avance, j'éprouvais pour les pauvres chênes condamnés.

 

 

 

 

De futaie en futaie, j'arrivai au canton des clos. C'est le lieu du crime projeté.

 

Là s'élève de majestueux bouquets. Les fûts unis se dressent d'un seul jet jusqu'à une hauteur de vingt cinq mètres sans une courbure, sans une branche, et les cimes forment une voûte de verdure que peut à peine trouer le soleil de midi. Ça et là un hêtre a tenté d'égaler les chênes ; mais s'il n'a trouvé une clairière ou déployer librement ses larges rameaux, il a été tué par ses puissants voisins. Ceux-ci ont plus de deux siècles d'existence. Ils sont d'une incroyable vigueur ; ils n'offrent aucun signe de dépérissement ; cependant on veut les abattre.

 

Pourquoi ? C'est que la forêt de Bercé est « exploitée à deux cent seize ans », c'est à dire que nul arbre n'a le droit d'y vivre deux cent dix sept ans. Donc ces chênes sont condamnés à mort. On m'a même raconté que le massacre devrait être commencé depuis trois années, si un inspecteur des forêts, pris d'amour et de pitié pour ces arbres, n'avait différé l'exécution.

 

Je me suis longtemps arrêté au milieu de cette admirable futaie. Assis en face d'un géant qu'on appelle le chêne Boppe et autour duquel d'autres chênes vénérables semblent tenir conseil, j'ai écouté la voix de la forêt, et voici le discours que m'ont adressé les arbres de Bercé :

 

« Passant qui sembles animé de bonnes et pieuses dispositions, considère avec soin, pour la redire à nos bourreaux, notre particulière beauté (…) »

 

André Hallays

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article