VENDOME, LA MORT DE BABEUF

Publié le 18 Février 2024

 

 

Connaissez-vous Babeuf ?

Ce nom ne vous dit peut-être rien et je vous avoue humblement mon ignorance à son sujet jusqu'à la lecture d'un article dans un journal local. On y décrivait, brièvement, un événement dramatique de l'histoire locale des Vaux-du-Loir aux résonances nationales et internationales.

 

J'ai alors tiré sur le fil et d'ouvrages en articles, je me suis laissé entraîner à la découverte de ce révolutionnaire égalitariste de la « Conjuration des Egaux ».

Sans parti pris, j'ai tenté de résumer l'histoire de celui qui esquissait le rêve, utopique, d'un bonheur général pour l'humanité, l'égalité entre tous les citoyens et l'organisation d'une communautarisation des biens privés. Face à la masse de rapports, articles et commentaires, je me suis borné à donner quelques points de repère, de la veille de la Révolution, en Picardie où Babeuf naquit, jusqu'à sa mort tragique à Vendôme en 1797.

Se réclamant du « Code de la nature », Babeuf promettait en octobre 1795 l'avènement

du gouvernement « qui fera disparaître les bornes, les haies, les murs, les serrures aux portes, les disputes, les procès, les vols, les assassinats, tous les crimes ; les tribunaux, les prisons, les gibets, les peines, Le désespoir que causent toutes ces calamités ; l’envie, la jalousie, l’insatiabilité, l’orgueil, la tromperie, la duplicité, enfin tous les vices ; plus, le ver rongeur de l’inquiétude générale, particulière, perpétuelle de chacun de nous, sur notre sort du lendemain, du mois, de l’année suivante, de notre vieillesse, de nos enfants et de leurs enfants. »

 

 

 

 

La guillotine à Vendôme

 

 

Chaque année, à Vendôme dans les Vaux-du-Loir, un petit groupe vient se recueillir au pied d'une plaque commémorative située près d'une porte désormais obturée du Cloître de la Trinité.

Cette plaque est placée en hauteur. Elle fut détruite et refaite à plusieurs reprises. Elle avait été installée la première fois en 1947, en présence d'un certain Jacques Duclos, homme fort à l'époque, du parti communiste français.

Elle évoque le supplice vécu il y a 227 ans de Gracchus Babeuf et de son compagnon Augustin Darthé, sous le Directoire, à l'aube du 8 Prairial de l'an V (27 mai 1797).

Les deux hommes auraient tenté de se suicider en se poignardant au prononcé du verdict de la Haute Cour siégeant dans les locaux de l'abbaye, après des débats féroces.

Les lames encore plantées dans le corps, ils furent guillotinés sur la place d'armes voisine (aujourd'hui place de la République). Pour certains les dépouilles auraient été « jetés à la voirie », sans plus de précision, pour d'autres ils furent inhumés dans le « grand cimetière » du ci-devant faubourg Marat près d'une chapelle disparue en 1816 entre les rues du Faubourg-Chartrain et Saint-Denis.

C'est la seule et unique fois où la guillotine révolutionnaire aura été dressée à Vendôme.

 

Le 1er Messidor suivant (14 juin 1797), six autres accusés condamnés à la déportation, parmi lesquels Buonarroti, Germain et Vadier, prirent le chemin de leur premier exil, le fort de l'île Pelée, une prison de sûreté, à l'entrée de la rade de Cherbourg, « enchaînés et enfermés dans des cages grillagées ». Quant aux 36 autres détenus, hommes et femmes, dont bon nombre n'avait, semble-t-il, participé en aucune manière au complot de floréal, ils furent acquittés et mis en liberté sur le champ.

Selon le commissaire du Directoire près de l'administration cantonale de Vendôme, ils reçurent à la sortie des geôles de la maison de Justice le plus chaleureux accueil des patriotes vendômois. « Il est indubitable, écrit le fonctionnaire, qu'il existe à Vendôme des partisans très prononcés du sistème (sic) affreux de Babeuf. Pendant sa détention ils ont entretenu avec lui des relations secrètes qui sont devenues publiques, après que le jury de la Haute Cour a été prononcé. Nous avons vu que les détenus près la Haute Cour qui ont été mis en liberté ont été aussitôt accueillis par leurs frères de Vendôme qui leur ont donné des repas et les ont promenés dans toutes les rues de la commune. »

 

Ce que confirme Germain l'un des acquittés : « Les condamnés à la déportation étaient dans l’ivresse de la joie d’avoir échappé au supplice dont vingt d’entre eux se savaient menacés. Germain, gai et plein d’esprit, se moquait des jurés. Ils sont bêtes, disait-il, au sieur Vieillard, de ne pas voir de conspiration lorsqu’il y en a une des mieux faites qui aient jamais existé et y a-t-il rien d’aussi fou que d’innocenter les femmes qui sont des enragées (sic) qui nous stimulaient tous. Actuellement que ma vie est sauvée je leur dirais tout ce que je sais. Au surplus j’ai conspiré, je conspirerai toujours. S’ils m’envoient à Cayenne ou au Sénégal je conspirerai et si ce n’est pas avec des hommes ce sera avec des perroquets. »

