LIONEL ROYER - PEINTRE DE L'HISTOIRE

Publié le 11 Juin 2023

La descente de la croix - église Saint Guingalois à Château-du-Loir.

 

 

« La descente de la croix », immense tableau accroché dans la nef de l'église Saint-Guingalois de Château-du-Loir, dans les Vaux-du-Loir, n'est pas l'œuvre du premier venu mais celle d'un artiste tombé dans l'oubli, Lionel Royer, né dans la nuit du 25 décembre 1852 dans cette commune du sud Sarthe.

Il fut un peintre apprécié de l'Histoire à la charnière des 19ème et 20ème siècles.

 

Sans le savoir, des générations d'élèves ont fait sa connaissance. Il est, en effet, l'auteur du tableau le plus connu, « Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César », largement diffusé pendant un siècle dans tous les manuels d'histoire. On retrouve ses œuvres monumentales dans de nombreuses préfectures et mairies de France. A partir des années 1895, les différentes éditions du Larousse mentionnent son nom mais il disparaît dans les années 40.

 

 

 

 

Engagé à moins de 18 ans dans les Volontaires de l'Ouest, Lionel Royer a manié le fusil avant le pinceau. Il fait la guerre de 1870 et participe notamment à la bataille de Loigny le 2 décembre 1870 avec le général La Contrie.

 

« Le soir du décembre 1870, à Loigny, alors que chacun cherchait à se reposer et à dormir un peu, tant bien que mal, mon grand-père qui aimait dessiner, avait emporté un pliant et un petit chevalet en plus de son barda de soldat. Il s'installa quelque part et se mit à dessiner un croquis du champ de bataille. Charette vint à passer, descendit de cheval sans faire de bruit et s'approcha sans éveiller l'attention du jeune zouave, puis il tapa sur l'épaule et lui demanda pourquoi il ne dormait pas comme les autres. Lionel Royer ne put que répondre qu'il avait senti le besoin impérieux de faire un croquis du champ de bataille. Et Charette, ahuri regarda de près le croquis : « Mais c'est remarquable ! C'est ton métier ? » - « Non je n'ai pas de métier, j'ai 18 ans et j'aime dessiner et peindre » - « Je ne pense pas que ma mère puisse me payer un séjour à Paris » - « Alors, après la guerre, viens me voir à Paris, je te paierai les Beaux-Arts et te donnerai les moyens de vivre ».

C'est ainsi que Pierre Edouard Torchet (1903-1981), petit-fils de Lionel Royer, raconte la vocation de son grand-père

 

Fort de la promesse de Charette, à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, où il est inscrit, il est l'élève d'Alexandre Cabanel (1823-1889) et de William Bouguereau (1825-1905), tous les deux considérés comme les représentants majeurs de la peinture académique du Second Empire et de la fin du 19ème siècle.

A partir de 1874, il commence à exposer. Il obtient une médaille de 3ème classe en 1884, de 2ème classe en 1896, un deuxième prix de Rome en 1882 et une médaille de bronze à l'Exposition Universelle de 1900.

Vers 1884, il quitte son petit atelier pour s'installer confortablement rue Méchin près de l'Observatoire.

Il devient ensuite un portraitiste réputé du tout-Paris. Ses portraits de femmes, d'un dessin très sûr, d'un coloris agréable et d'un style aristocratique ont, pendant vingt ans, placé l'artiste au sommet de l'académisme.

Mais il est surtout un peintre d'Histoire, commentateur de son temps, notamment lorsqu'il peint Dreyfus dans sa prison pour le « Petit Journal » ou « Auguste Comte et ses trois Anges ». Sur le tableau, Comte est représenté, pensif, à son bureau, autour duquel sont rassemblées ses muses, de gauche à droite, Clotilde de Vaux, Rosalie Boyer et Sophie Bliaux.

 

 

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César

 

 

Peintre de l'Histoire

 

Lionel Royer a consacré une vingtaine de toiles à la guerre de 1870 dont deux magistrales de 3 m x 6 m qu'il donne à la nouvelle église de Loigny reconstruite ; l'un représentant la messe entendue par les Volontaires de l'Ouest avant de partir au combat et le second dépeignant la nuit d'agonie du général de Sonis sur le champ de bataille. Le musée de Tessé, au Mans, possède le tableau de la bataille d'Auvours du 10 janvier 1871.

