LES ETOILES ET LA SAINTE-LARME

Publié le 28 Janvier 2024

 

La Trinité Vendôme croquis aquarellé

 

 

L'abbaye de la Trinité à Vendôme, dans les Vaux-du-Loir, a une longue histoire. Elle a laissé des vestiges durables. Sa fondation remonte aux années 1030.

Elle doit son existence à un miracle dont furent témoins, raconte la chronique du 17ème siècle de l'abbaye(1), Geoffroy Martel, fils de Foulque Néra, comte d'Anjou, et sa femme, Agnès de Bourgogne : « Estant en son chasteau de Vendosme situé sur la montagne, qui joinct la ville au costé de midy, advint qu'un soir prenant le serain avec la comtesse, à une fenestre qui regardoit sur la plaine voysine, situé entre les deux bras, que la rivière du Loir faict pour enceindre la ville au costé du levant, ils virent une grande estoille en forme d'une lance militaire, tomber du ciel dans une fontenne, qui estoit au milieu de ceste plaine ; dont ils furent fort estonnez, mais ils le furent bien davantage, quand par une seconde et troisiesme foys ils apperceurent deux autres estoilles de mesme forme et grandeur tomber au mesme lieu. »

 

Les prélats s'empressèrent alors de signifier au comte la vision prémonitoire de l'évènement. La volonté de Dieu était que à l'endroit même où il avait vu tomber les étoiles, Geoffroy devait élever une église en l'honneur de la sainte Trinité. Le sanctuaire et l'abbaye mis en chantier furent confiés à vingt cinq bénédictins venus de Marmoutier en Touraine. Le comte décida alors d'aller les offrir à Dieu, à son apôtre Saint-Pierre et à son descendant, le pape Benoît IX, alors âgé de quinze ans.

 

 

 

 

 

 

Pèlerinage et miracles

 

 

A Rome, Geoffroy Martel semble s'être trouvé enrôlé sous la bannière de l'empereur Michel de Constantinople, en lutte contre les Sarrasins de Sicile. Pour le récompenser de ses faits d'armes, assure une chronique du 17ème siècle, l'empereur fit venir le comte Geoffroy à Constantinople et lui offrit la main d'une princesse de sang et une large part de ses trésors. Martel refusa modestement la première mais il fut troublé par la vision éblouissante des seconds.

Comme il hésitait à faire le choix entre tant de richesse, un Grec se pencha à son oreille et, lui désignant un morceau de cristal mélangé à des diamants de grande valeur : « Voilà, lui dit-il, le trésor le plus estimable ; là est une larme que Jésus-Christ, lui-même, versa sur le tombeau de Lazare².

Martel se fit remettre une relique de saint Georges ainsi que le cristal qu'il considérait comme le plus grand trésor et reprit aussitôt le chemin vers son cher vendômois.

La légende raconte que dépités de s'être montrés trop généreux, les grecs voulurent à tout prix les lui reprendre, mais en vain.

La Sainte-Larme et les reliques furent déposées dans le choeur de l'église de la Trinité, dans une armoire de pierre surmontée d'une arcade et décorée d'une suite de scènes en bas-relief.

Selon les archéologues, le reliquaire que Dom Mabillon, moine bénédictin de la congrégation réformée de Saint-Maur et historien (1632-1707), reproduisit en 1700 serait de beaucoup postérieur à la consécration de l'église de la Trinité, le 31 mai 1040, par l'évêque de Chartres.

Quoi qu'il en soit, le monument disparut définitivement au début du 19ème siècle pour

« donner du jour au chœur de l'église » ; il en restait les bases de style Renaissance, gravées de larmes et d'inscriptions grecques et latines rappelant l'histoire de Lazare.