 

 

 

 

 

Des suppliciés oubliés

 

 

Babeuf et les siens avaient été arrêtés le 10 mai 1796. Le procès fut délibérément organisé à Vendôme pour éviter, d'une part, les manifestations populaires de soutien aux accusés et

d'autre part pour rester assez proche de la capitale afin d'assurer le transport des juges et du matériel nécessaire aux audiences. La ville fut transformée en véritable place forte avec 2000 hommes en armes qu'il fallut loger. L'instruction se déroula du 5 octobre au 3 décembre 1796 dans les anciens bâtiments de la Trinité et fut suivie du procès du 20 mars au 26 mai 1797, cette fois au premier étage de l'autre aile du bâtiment, ce qui nécessita quelques travaux.

Hormis le petit groupe qui honore la mémoire des deux condamnés, le souvenir des deux seuls guillotinés de Vendôme semble enfoui dans la mémoire locale.

Seule la table du jugement est encore visible au musée entourée de cinq chaises, issues du mobilier royal de Versailles.

 

 

 

 

 

Babeuf, l'influence de J.J. Rouseau

 

 

Aîné de treize enfants, dont neuf décéderont en bas âge, François-Noël Babeuf naît dans une famille modeste le 23 novembre 1760 à Saint-Quentin en Picardie. Il est le fils de Marie-Catherine Anceret et de Claude Babeuf, « employé des fermes du Roy ».

Il reçoit de son père une éducation sévère « l'instruction a couté furieusement cher sur mes épaules... mais atrocement martyrisé mon enfance », écrit-il.

A quatorze ans, il commence à travailler comme terrassier au canal de Picardie. A dix sept ans, il devient apprenti chez un notaire à Roye, ce qui lui vaut sa belle écriture.

Il exerce ensuite la profession de commissaire à terrier (géomètre). Ce second métier consiste à recenser et évaluer les droits, registres et redevances des seigneuries, le tout étant noté dans un livre à terrier. C'est à ce moment qu'il découvre les restes du féodalisme et le fait que certains nobles désargentés cherchent à faire réévaluer leurs droits. « ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les affreux mystères des usurpations de la caste noble », dira-t-il.

 

 

Jean Jacques Rousseau

 

 

Le milieu rural picard et le contrecoup des grands événements révolutionnaires vont jouer un rôle considérable dans la formation et le cheminement de sa pensée fortement influencée par la lecture des « Lumières » et notamment les écrits de J.J. Rousseau et du « Code de la nature » de Morelly (1755).

 

« Les sots imposent donc fréquemment la loi aux sages, et bien des propositions très raisonnables sont rejetées par la raison qu'elles ne sont pas du goût des premiers, ou bien encore parce qu'ils ne les comprennent pas. »

 

 

La mort de Caius Gracchus - Félix Auvray peintre (1800-1833)

 

 

 

Babeuf refusait son prénom chrétien. Sa fascination pour l'antiquité lui fait choisir de se prénommer « Gracchus », plus conforme à ses idées égalitaires. Il justifie son choix par l'hommage qu'il voulait rendre aux Gracques, les fameux tribuns du peuple assassinés pour avoir voulu, de 133 à 121 avant J.C., distribuer les terres du « domaine public » aux citoyens pauvres.

Autrement importante fut l'influence du milieu paysan picard, avec ses droits collectifs, ses habitudes communautaires, ses luttes contre les grands fermiers. De par sa profession, il avait une connaissance directe et profonde de cette paysannerie et de ses problèmes. Dans son « Cadastre perpétuel »(1789), « il regardait une redistribution des terres, ce qu'il appela la loi agraire, comme seule capable de satisfaire pleinement les vœux de ses compatriotes ». Déjà en 1785-1786, il prévoyait l'organisation de fermes collectives, véritables « communautés fraternelles ». C'était poser non seulement le problème de l'égalité des droits, donc de la répartition, mais encore celui de l'exploitation collective.

 

Mais son expérience révolutionnaire lui fit vite apparaître que l'égalité des droits n'était qu'une chimère, que la vente des biens nationaux, par exemple, profitait aux seuls nantis.

Ce qui importait alors, c'était moins de supprimer la propriété et l'exploitation privées que d'en distribuer les parcelles disponibles à ceux qui en étaient démunis. Pour Babeuf, ce n'était pas là abandonner son idéal communautaire, mais réaliser une aspiration instinctive des miséreux à l'égalité des jouissances.

