EMILE RACONTE 19 : PETAUDIERE !

Publié le 19 Juin 2022

 

 

Marguerite Baudonnet est la femme de l'instituteur à la retraite. Grande, blonde toujours élégante, elle est plus jeune que son mari. Marguerite est musicienne, responsable de la chorale, repère culturel de la région, un peu chercheuse et généalogiste, bibliothécaire, animatrice tous azimuts. Elle apprend, écoute, réfléchit.

 

Gabrielle Beaupied est son exemplaire inverse, brune pas très grande et régulièrement mal fagotée. Gabrielle a un avis sur tout, elle sait tout, tranche de tout. Elle dispense autour d'elle une culture incontournablement déroutante, souvent inattendue, surprenante, parfois troublante.

Gabrielle ne lit pas, elle feuillette et survole. Elle ne pense pas, elle répète.

Elle n'existe pas, elle a l'air. Elle ne joue pas, elle triche et gagne. Elle n'aime pas, elle possède.

Plus pédante, en outre, qu'une médiocre star du show-bizz, elle ne donne pas, elle calcule. Elle n'est pas, elle se croit. Elle parle et n'agit point.

Gabrielle chante dans la chorale de Marguerite mais elle chante faux.

 

« C'est vrai, confirme Marguerite, mais dans la masse, on ne l'entend pas. »

 

« Pourtant, quand elle parle, sa voix est agréable confirme Marie Picassé. Ce qui ne l'empêche pas de dire n'importe quoi, précise-t-elle immédiatement.»

 

« Quand elle n'a pas raison, elle s'invente de bonnes raisons d'avoir tort. Elle n'a pas d'idées, mais n'en change jamais. Elle ne quitte jamais la voie qu'elle ne s'est pas tracée, ajoute Marcel Beaudonnet, l'instituteur.

Elle possède un art consommé de la désorganisation. Elle n'a pas de principes mais leur reste fidèle. Elle a l'opinion générale de tout le monde. Pleine de contradictions, elle n'est pourtant jamais en désaccord avec elle-même. »

 

 

 

Elle a un sens profond du bonheur conjugal. Elle n'a aucune jalousie. C'est une femme qui se désintéresse totalement de la question du lit, si importante dans les ménages. On dit qu'au lit, elle ne s'y est jamais amusée. Pour elle, sa grande réussite est justement d'avoir réussi à se donner un époux qui depuis longtemps n'entend plus rien et reste muet en toutes circonstances.

 

Brave Gabrielle !

 

Mais redoutable Gabrielle !

 

Lorsqu'elle apprend, un matin, en allant chercher son pain que Marguerite Beaudonnet se lance dans la compétition des élections et qu'elle brigue le fauteuil de maire, le sang de Gabrielle n'a fait qu'un tour.

« Il ne manquerait plus que ça, une femme à la mairie et que cette bourgeoise s'occupe de politique, que chacun retrouve sa place et les vaches seront bien gardées, s'est-elle emportée. »

 

« A ce qui paraît, on l'a vue embrasser comme du bon pain le député et qu'elle militerait pour le droit des femmes à avoir un lave-linge automatique à la maison, lance la boulangère.»

 

« C'est pas possible et notre lavoir, sauvons notre lavoir ! » s'écria Gabrielle.

 

 

 

 

Ainsi le village s'est enflammé, divisé en deux camps. Le mouvement Marguerite et le mouvement Gabrielle s'affrontent : slogans, collages d'affiches, tracts assassins, réunions, pancartes, insultes !

La presse, comme à son habitude, pour vendre du papier jette régulièrement de l'huile sur le feu. Tout un programme qui n'est pas pour déplaire au maire sortant qui se sentait menacé dans ses ambitions et son autorité. C'est un homme calculateur, politique profond qui sait tout de la vertu du silence et de l'absence. Il se tait, observe, médite.

 

Nouvelle guerre des roses ou guerre des boutons ? Guerre sans pitié mais victoire pour qui ?

Personne en fait.

 

Fatal retour des choses, les rivalités de pouvoir ont fait que le village s'est recroquevillé sur lui-même. Derrière le pupitre de la chorale, il n'y a plus grand monde. On ne chante plus. Chacun se regarde sans se voir.

 

Seul le coq au dessus de l'horloge du clocher scrute d'où vient le vent. Il continue de chanter les heures en attendant l'éventuelle réconciliation et la probable réélection triomphale du maire en place.

 

 

 

 

Bonne semaine à vous !

 

 

 

Yves

 

 


« Mais dites-moi, je vous prie, vous qui avez couru, sauriez-vous un pays où il n’y eût ni gendarmes, ni rats de cave, ni maire, ni procureur du roi, ni zèle, ni appointements (…) ni généraux, ni commandants, ni nobles, ni vilains qui pensent noblement ? Si vous savez un tel pays, montrez-le-moi, et me procurez un passeport. »

 

Paul-Louis Courier (1872-1825) - Première Lettre particulière

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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