Il est aussi l'auteur de huit peintures géantes de la vie de Jeanne d'Arc pour la basilique moderne de Bois-Chenu à Domrémy en 1913.
Les scènes de batailles à Orléans devant la forteresse des Tourelles ou à Compiègne offrent à Royer de prouver son talent à composer l'enchevêtrement des corps vêtus de cuirasses et des jeux de lances. « Pour susciter l'émotion, l'allégorie et le merveilleux viennent en aide à l'histoire(...) Lionel Royer s'appuie sur les lieux historiques, cités avec précision (…). Jeanne, en avant et isolée, est l'instrument qui suggère à la sphère politique et religieuse une possible réconciliation (…). Par la synthèse évocatrice qu'il réalise et le sentiment qu'il introduit dans ce cycle, le peintre laisse le jugement aux idées de chacun », explique Chantal Bouchon dans la « Revue Historique et Archéologique du Maine ».

En 1897, il fait don à la Société Historique du Maine, dont il est membre, des dix maquettes aquarellées de la vie de Jeanne d'Arc, exécutées au dixième et présentées en 1893 au concours des verrières de la cathédrale d'Orléans.

 

 

Scène tirée de l'Evangile de Luc chapitre 18. Sur la droite de la toile, des religieuses de la Providence avec des enfants de Ruillé portant leurs cartables. La religieuse de face en noir est sans doute le portrait de Mère Marie-Henri supérieure générale de l'Institut qui passa commande à Lionel Royer.

 

 

Peintre de la communauté de la Providence à Ruillé-sur-Loir

 

En 1922, la mère de Lionel Royer, qui a 92 ans, est pensionnaire chez les religieuses de la Providence dans leur maison du Pré au Mans. Celles-ci vont fêter le centenaire de leur fondation et pour cette occasion, la révérende Mère Marie-Henri presse l'artiste de décorer la chapelle néo-gothique de leur maison mère à Ruillé-sur-Loir. L'artiste avait déjà fait don d'un grand portrait du pape Pie X. Malgré des problèmes de vue et des débuts de paralysie de la main, il va s'atteler à la tâche dans la même veine figurative : des premiers plans nets aux couleurs contrastées, souvent vives, et des arrière-plans plus vaporeux, volontairement moins précis mais situant la scène. A côté de la Nativité où l'on devine Bethléem au loin, la Fuite en Egypte se fait, par exemple, sur fond des pyramides de Guizeh.

En dehors de décorations secondaires, il réalise un bel ensemble de huit toiles mesurant environ cinq mètres de long qui racontent chacune une scène marquante de la vie de Jésus. Dans celle « Laissez venir à moi les petits enfants », l'artiste a ajouté des enfants pauvres de Ruillé qu'accompagnent des religieuses de la maison mère.

 

Dans toutes les œuvres de Lionel Royer, l'anatomie des personnages et les détails militaires sont soignés.

Dans ses tableaux sur la guerre, le récit froid et brut de la guerre côtoie les mises en scène héroïques et mystiques.

« Il a transfiguré ses souvenirs grâce à son talent de metteur en scène et son obsession pour le détail », indique Bernard Chabin, responsable du musée de la guerre de 1870 à Loigny-la-Bataille. « On retrouve toujours la même recette : une mise en scène épique et cinématographique avant l'heure d'un événement dramatique et le rôle décisif du chef. »

 

 

La Communion des Zouaves à Saint-Péravy-la-Colombe. Le père Doussot donne la communion au général de Sonis. A la droite du général de Sonis : le commandant de Troussures. A l'arrière, debout : le colonel de Charette et le marquis de Coislin. Lionel Royer, genou à terre, porte le flambeau.

 

 

Un esprit patriotique

 

La production de Lionel Royer coïncide avec des périodes de fortes tensions entre la France et l'Allemagne. « Il fallait restaurer l'honneur de l'armée française et préparer les esprits à la revanche contre l'Allemagne en mettant en valeur des héros nationaux comme Vercingétorix et Jeanne d'Arc qui ont résisté à l'envahisseur. »

 

Son tableau qui représente Vercingétorix jetant ses armes aux pieds de César fantasme complètement la réalité historique. « Lionel Royer suggère la supériorité du vaincu Vercingétorix et le place au cœur de sa composition. Cette mise en scène, qui fait référence à la défaite de 1870, a imprimé et marqué la mémoire collective. Il fallait offrir à la République le héros dont elle a besoin pour incarner la fierté nationale. »

Oeuvre iconique du roman national français, cette peinture a servi d'illustration dans de nombreux manuels scolaires.