Plusieurs châsses(3) d'une orfèvrerie raffinée protégeaient l'ultime reliquaire, un petit fuseau garni d'or dont les extrémités étaient reliées par une chaîne en or retenant deux bagues serties de diamants. « Le vase de cristal qui enferme la sainte larme, raconte François de Belleforest(4), est de merveilleux artifice, sans rupture, soudure, ni ouverture quelle que ce soit et le dehors duquel est blanc et aussi transparent que crystal...La sainte larme, qui toujours tremble dedans ce petit vaisseau, est de couleur d'eau et azurée. »

 

 

 

 

« La vie de saint Arnould (5)», rédigée vers le fin du 12ème siècle, et deux chartes de la même époque sont les textes vendômois les plus anciens qui font mention de la présence de la Sainte-Larme en l'église de la Trinité de Vendôme.

Atout supplémentaire sur les chemins de Saint-Martin-de-Tours et de Saint-Jacques-de- Compostelle, durant tout le Moyen Age, la relique déclencha d'immenses et fervents pèlerinages et les miracles qu'elle provoqua valurent au monastère de nombreuses prodigalités pour le plus grand bénéfice de la ville.

 

Les comtes de Vendôme avaient deux devises : « Saint Georges de Vendôme ! » et « Sainte larme de Vendôme ! ».

Le comte Louis 1er de Bourbon-Vendôme (1376-1446), fait prisonnier à la désastreuse bataille d'Azincourt en 1415 et emmené en captivité en Angleterre, retrouva la liberté treize ans plus tard, à la suite d'un vœu ainsi formulé : « Si le Seigneur voulait par sa miséricorde le délivrer de sa prison et le faire rentrer en France dans ses biens avec honneur, il se présenterait la première année de sa délivrance dans l'abbaye de Vendôme devant la sainte larme en posture de suppliant, le vendredi qui précède le dimanche de la Passion, et offrirait un cierge du poids de trente-trois livres en mémoire des trente-trois ans que le Seigneur a passés sur la terre ; et que ce cierge serait allumé nuit et jour devant la sainte larme depuis le moment de son offrande jusqu'au dimanche de la résurrection de Notre-Seigneur, en mémoire de ce qu'il est la vie et la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ; et qu'enfin il ordonnerait, par l'acte le plus authentique, que cette cérémonie de la présentation du cierge à la sainte larme serait renouvelée à perpétuité par un criminel qui serait délivré de prison et aurait sa grâce(3). » Ainsi fit Louis 1er de Bourbon, comte de Vendôme, le vendredi d'avant le dimanche de la Passion, l'an 1428.

 

 

La Sainte Larme à Vendôme - sculpture

 

 

Controverses et fin de carrière

 

 

La Sainte-Larme connut une fin de carrière très surprenante. On la dépouilla, en 1783, de tous ses reliquaires, qui furent envoyés à la Monnaie d'Orléans. La larme perdit elle-même sa chaîne et ses deux bagues d'or. Réduite au seul fuseau de cristal que les pèlerins vénérèrent pendant huit siècles, le sieur Morin, employé du District, la conserva quelque temps comme bibelot curieux, puis il la remit à de pieuses personnes qui, en 1803, après le rétablissement du culte, s'en dessaisirent au profit de monseigneur Etienne Alexandre Bernier, évêque d'Orléans qui en fit don au cardinal Caprara, légat du pape en France.

La relique semble avoir été égarée entre Vendôme et Rome. Depuis lors, toute trace en a été perdue. Achille Rochambeau remarqua que l'Eglise n'avait jamais consacré l'authenticité de la relique qui fit l'objet de virulentes controverses.

 

Les premières chroniques en certifiaient l'existence indubitable. Elles semblaient confirmer que certaines des nombreuses larmes versées par Jésus-Christ sur Jérusalem (Luc XIX, 41) et sur la mort de Lazare (Jean, XI, 35 et 36) pendant la Passion étaient glorifiées dans plusieurs églises françaises et notamment en l'abbaye Saint-Pierre à Sélincourt en Picardie, à Thiers en Auvergne, dans l'église Saint-Léonard de Chemillé en Anjou, à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume dans le Var, à l'abbaye de Foncarmont en Seine -Maritime, en l'église Saint-Pierre-le-Puellier d'Orléans et bien entendu à Vendôme.