Après la chute de Robespierre à l'été 1794, incarcéré dans les prisons de Paris et d'Arras où l'avaient mené ses violents articles anti-thermidoriens dans son journal « Le Tribun du peuple », il mit au point avec d'autres prisonniers le programme des Egaux où il

abandonnait le principe de sa loi agraire et se prononçait pour l'abolition de la propriété des fonds.

 

 

 

 

 

La conjuration des Egaux

 

 

La Conjuration des Egaux, appelée aussi complot Babeuf ou complot du 21 Floréal se noua au cours de l'hiver de l'an IV (1795-1796). L'affreuse misère populaire, l'incapacité du Directoire à y porter remède déterminèrent Babeuf, entré en clandestinité, à jeter bas, par la violence, l'édifice social.

Autour d'une minorité acquise à ses idées se groupèrent d'anciens jacobins, panthéonistes, conventionnels écartés du pouvoir, aux buts surtout politiques. Le 10 germinal An IV ( 30 mars 1796) fut institué un comité insurrectionnel composé notamment de Babeuf, Pierre-Antoine Antonnelle, Philippe Buonarotti, Darthé, Félix Le Peletier de Saint-Fargeau et quelques autres.

 

 

Philippe Buonarotti

 

 

Ce comité nomma dans chacun des douze arrondissements de Paris un agent pour diriger la propagande, qui devint très active. Des agents militaires furent chargés de « travailler » la garnison de Paris et plus particulièrement la légion de la police créée au lendemain de l'insurrection du Prairial An III. Les babouvistes s'implantent alors solidement.

Une fois l'objectif atteint par des méthodes qui ne différaient point de celles des journées révolutionnaires, le comité insurrectionnel se proposait de garder le pouvoir ; une assemblée lui aurait été adjointe, élue par les insurgés. Peut-être y a-t-il là l'institution d'une nouvelle forme de Terreur ?

 

 

 

 

 

 

Le babouvisme mythe fondateur

 

 

On sait ce qu'il advint. La trahison et dénonciation des conjurés à Barras et Carnot par le jeune capitaine Georges Grisel permet l'arrestation de Babeuf et ses complices le 21 Floréal an IV (10 mai 1796) puis, après le jugement, la montée sur l'échafaud.

Avant de passer sous le « rasoir national », Babeuf laissera une lettre à sa femme et ses fils :« Ecrivez à ma mère et à mes sœurs. Dites-leur comment je suis mort, et tâchez de leur faire comprendre, à ces bonnes gens, qu’une telle mort est glorieuse loin d’être déshonorée. Adieu pour jamais ; je m’enveloppe dans le sein d’un sommeil vertueux. »

Blessé et affaibli il monta sur l'échafaud en proclamant jusqu'à la dernière minute son amour pour le peuple. Il « marcha au supplice comme à un triomphe », dira Buonarotti. Ses enfants seront adoptés par Félix Le Peltier.

 

Le supplicié de Vendôme avait ainsi tenté pour la première fois de faire entrer le communisme dans la réalité, énoncé qu'il n'a jamais cité pour dire ses « rêves » ou préciser son projet. Sans doute n'ignorait-il pas le mot qui était déjà en usage ici ou là. Il préféra les expressions plus concrètes, plus en harmonie avec les aspirations populaires que la Révolution avait promues « bonheur commun » ou « égalité réelle »...

Avec lui, la doctrine était devenue force politique, un soutien à l'insurrection populaire et à la dictature révolutionnaire indispensable à une mise en place d'institutions nouvelles.

 

Comme la plupart des personnages et des idéologies qui se rapportent à des événements historiques exceptionnels, Babeuf est devenu un symbole et le babouvisme un mythe fondateur. Ils constituent un moment significatif de la Révolution française.

 

Buonarotti reviendra en France après la Restauration. Il continuera à sa manière une lutte politique en nouant des liens avec le révolutionnaire belge Louis de Potter, en particulier, qui devait devenir ministre en 1830, mais aussi d'autres intellectuels anglais, italiens ou français. Avec lui le babouvisme fera son chemin. Il transmettra les idées de Babeuf qu'un certain Auguste Blanqui (communiste prophétique et anarchiste régulier) récupérera en 1848 avant qu'elles ne soient reprises plus tard à son tour par un certain Lénine.

 

 

 

L'affaire du camp de Grenelle et la tentative de soulèvement est l'épisode décisif de la Conjuration des Egaux. 200 à 500 conjurés se présentent au camp dans la nuit du 23 au 24 Fructidor. ils sont accueillis par une fusillade faisant une vingtaine de morts et de nombreux blessés. La répression du Directoire sera sans pitié

 

Sources :

Société archéologique du vendômois.

Mona Ozouf : « Gracchus Babeuf » in dictionnaire critique de la Révolution française avec François Furet - Flammarion 1993.

Jean Tulard : « Histoire de la Révolution française » - PUF 2004

France archives

Gallica

 

 

 

Je vous souhaite une bonne Semaine !

 

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #personnages

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