 

Les historiens soulignent notamment le fait que Vercingétorix ne s'est certainement pas présenté en armes devant César au moment de la reddition (il aurait été massacré par la garde romaine). Le cheval est à l'époque une monture romaine, les Gaulois utilisant plutôt des poneys qui sont plus petits.

Dans ce tableau, le peintre, lui, exalte la noblesse des vaincus et le sacrifice du héros gaulois, présenté comme l'âme du peuple français.

 

Les détracteurs de Lionel Royer lui reprochaient ses compositions trop académiques et son goût pour les mises en scènes pompeuses, d'où son statut peu enviable de peintre pompier. Mais pour la guerre de 1870, il est un témoin unique.

 

 

La bataille d'Auvours le 11 janvier 1871 - Huile sur toile - 1874 - Collection Musées du Mans

 

 

Une vie de travail

 

On connaît peu de choses sur sa vie privée. Son père, Etienne-Célestin, tenait boutique d'horlogerie à Château-du-Loir. Il avait épousé en août 1849 Victorine Bouchevreau. C'était un homme distingué, recherché dans les chorales pour sa belle voix mais son goût du jeu le perdit et avec lui son fonds de commerce. Il meurt prématurément laissant sa veuve avec quatre enfants et des dettes en quantité. Un malheur n'arrivant jamais seul, deux des frères de Lionel disparaissent rapidement. Sa mère déménage au Mans et c'est chez les frères de la Doctrine Chrétienne qui tiennent école rue de la Juiverie que Lionel fait sa scolarité. « L'enfant était né artiste ; les mathématiques et la grammaire lui semblaient dénuées de charme. Il aimait dessiner, ce qui ne plaisait guère à sa mère » explique son biographe l'abbé Ambroise Ledru.

Il est engagé comme apprenti dans une entreprise de peinture sous les ordres de Charles Jaffart puis la guerre de 1870 est arrivée, début de son aventure artistique et les milliers de toiles qui vont suivre.

On sait qu'il était marié à Marie Augustine Gilles et qu'il eut deux filles et un fils, Henri-Lionel. Celui-ci, engagé dans la prêtrise, décède au Val-de-Grâce le 12 juin 1919 d'une diphtérie mal soignée pour certains. D'autres pensent qu'il fut gazé pendant la guerre 14-18.

 

Lionel Royer, né à Château-du-Loir, ce grand peintre de l'Histoire ne connaissait pas le repos. « C'était un cœur ouvert d'une gentillesse avec tous, parfois irritable et impulsif mais toujours prêt à rendre service », nous dit Louis de Meurville, son ami.

Il meurt quasi aveugle et atteint de paralysie le 30 juin 1926 à l'âge de 74 ans à Neuilly-sur-Seine. Il est enterré à Fontenay-aux-Roses.

 

Il répétait inlassablement : « je suis prêtre de l'art, je travaille avec amour. »

 

 

Je ne peux terminer ce billet sans chaleureusement remercier les sœurs de la Communauté de la Providence à Ruillé-sur-Loir pour leur accueil, disponibilité, visite, commentaires et même petit rafraîchissement.

 

 

 

Les toiles monumentales

de la Communauté de la Providence

 

 

 

La Nativité
La sainte famille à Nazareth
La multiplication des pains
La présentation au temple

 

Jeanne d'arc

 

 

 

 

 

Scènes de batailles

 

 

 

Agonie du général de Sonis à Loigny
Basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal - Le colonel de Charette à Loigny - Toile de 5m de hauteur
Le maréchal Ney à la bataille de la Moskova le 7 septembre 1812

 

 

Portraits

 

 

 

Auguste Comte et ses trois muses de gauche à droite, Clotilde de Vaux, Rosalie Boyer et Sophie Bliaux.
Portrait par Lionel Royer de Frédéric Lebrun, peintre de genre et portraitiste né à Flers.

 

 

 

Je vous souhaite une bonne semaine !

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #personnages

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