La présence des larmes saintes, exclusivement en France, fit naître quelques doutes.

En effet, « si toutes les larmes avaient réellement coulé des yeux du Sauveur, s'interrogeait le père Honoré de Sainte-Marie(7), d'où vient que toutes les églises d'Orient, et celles d'Italie, d'Allemagne et de toutes les autres d'Occident aient été privées de la douce consolation de posséder une de ces précieuses larmes, s'il avait permis qu'il en restât sur terre ? »

A cette troublante question, Sainte-Marie apporta une réponse qui accrut, plus qu'il ne le dissipa, le scepticisme. Les larmes « françaises » y compris celles de Vendôme, seraient tombées non pas des yeux de Notre-Seigneur lui-même, assura-t-il, mais de ceux du Christ dont on vénérait l'effigie en l'église Saint-Pierre-le-Puellier d'Orléans. La preuve d'un pareil miracle ne fut jamais rapportée, bien que la chronique le situât en 989, à la veille d'un immense désastre qui réduisit une bonne partie de la ville en cendres.

Au 17ème siècle, l'abbé Jean Baptiste Thiers, curé de Vibraye(8), fut beaucoup plus radical. Il contesta formellement la réalité de toutes les Saintes-Larmes et, malgré les dénégations de Dom Mabillon, assura que l'histoire de la relique de la Trinité de Vendôme avait été fabriquée de toutes pièces par les bénédictins de Vendôme. Disputes sans fin dont d'autres provinces se font l'écho tant le culte des reliques exerce un véritable empire.

 

Malgré ces controverses, à Chemillé on continue à vénérer la Sainte-Larme en l'église Notre-Dame où la relique est exposée tous les dimanches du Carême jusqu'au 10 avril.

 

 

Relique de la Sainte-Larme à Chemillé

 

 

 

Un cristal de quartz

 

La Sainte-Larme de Vendôme était, vraisemblablement, un cristal de quartz transparent, dont l'intérieur renfermait une goutte d'eau mobile. Le phénomène n'est pas rare, et se rencontre souvent dans les collections minérales.

Ainsi semble s'expliquer, nous dit Achille de Rochambeau, « l'oubli volontaire » du légat du pape qui fit « justice d'une erreur, tout en respectant la foi si pure et si sainte de nos aïeux. »

De toutes les façons, disait un saint homme qui glorifiait les images pieuses : « Dieu écrit avec son ombre ».

 

 

 

Je vous souhaite une bonne semaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources

 

(1) L'Histoire de la Sainte-Larme de Vendôme - Germain Millet -1891

(2) Histoire archéologique du Vendômois - J. de Pétigny -1849

(3) Châsses : Coffre précieux où l'on conserve les reliques d'un saint.

(4) François de Belleforest (1530-1583) : écrivain français - à la fois traducteur, historiographe, cosmographe et poète.

(5) Saint Arnould : diplomate et évêque intérimaire de Tours, évangélisateur en Espagne, martyr entre Chartres et Paris aux environs de l'actuel Saint-Arnoult-en-Yvelines.

(6) Achille de Rochambeau : Voyage à la Sainte- Larme de Vendôme - 1874

Historien et archéologue français. Fils adoptif de Auguste Philippe Donatien de Vimeur de Rochambeau, militaire et homme politique français. Officier de marine sous le Consulat puis officier d'infanterie sous l'Empire.

     (7) Réflexions sur les règles et sur l'usage de la        critique - Honoré de Sainte-Marie -1720

    (8) Dissertation sur la Sainte-Larme de Vendôme J-B Thiers (1636-1703) - 1699

 

 

 

 

Rédigé par Yves de Saint Jean

Publié dans #patrimoine

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